L’édition 2016 de la reine des simulations de foot, qui accueille pour la première fois des équipes féminines, ne déçoit pas. Le nouveau « FIFA » constitue même une sorte d’aboutissement pour la vision du jeu vidéo, aussi stimulante que contestable, sur laquelle elle repose.
« Après cette ouverture du score, ça fait 1-0. » Merci à Hervé Mathoux, qui forme avec Franck Sauzée le pénible et néanmoins indéboulonnable duo de commentateurs de la version française de FIFA, pour cette utile précision. D’un épisode à l’autre de la reine des simulations de foot – dont les experts jugeaient l’an dernier la suprématie menacée par le retour en forme de sa rivale historique PES –, il y a des choses qui ne changent pas (comme la pertinence fluctuante desdits commentaires, donc) et d’autres qui évoluent, dans des proportions variables. C’est le principe de la sortie annuelle, chaque FIFA étant toujours un peu plus qu’une simple mise à jour (qui, au moins pour les effectifs des équipes, s’effectue désormais en temps à peu près réel via Internet) et un peu moins qu’un nouveau jeu à part entière – car les bases demeurent.
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Pour l’édition 2016, les changements les plus flagrants sont de trois types : un ralentissement du rythme (qui demeure néanmoins assez soutenu), l’ajout d’un nouveau type de passes appuyées (dont on aura tout intérêt à (ab)user) et la présence d’équipes féminines dont l’annonce n’avait pas manqué de scandaliser la frange la plus beauf et machiste de l’internationale gamer. On est d’ailleurs vite conquis par la (seule, malheureusement) compétition féminine que propose FIFA 16, moins physique et effrénée que ses homologues mâles et, donc, souvent plus tactique.
Ces évolutions sont-elles d’une importance capitale ou tout à fait secondaires ? Les deux opinions semblent tout aussi défendables dans le cas de FIFA dont l’attrait tient en grande partie au mélange de familiarité et de dépaysement que provoquent chacune de ses nouvelles versions. On est dedans, chez soi, on retrouve ses automatismes et, soudain, voilà qu’on n’y est plus et qu’il faut tout (c’est-à-dire presque rien : c’est une affaire de détails) réapprendre. D’ailleurs, ces subtilités, nouvelles ou anciennes, sont-elles vraiment dans le jeu ou seulement dans notre tête ? La deuxième option, alors qu’on a soudain le sentiment que l’adversaire est favorisé, que le jeu triche ou que nos joueurs développent une véritable personnalité, n’est jamais totalement exclue. Et, au fond, c’est très bien comme ça : alors qu’on alterne entre fusion avec le système de jeu (on enchaîne les passes, les buts, tout nous réussit, on est « in the zone ») et sentiment qu’il nous rejette (tout rate de justesse, c’est la spirale de l’échec), FIFA vaut d’abord pour son mystère, celui-là même qui empêche de s’en rendre absolument maître. Appelons ça le hasard, l’illusion ou l’imagination (du joueur qui y projette bien des affects, bien des fantasmes). Disons que c’est un mélange des trois.
Jouer à FIFA, c’est, d’une certaine manière, tenter de déchiffrer, de déconstruire le programme pour créer des refrains d’actions (passe en profondeur, débordement sur l’aile, centre et but de la tête, par exemple) qui fonctionnent et nous enchantent, nous bercent. C’est aussi s’adapter en direct au système de jeu, improviser, inventer : devenir un performer, un créateur. Une partie de FIFA, c’est un dialogue entre un ingénieur et un artiste qui échangent sans cesse leurs rôles. Parfois, l’ingénieur est le game designer et l’artiste, le joueur. Parfois, c’est l’inverse. Entre eux, c’est une affaire de passes et de contre-pieds, de coopération et d’opposition, d’attaques efficaces et d’envolées pour la beauté du geste.
Comme avec tout jeu vidéo, donc, qui confronte à distance ceux qui s’y adonnent et ses concepteurs ? Oui, dans une certaine mesure, mais c’est encore plus vrai dans les titres (sportifs, en particulier) qui reviennent chaque année et dont le modèle (esthétique, technologique, économique) est à mi-chemin de ceux de l’œuvre interactive et du programme informatique régulièrement mis à jour. L’abondance de modes de jeu et la nature éminemment paramétrable de l’expérience en sont une conséquence directe : FIFA s’adapte à la demande – réelle ou supposée – des joueurs et entend ne décevoir et n’exclure personne – sa version 2016 se révèle d’ailleurs très accessible.
C’est aussi l’une de ses limites : l’expérience se fragmente (à chacun son FIFA) et les partis pris manquent – ces partis pris pour lesquels, par exemple, on aime tant Rocket League qui, lui, est à prendre ou à laisser car il ne fait pas de compromis. De ce point de vue, FIFA 16 semble l’aboutissement d’une vision particulière, pointilliste et industrielle, du jeu vidéo qui possèdent ses limites – on est en droit d’aimer les jeux plus singuliers, plus risqués, plus artistes – mais aussi ses qualités, et d’abord celle de stimuler – en l’encadrant – la créativité du joueur. Sur ce plan, dans le registre du formatage excitant, FIFA 16 est un sommet.
FIFA 16 (Electronic Arts), sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC, de 50 à 70 €
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