Hissène Habré, ancien président tchadien, est jugé à Dakar lundi 20 juillet. Accusé de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’actes de torture, son procès est le résultat d’un long combat juridique.
Il aura fallu vingt-trois ans avant que le « procès Habré » ne voie le jour. Hissène Habré – ex-président tchadien au pouvoir entre 1982 et 1990 – comparaît ce lundi 20 juillet,à Dakar, pour “crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture”. La capitale sénégalaise s’est alors transformée en tribunal à ciel ouvert, afin d’accueillir ce procès où près de 200 journalistes sont attendus, et où une centaine de témoins vont défiler.
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Près de 4 000 victimes se sont constituées en partie civile, représentées par un collectif d’avocats chapeauté par la Tchadienne Jacqueline Moudeina. L’ancien dictateur et ses proches sont accusés d’être responsables de 40 000 exécutions sommaires et disparitions, et de la torture de 200 000 personnes.
En mars 2015, sept complices d’Habré ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité à N’Djamena, la capitale du Tchad. Parmi eux, Saleh Younous, le premier directeur de la Direction de la documentation et de la sécurité (DSS), la police politique du régime Habré, et Mahamat Djibrine, coordonnateur de la DSS, qui comptabilise près de 7 000 plaintes. Au total, 20 responsables de la DSS seront condamnés à la réclusion à perpétuité pour « assassinats » et « torture ».
Régime autoritaire
En 1982, Hissène Habré prend le pouvoir par les armes. Le Tchad est en guerre avec la Libye depuis 1973, les troupes de Kadhafi occupent la bande d’Aouzou, à la frontière entre les deux pays. Pourtant, cette zone appartient au Tchad, suite à un traité signé avec la France et l’Italie pendant la colonisation.
Hissène Habré impose alors un régime autoritaire et une répression féroce : mise en place d’un parti unique, suppression de la fonction de Premier ministre, exécutions d’opposants, mise en place d’une police politique (la DDS). Le régime pratique alors la torture et les exécutions sommaires. En 1990, Hissène Habré est renversé par son ex-chef d’état-major Idriss Déby, actuel président du Tchad et trouve refuge au Sénégal.
Deux ans après la fuite d’Hissène Habré à Dakar, en 1992, la commission nationale d’enquête tchadienne sur « les crimes et détournements commis par l’ex-président, ses coauteurs et/ou complices » publie son rapport. C’est le choc : 3 806 personnes mortes en détention ou exécutées pendant la période 1982-1990 et 54 000 détenus. « Cela ne représente que 10 % des violations et crimes commis sous Habré », souligne le rapport.
En 2000, le feuilleton politico-judiciaire commence. Sept victimes tchadiennes déposent une plainte à Dakar contre l’ancien dictateur. La justice sénégalaise se déclare incompétente au nom du principe de compétence universelle en matière de violation des droits de l’homme. Des victimes se tournent vers la justice belge qui demande l’extradition de l’ancien chef d’Etat, nouveau refus de Dakar.
Feuilleton judiciaire
En mai 2001, l’ONG Human Rights Watch découvre des dossiers de la DDS parmi lesquels des dizaines de milliers de documents contenant des listes journalières de prisonniers, des comptes rendus d’interrogatoires, des rapports de surveillance et des certificats de décès.
Hissène Habré sera ici jugé par les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises (CAE). Ce tribunal ad hoc a été créé par le Sénégal et l’Union africaine en février 2013 pour poursuivre et juger les principaux responsables des crimes et violations graves du droit international commis sur le territoire tchadien pendant le règne d’Hissène Habré.
Le Sénégal devient ainsi le premier pays d’Afrique à mettre en œuvre la convention de l’ONU sur la torture, qui oblige les Etats signataires à juger « les auteurs de crimes de torture présents sur leur territoire, même si ceux-ci ou leurs victimes ne sont pas ressortissants de l’Etat et même si le crime a été commis à l’étranger ».
Refus de comparaître
Après plusieurs mois d’instruction, Hissène Habré est finalement inculpé le 2 juillet 2013, accusé de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. L’ex-dictateur ne souhaite pourtant pas reconnaître la CAE et a refusé de participer à la procédure. Il n’assisterait pas à son procès, qui pourrait durer plusieurs mois et pour lequel il risque la prison à vie.
« Ce procès sonnera comme un signal d’alarme pour tous les dictateurs qui devront un jour être rattrapés pour leurs crimes », déclare l’avocate Jacqueline Moudeina lors d’une conférence de presse à Dakar.
A Dakar pourtant, Habré compte encore quelques soutiens. Le procès s’est en effet ouvert ce matin par de violentes échauffourées provoquées par des manifestants pro-Habré.
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