Si le sujet est ponctuellement évoqué, il reste néanmoins entouré d’un tabou qui empêche les personnes concernées d’en parler librement. Et ce malgré une plus grande visibilité des sexualités et du plaisir féminin.
“J’avais 16 ans quand j’ai essayé pour la première fois d’avoir un rapport pénétrant avec mon copain, et forcément la douleur était terrible.” C’est par ces mots que Sophie*, une étudiante de 23 ans, décrit ses premiers symptômes. “Dans ma tête, l’hymen c’était vraiment un filtre, un portail qu’il fallait casser. Mais au bout d’une dizaine d’essais, j’ai vraiment commencé à me dire que ça n’allait pas”. Alors la jeune femme se rend sur Internet pour comprendre ce qui lui arrive, puis consulte une gynécologue. Et le diagnostic tombe : vaginisme. Un terme que Sophie n’a jamais entendu auparavant.
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Souvent confondu à tort avec la dyspareunie – qui se traduit lui par de fortes douleurs pendant des rapports sexuels avec pénétration – le vaginisme est “une contraction réflexe et involontaire des muscles péri-vaginaux, qui empêche la pénétration, que ce soit par un spéculum, un objet, des doigts ou un pénis, mais ça peut aussi se manifester face à quelques personnes seulement ou à des moments très particuliers”, nous explique Caroline Janvre, psychologue et sexologue, spécialisée en promotion de la santé au CeGIDD de l’hôpital Ambroise. Si l’aspect psychologique est souvent lié dans les troubles du vaginisme, “il est à nuancer” avance-t-elle : “Il peut y avoir des conséquences de traumatismes liées à des violences sexuelles, mais on peut avoir du vaginisme pour d’autres raisons, comme par exemple une personne qui a grandi dans une famille où on n’a jamais parlé de sexe, et qui voit ça comme un tabou.” Preuve en est : toutes les jeunes femmes qui ont accepté de témoigner pour cet article l’ont fait sous couvert d’anonymat.
Vaginisme et plaisir, même combat
Pourtant, depuis un an, la libération de la parole sexuelle a été entamée sur les réseaux sociaux avec des comptes Instagram comme Tasjoui ou Gang du clito qui ont vu le jour et permis de faire la lumière sur la jouissance et le plaisir féminin. Malgré quelques évocations sur le sujet, le vaginisme reste le grand absent, alors que beaucoup de femmes sont touchées, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres concrets : “Aux Etats-Unis, on sait que c’est entre 12 % et 17 % de personnes qui vont consulter pour du vaginisme, parmi tous les troubles liés à la sexualité des personnes qui ont un vagin, mais en France, on a très peu de chiffres spécifiques”, précise Caroline Janvre. Fanny*, une dessinatrice de 28 ans estime en effet que l’on n’en parle pas assez. “J’aimerais que le sujet soit plus visible et accessible parce que la libération de la parole des femmes sur le sexe passera aussi par la parole de celles qui ne veulent pas ou ne veulent plus avoir de rapports, par celles qui galèrent, et par celles qui souffrent”, insiste-t-elle.
La jeune femme parle alors de “problèmes de pénétration” : “Des fois ça rentre sans douleur, des fois ça ne rentre pas, et des fois ça rentre mais ça fait horriblement mal. Ça dépend de beaucoup de facteurs, si je suis tendue, si j’ai vraiment confiance en mon partenaire, si je suis en forme, etc. Et parfois il n’y a même pas de raisons identifiables.” Elle a enfin pu comprendre qu’il n’y avait rien d’anormal chez elle, grâce à un article qui l’évoquait, “le seul à l’époque” précise-t-elle alors qu’elle avait 21 ans, et plus tard lors d’une consultation gynécologique qui s’est très bien passée et qui l’a rassurée. “Elle m’a expliqué que c’était un trouble répandu, et j’ai ressenti un soulagement de ne pas être seule, j’aimerais que toutes les femmes atteintes de vaginisme puissent le ressentir aussi.”
Une souffrance silencieuse
En plus d’un blocage physique, le vaginisme se manifeste aussi par un blocage émotionnel et psychologique, avec la peur d’en parler à son entourage ou à son partenaire, notamment dans les couples hétérosexuels. “Aucun. e de mes ami.e.s n’est au courant et pendant des années je me suis sentie anormale, j’en ai beaucoup souffert. A chaque nouvelle relation, il y a ce moment d’angoisse où il faut annoncer à l’autre qu’on est atteint de vaginisme”, confie Fanny.
Sephora*, une doctorante de 28 ans, en parle peu aussi à cause de “l’incompréhension de son entourage” : “La victime pour eux, c’était mon conjoint, puisque je ne pouvais pas lui donner ‘son dû’. J’ai essayé de pallier autrement, mais je l’ai vécu comme une agression constante.” Pour Apolline*, qui en souffre également, c’est la culpabilité d’être une “mauvaise féministe” qui l’empêche d’en parler. “J’ai l’impression qu’il faut forcément être libérée sexuellement, et comme je n’ai pas de vie sexuelle, mais que je défends toutes les questions liées au plaisir féminin et aux diverses pratiques sexuelles, j’ai le sentiment de ne pas être légitime. C’est pour ça que j’en parle assez peu”, détaille-t-elle.
Pourtant, la psychologue et sexologue Caroline Janvre estime que l’isolement peut aggraver encore plus la situation. “Discuter avec d’autres personnes et sortir d’une forme de confinement sont importants, parce qu’il y a souvent un sentiment de culpabilité très présent et comprendre qu’on n’est pas seul-e peut aider.” Elle rappelle également que des sites comme Les clés de Vénus, donnent des outils essentiels pour comprendre ce qui arrive à la personne concernée avec des explications sur le vaginisme, mais aussi des outils pour en guérir. Une femme témoigne sur le site, en relatant les étapes qui l’ont aidée, avec une auto-pénétration avec ses doigts au préalable jusqu’à une pénétration complète de son partenaire. S’il n’y a pas de prise en charge médicale à proprement parler, ni de guérison évidente pour tout le monde, la sexologue rappelle qu’”on peut de manière complémentaire aller voir des professionnels de la santé, dans les centres de dépistage où il y a des consultations de santé sexuelle, gérés par des sexologues, kiné-sexologues ou des sages-femmes avec des consultations gratuites. Et enfin, l’auto-exploration pour une réappropriation de son corps peut être bénéfique également”. Néanmoins, elle est formelle : “Il faut sortir des discours centrés autour du plaisir et de la performance, et sensibiliser sur la question pour savoir que ça existe.”
Moins de pénétration, plus de plaisir ?
Pour Diane Saint-Réquier, militante sex positive et créatrice de SexySoucis, l’émission qui répond aux questions sur les sexualités et diffusée sur France TV Slash, il est urgent de décentrer les relations hétérosexuelles. “Cette norme du rapport hétérosexuel avec un pénis dans un vagin obligatoirement, est très présente et peut couper de plein d’autres choses. Les blocages du vaginisme peuvent amener à avoir du plaisir autrement et démystifier les rôles très genrés entre les hommes et les femmes. Et puis ça libère l’imagination et le champ des possibles.” Une solution qui a aidé Sephora dans son cheminement où elle a réussi à trouver d’autres sources de plaisir et d’autres stimulations. “J’ai eu la chance de tomber sur quelqu’un de très compréhensif, et bienveillant”, confie-t-elle. “Je ne peux pas dire que notre sexualité est totalement épanouie, puisque j’ai un vaginisme total qui empêche toute pénétration et qui me provoque beaucoup de douleurs, mais on a pu trouver tout un tas d’autres moyens de se faire plaisir, par d’autres sensations. Je suis très écoutée et jamais forcée et je pense que c’est en grande partie grâce à mon copain que je me sens prête à entamer un travail psy.”
Le futur du cheminement vers plus de libération sexuelle ne se fera pas sans évoquer des réalités et des maux aussi importants que le vaginisme. Comme Diane Essere le rappelle, il faut “détacher la sexualité sur autre chose que le simple coït.” Et pour Sephora de rappeler que son vaginisme l’a grandement aidée pour une chose essentielle : comprendre que son “plaisir comptait autant que celui de [son] partenaire.”
*Les prénoms ont été modifiés
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