Le gouvernement pakistanais s’est insurgé contre la manière dont la quatrième saison de la série américaine a représenté son pays. Depuis son lancement, « Homeland » n’a eu de cesse d’essuyer de nombreuses critiques sur sa représentation de la religion musulmane et du Moyen-Orient.
[Cet article contient des spoilers sur les saisons 1 à 4 de Homeland]
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« S’ils avaient fait un minimum de recherches, ça aurait pu leur faire beaucoup de bien. » Le gouvernement pakistanais ne décolère pas. Nadeem Hotiana, le porte-parole de l’ambassade américaine du Pakistan, a confié au New York Post l’énervement des élus de son pays à l’encontre de la série Homeland, et en particulier de sa quatrième saison qui se déroule principalement au Pakistan.
Dans cette dernière saison, qui a pris fin la semaine dernière outre Atlantique*, l’agent de la CIA Carrie Mathison est nommée chef de poste en Afghanistan. Elle y supervise notamment les attaques ciblées par drones, dont une frappe sur le territoire pakistanais déclenchera un incident diplomatique autour duquel toute la saison s’articulera.
« Dénigrer un pays qui est un allié des Etats-Unis dessert non seulement les intérêts américains en terme de sécurité mais aussi les citoyens américains« , a assené Nadeem Hotiana, avant de détailler les raisons de son courroux. Un avis qui a été partagé par de nombreux journalistes et chroniqueurs, qui multiplient depuis des années les articles sur le manque de nuance – allant jusqu’à les accuser de racisme – des producteurs de Homeland et de Showtime, la chaîne câblée qui diffuse la série.
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• Islamabad en « ville coupe-gorge »
Dans l’épisode 3 de la saison 4, l’ambassadrice américaine rejoint Carrie sur le toit de l’ambassade pour fumer une cigarette après une longue journée. Elle observe le paysage et lance « c’est la plus belle vue de tout Islamabad — c’est dire… » Et à raison : la capitale pakistanaise, comme elle est montrée dans Homeland (en fait reconstruite pour le tournage en Afrique du Sud), n’est faite que de bâtiments en ruines, de rues boueuses et de passants louches à l’oeil torve.
« Ça ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité« , s’indigne Nadeem Hotiane auprès du NY Post, « Islamabad est une ville calme, pittoresque avec des superbes montagnes et une verdure luxuriante. Dans Homeland, [Islamabad] est un enfer sur terre crasseux et une zone de guerre où les bombes tombent du ciel et les corps se retrouvent éparpillés sur le sol. »
La jeune écrivaine Fatima Shakeel s’était déjà indignée de la détérioration de sa ville de naissance dans une tribune sur le site américain The Week :
« Si ma vie avait été romancée dans la série, la vue depuis ma fenêtre ne serait qu’un désastre urbain noyé dans un épais brouillard. »
Et l’auteure d’insister sur la dépersonnalisation de la foule de Pakistanais qui commence à attaquer un officiel américain, dans le premier épisode de la saison, « comme une horde de zombies tout droit sortis de The Walking Dead« .
Ce n’est pas la première fois que Homeland est accusé d’avoir reproduit une ville du Moyen-Orient de manière biaisée. Dans la saison 2 déjà, une rue très fréquentée et huppée de Beirut, Hamra Street, avait été montrée comme un chemin de terre exigu où les guet-apens sont monnaie courante. « Les scénaristes ont fait une grossière caricature de la culture de cette ville« , s’était plainte à l’époque l’actrice Najla Said, qui jouait une journaliste alliée des terroristes dans la série.
• Des fautes de langage et des problèmes d’accent
« Quand les personnages de la série parlent Urdu, leur accent est loin d’être le même que le véritable accent local« , continue le porte-parole de l’ambassade du Pakistan. Il arrive fréquemment que les films ou séries engagent des acteurs qui ne parlent pas la langue pour jouer des étrangers (qui ne s’est jamais moqué de l’accent français d’un personnage censé être un Gaulois pure souche ?). Homeland n’a pas dérogé à la règle en recrutant des figurants dans la communauté indienne du Cap, en Afrique du sud, pour jouer les seconds rôles pakistanais.
Résultat : « Les acteurs prononçaient leurs lignes en Urdu avec la même authenticité que quand Siri me dit ‘je t’aime’ sur mon iPhone« , s’est plaint le comédien Shehzad Ghias dans un billet d’humeur écrit entièrement au second degré (son titre: Le Pakistan dans Homeland, enfin un portrait juste et précis !) « Il est incroyable de voir avec quelle précision et investissement les scénaristes ont simplement utilisé Google Traduction pour traduire les dialogues en Urdu. »
Même constat pour les comédiens qui s’expriment en anglais avec un accent indien (« comme Apu des Simpson » se moque Fatima Shakeel dans The Week) au lieu d’un accent pakistanais.
• Les femmes et le voile
La saison 4 avait mal commencé, avant même d’être diffusée. La première photo promotionnelle partagée par Showtime a suffi pour provoquer l’ire de certains internautes. On y voit Carrie Mathison, un voile écarlate sur la tête, au milieu d’une nuée de femmes voilées de dos. « Regardez, c’est le petit chaperon raciste ! Est-ce que blondie va survivre dans cette marée de femmes couvertes de la tête aux pieds ?« , lance une utilisatrice de Twitter, retweetée une centaine de fois.
Look! It’s Little Red Riding Racist! Can blondie survive in a sea of cloaked women?? #Homeland show poster. pic.twitter.com/XIgxeMjWN5
— Zahra Noorbakhsh (@ZahraNoo) 19 Juillet 2014
Au-delà de l’affiche, les scénaristes de Homeland ont souvent été critiqués pour s’être trompés quasi systématiquement dans les coutumes de port du voile au Moyen et Proche-Orient. Lorsque Carrie se ballade dans les rues d’Islamabad, elle se force toujours à draper sa tête d’un foulard (qui cache d’ailleurs rarement tous ses cheveux). Un détail qui a surpris Amélie Blom, ingénieure de formation au CNRS et spécialiste du Pakistan :
« S’il est bien une ville au Pakistan où les étrangères non-musulmanes et la majorité des femmes pakistanaises sortent sans se couvrir les cheveux, c’est bien Islamabad ! », nous a-t-elle expliqué.
Ces incohérences avaient également déjà été soulevées lors des premières saisons de Homeland, alors que l’héroïne se forçait à mettre un voile et des lentilles de contact brunes pour éviter d’être « repérée » à Beyrouth au Liban. « Tout ça alors que Beyrouth est la capitale de la chirurgie plastique du Moyen-Orient et que les fausses blondes sont très courantes« , avait souligné la journaliste d’Al Jazeera Laila Al-Arian en 2012.
• Les services secrets pakistanais alliés avec des terroristes
Un élu pakistanais a été particulièrement choqué par le scénario de la saison 4, dans lequel on découvre que les services secrets pakistanais sont de mèche avec les terroristes. « Ce n’est pas seulement absurde, c’est une insulte aux sacrifices de milliers de Pakistanais qui se sont battus dans la guerre contre le terrorisme« , a-t-il confié, toujours au NY Post. Dans la série, un seul personnage, membre des services secrets pakistanais, semble en effet s’indigner de la protection qu’accorde son employeur à des tueurs sans merci.
Depuis ses débuts, Homeland enchaîne les approximations voire les erreurs grossières lorsqu’il s’agit de traiter d’enjeux géopolitiques. Dans la saison 2, le Hezbollah (mouvement politique libanais classé organisation terroriste par l’Union européenne) s’alliait à un dirigeant d’Al Qaida fictif, Abu Nazir, alors que les deux organisations sont loins d’être en bon terme.
Pour le Washington Post, pas tendre avec la série, Homeland souffre d’un défaut plus large : elle « véhicule insouciamment des stéréotypes absurdes et dommageables » envers les musulmans. « Depuis le premier épisode, Homeland a produit des stéréotypes islamophobes à tour de bras, comme si les scénaristes étaient payés au cliché« , continue la journaliste Laura Durkay.
« Toute la structure de Homeland est construite sur un principe : mélanger toutes les manifestations politiques existantes de l’Islam, des Arabes, musulmans et tout le Moyen-Orient en un monstre digne de Frankenstein qui serait une menace terroriste », conclut-elle.
Marie Turcan
* La saison 4 de Homeland a été diffusée en H+24 sur Canal+ Séries
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