Ecologie, dénonciation du productivisme, bien-être animal, obsolescence programmée, désobéissance civile : et si Gaston tenait plus du prophète que du gaffeur ?
Spoiler : on ne parlera pas ici du Gaston du film de Pierre-François Martin Laval (que notre critique a trouvé “terriblement déprimant”) mais bien de celui de Franquin, cet anti-héros glandouilleur, flemmard et bricoleur qui a perturbé pendant de longues années la vie de la rédaction de Spirou Magazine. Dans un hors-série qui sort ce vendredi 6 avril, Gaston, le gaffeur qui avait du nez, les éditions Dupuis rendent hommage au génie visionnaire de leur vrai-faux employé. Et les domaines dans lesquels Gaston annonçait les débats de société à venir sont plutôt nombreux…
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’écologie
Si les Américains ont eu Capitaine Planète dans les années 90, Gaston Lagaffe avait commencé à éveiller les consciences sur la sauvegarde de l’environnement depuis plusieurs décennies en Europe. Selon Yann Arthus-Bertrand, il n’y a aucun doute, “Franquin était engagé : lorsqu’il envoie Gaston bombarder un baleinier ou qu’il lutte contre la chasse, ses actions sont militantes. Rien n’est dû au hasard. Franquin était déjà dans la décroissance”. Pour le photographe, “Gaston parle du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, qui banalise la catastrophe écologique. Je dirais même qu’il se moque gentiment de ce que nous sommes devenus.”
Copyright éditions Dupuis.
Le directeur général de Greenpeace rappelle que dans une planche des années 80, Gaston Lagaffe avait participé à une action au côté de l’ONG contre les baleiniers : “Il use de son tonitruant Gaffophone dans l’Atlantique pour éloigner les harpons. Franquin a parfaitement suivi l’éveil de la conscience écologique qui s’est opéré dans ces années-là, durant lesquelles on a réalisé qu’il fallait absolument protéger la planète et les espèces qui la peuplent (…) En utilisant des moyens d’interpellation forts et pacifistes, Gaston aurait été un militant Greenpeace exemplaire”. Selon le directeur exécutif de la WWF, Pascal Canfin, Gaston est même “le seul héros de bande dessinée à pouvoir être considéré comme une icône de l’écologie (…) Le Gaston d’aujourd’hui serait d’ailleurs le même que celui d’hier : il parlerait de l’avenir des fermes urbaines, des jardins partagés et collectifs, des énergies douces, de la mobilité propre.”
Le slow-working et le bien-être au travail
Les siestes sont en vogue dans le monde de l’entreprise ? Gaston Lagaffe les pratiquait déjà depuis bien longtemps. Dans le supplément Gaston, le gaffeur qui avait du nez, Damien Pérez interroge Loïck Roche, auteur de l’essai Le slow management, éloge du bien-être au travail, qui voit Gaston comme “un antidote aux dérives pathologiques des organisations. Il est un contrepoint à la vitesse, à la performance, aux contrats que l’on s’épuise à signer. Gaston, c’est le balancier qui fait que l’entreprise reste humaine”.
Copyright Marsu Productions.
Pour Fabrice de Boni, de Et tout le monde s’en fout, “Gaston a intégré la loi de Pareto, qui explique que dans l’énergie que l’on fournit pour un effort, 80% ne sert à rien. Gaston ne fait donc jamais de gestes inutiles et invente souvent des machines censées limiter les efforts au bureau. Le problème, dans notre société judéo-chrétienne, c’est qu’on associe la valeur d’un travail à la souffrance qui en résulte. Par son attitude, Gaston percute cette bienséance sociale.”
Le bien-être animal
Entouré d’animaux en permanence (sa mouette rieuse, son chat et sa tortue Achille, pour ne citer qu’eux), Gaston Lagaffe posait des masques aux poissons pour les aider à survivre malgré la pollution de l’eau, distribuait des carottes aux lapins pour qu’ils soient plus endurants face aux chasseurs et se rendait fréquemment au zoo pour que les pensionnaires ne s’ennuient pas trop… L’employé de Spirou Magazine se soucie bien avant l’apparition des vidéos de l’association L214 du bien-être animal. Pour Hubert Reeves, “chez lui, les animaux sont des êtres à part entière. Franquin a mis en correspondance toutes les espèces humaines, animales et végétales, ce qui va dans le sens des travaux récents démontrant que les arbres et les animaux sont beaucoup plus intelligents que ce que l’on a toujours supposé.”
Copyright éditions Dupuis.
Un avis confirmé par Pascal Canfin : “Il existe entre Gaston et son bestiaire une relation d’égal à égal. Il respecte leur originalité et leurs spécificités, et à aucun moment il ne les fait passer pour des animaux-machines ou de simples robots, comme c’est malheureusement trop souvent le cas aujourd’hui”.
La désobéissance civique
Par le biais de Gaston, Franquin avait lancé une guerre contre les parcmètres qu’il jugeait abusifs. Plus d’une quinzaine de planches sont consacrés à cette lutte sur le sujet entre Gaston et l’agent Longtarin. En plus d’avoir des difficultés à obéir à sa hiérarchie professionnelle, l’employé de Dupuis avait des soucis avec les forces de l’ordre. Pour José Bové, c’est certain, “Il y a effectivement dans les albums cette critique de l’autorité (…) Longtarin fait partie des ces figures récurrentes de l’autorité un peu bêtes et brutales qui demandent de respecter la loi sans réfléchir à leur utilité. Gaston la vit comme une persécution.” Pour l’auteur de Franquin créa Lagaffe, “Franquin était un véritable anarchiste. A travers Gaston, il mettait le bazar pour remettre en cause l’ordre établi, pointer du doigt les absurdités qui l’ennuyaient”.
Copyright éditions Dupuis.
Bonus: le dopage mécanique dans le cyclisme
Copyright éditions Dupuis.
Gaston, le gaffeur qui avait du nez, éditions Dupuis, 119 pages, 11,90 €
{"type":"Banniere-Basse"}