Vingt-trois ans après ses premières têtes et colonnes vertébrales arrachées, « Mortal Kombat » est toujours là. Son épisode X tout frais fait honneur à la série de jeux de combat mais aussi à une certaine idée du jeu vidéo : triviale, grossière et finalement précieuse.
« Mon père est plus fort que le tien. » Entre Cassie Cage et son adversaire, ça ne rigole pas. En attendant que ce soit le tour des têtes, les punchlines enfantines volent bas. « Je t’ai fumé, quelque chose de bien », s’était-on déjà entendu dire un peu plus tôt, alors qu’on explorait laborieusement le mode « Histoire » en compagnie dudit papa, Johnny Cage, auquel le dénommé Jax avait au préalable annoncé qu’il se « réjouissait de le massacrer ». Bienvenue dans la cour de récré. Mortal Kombat est de retour.
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Qui aurait pu imaginer en 1992, lorsque le premier jeu de la série prenait d’assaut les salles d’arcade, que, 23 ans plus tard, Mortal Kombat serait toujours sur le devant de la scène, avec un épisode X ludiquement très présentable ? A l’époque, c’était le jeu par qui le scandale arrivait, la réponse gore occidentale au carton stylé de Street Fighter II. Avec ses personnages digitalisés (plutôt que dessinés à la main comme chez la concurrence), son système de jeu plus accessible (pour ne pas dire primaire) et, donc, ses effets sanglants (en particulier, les fameuses « fatalities »), Mortal Kombat était comme un cousin américain grossier et mal élevé, qui rote à table et sent des pieds, des jeux de combat japonais, plus exigeants, plus aristocrates, plus scintillants. Sa violence choquait et déclenchait bien des polémiques tout en contribuant à installer l’idée que les jeux vidéo, finalement, ce n’est pas toujours pour les enfants. Elle faisait un peu honte, aussi, mais rigoler en même temps, comme un film d’horreur cheap et moche et bête et ringard des années 80 découvert en VHS dans lequel circule quand même, et peut-être mieux que dans des œuvres évidemment meilleures, quelque chose du cinéma des origines – l’attraction foraine, le pouvoir de sidération. Mortal Kombat, c’était (c’est) un peu la même chose, mais pour le jeu vidéo, qui n’ira vraiment loin que s’il accepte de marcher sur ses deux jambes : celle, sensible et profonde et émouvante de Journey (ou Gone Home, ou Papers, Please, ou Bientôt l’été) et celle, un peu disgracieuse, un peu boiteuse de Mortal Kombat.
En deux décennies, les choses n’ont pas tant changé que ça. S’il s’est normalisé graphiquement comme ludiquement avec ses personnages modélisés en 3D mais qui évoluent sur un seul plan comme dans la plupart des jeux de combat actuels, Street Fighter IV en tête, Mortal Kombat X reste, au fond, le jeu sale gosse des débuts, bravache et un peu vulgaire et adepte de la provoc facile – et mercantile, aussi. Et s’il ne fait plus vraiment scandale, c’est un peu parce que, de Manhunt à Condemned, l’industrie vidéoludique l’a rattrapé et nettement dépassé au rayon de l’horreur sanglante mais aussi, sans doute, parce que sa nature inoffensive a fini par devenir évidente. On pourrait voir en cela la limite de Mortal Kombat X qui, contrairement à un Hotline Miami ou un GTA, n’a, au fond, pas grand-chose de subversif. On peut aussi estimer que c’est justement son côté carnavalesque, bal masqué en des lieux précisément délimités – c’est pour de faux, on se déguise, on fait les fous, on y pense puis on oublie – qui le rend précieux.
Comme tout jeu de combat digne de ce nom – ce qu’il est –, Mortal Kombat X se présente comme un sport en attente de participants. Le mode online, cette salle d’arcade globale, est là pour ça. On s’entraîne, on se défie, on gagne de l’expérience, on se fait une réputation. Mais c’est aussi un cirque ou un théâtre qui se joue d’une certaine esthétique de la domination et de la déréliction (piques, chaînes, ville en ruine, forêt macabre, esclaves et animaux entravés). C’est une (fausse) société secrète, aussi, avec son mot ou, plutôt, sa lettre de passe : le « k » de « kombat », de « kamp de réfugiés », de la « kroisée des chemins ». Une société dont les cérémonies délibérément krétines n’essaient même pas d’être kool et se déroulent en plein jour, aux yeux incrédules de tous. La grandeur de Mortal Kombat est celle du jeu, dans à peu près tous les sens du terme. Rien de plus, peut-être, mais c’est déjà beaucoup.
http://www.youtube.com/watch?v=u80hHuWZb_0
Et puis Mortal Kombat X est un jeu d’auteur. Parce que, depuis la naissance de la série, le même concepteur, l’Américain Ed Boon, est resté aux commandes là où tant d’autres sagas vidéoludiques ont régulièrement changé de mains. Parce qu’il possède une patte, un style, un point de vue et une idée (du jeu, des joueurs, de ce que ces derniers font du premier, et inversement) puissants et singuliers, quand bien même ils seraient éminemment contestables. Ce qui est bien, d’ailleurs : c’est la preuve que ça existe, que c’est consistant, que ça tient debout. Et si c’est pour nous rire à la figure, aucun problème, Ed. L’amusement est partagé.
Mortal Kombat X (NetherRealm Studios / Warner), sur PS4, Xbox One et PC, de 35 à 60 €. A paraître sur PS3 et Xbox 360.
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