Un an après sa sortie japonaise et plus de huit ans après le dernier épisode à part entière de cette saga majeure du jeu de rôle japonais, le nouveau « Dragon Quest » est enfin disponible en Europe. Ludiquement classique mais aussi riche que prenant et merveilleusement écrit, le résultat fait honneur à la série de Yuji Horii.
C’est un monde où une sirène aux cheveux roses aime follement un humain, où un lutteur masqué se dope pour aider les orphelins, où les vaches nous annoncent le temps qu’il fera demain. Un monde à la fois triste et rieur, sentimental et bagarreur, une épopée au long cours qui est aussi une collection de mini-fictions intimes, et qui nous happe, pendant des dizaines d’heures. Huit ans après la parution européenne de son dernier épisode à part entière (hors remakes et spin-offs), Dragon Quest est enfin vraiment de retour chez nous avec son épisode XI, sous-titré Les Combattants de la destinée. Même si les versions 3DS (sortie uniquement au Japon) et Switch (dont la date de sortie pourrait enfin être annoncée ce mois-ci) manquent à l’appel, on aurait tort de bouder son plaisir. Pourtant, certains semblent faire la fine bouche, et ils ne manquent pas d’arguments.
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Les monstres n’avaient jamais été aussi beaux
Classicisme. C’est un mot qui revient souvent à propos de Dragon Quest, l’éternelle saga rivale de Final Fantasy au panthéon des séries de jeux de rôle japonaises. Là où cette dernière cherche sans cesse à se réinventer, pour le meilleur et pour le pire (et parfois pour les deux en même temps), Dragon Quest dévie rarement de la ligne que ses auteurs lui ont fixée dans la deuxième moitié des années 1980 : le même système de combat au tour par tour revient presque inchangé d’un épisode à l’autre, tout comme le style graphique très rond et coloré imaginé par le grand Akira Toriyama (Dragon Ball, Dr Slump). Et alors qu’au cours de son histoire heurtée, Final Fantasy est passé successivement entre les mains de nombreux concepteurs (Hironobu Sakaguchi, Yasumi Matsuno, Tetsuya Nomura…), Dragon Quest reste, depuis 1986, l’œuvre d’un même trio : Akira Toriyama, le musicien Koichi Sugiyama et, surtout, son producteur, scénariste et véritable auteur Yuji Horii.
Dragon Quest XI, donc, ressemble beaucoup aux précédents Dragon Quest. Le premier plaisir découle d’ailleurs directement de ça : c’est celui des retrouvailles avec une esthétique, un ton, des créatures, des gimmicks, des sons. A ceci près que, si l’on met de côté les (fort recommandables) spin-offs Dragon Quest Builders et Dragon Quest Heroes, ce DQ nouveau est le premier en HD, ce qui amène à redécouvrir cet univers sous un jour nouveau. Les gluants, marteleurs et champigoules, ces monstres que l’on affronte inlassablement depuis l’épisode inaugural de 1986, n’avaient jamais été aussi finement dessinés – jamais aussi beaux. Pendant les premières heures, les admirer est déjà une joie en soi. Et puis, on se laisse bientôt entraîner par le récit.
L’essentiel est dans les détails
Un jeune garçon orphelin découvre qu’il est l’élu et, alors que le village où il vivait a été détruit, parcourt le monde avec quelques camarades dans le but de faire triompher le bien dans son éternelle lutte contre le mal. Voilà pour les grandes lignes, si conventionnelles pour un jeu de rôle japonais qu’on pourrait presque croire à la parodie. D’autant qu’il est arrivé à la série Dragon Quest elle-même de beaucoup plus oser par le passé, comme avec ses épisodes IV (qui nous confiait successivement cinq personnages appelés à s’allier dans la dernière partie du jeu) ou V (qui nous faisait accompagner le héros tout au long de sa vie). Mais, ici, la quête principale ressemble à un prétexte pour prendre la route et y faire des rencontres qui, comme presque toujours dans Dragon Quest, sont ce qui fait le prix de l’aventure. L’essentiel, une fois encore, est dans les détails qui se révèlent à chaque étape d’un voyage que l’on fera à pied, à cheval, en bateau (la composante maritime est essentielle dans ce Dragon Quest, qui pourrait bien être à la saga ce que The Wind Waker fut à Zelda), ou jonché sur divers monstres qui se transforment en monture une fois qu’on les a battus.
D’abord, il y a les mots, noms d’endroits ou de personnes qui sont autant de promesses, parfois complétés par quelques indications sur ce qu’on trouvera en atteignant l’une ou l’autre de nos destinations. On apprend ainsi que, dans les environs de Gondolia (la Venise d’un jeu où, ailleurs, on parle aussi avec l’accent français ou espagnol), la végétation est luxuriante et la pluie assez fréquente. Avant même qu’on y ait mis les pieds, les lieux se donnent à imaginer. Vivement qu’on puisse les contempler.
Le John Ford du jeu vidéo
Alors on court, on file vers la prochaine ville. Et puis non, parce que, sur notre route, il y a plein de monstres à affronter et que ces combats, même quand ils sont faciles – le jeu n’est dans l‘ensemble pas d’une difficulté féroce – et répétitifs, exercent sur nous un étrange attrait. Il y a la dimension stratégique, bien sûr, en choisissant de décider ce que font nos camarades (frapper, lancer un sort…) ou en laissant le programme s’en charger, mais aussi quelque chose d’un petit spectacle rythmique. Selon les cas, les combats de Dragon Quest XI nous stimulent ou nous bercent, nous réconfortent ou nous défient. Parfois, on s’y adonne en pensant à autre chose. Parfois, on habite pleinement ce que font nos héros. Parfois, aussi, on ne pense plus à rien. Dans tous les cas ou presque, c’est bien (d’autant qu’à part au cours de nos trajets en bateau ou lorsqu’il s’agit d’un boss, il est presque toujours possible d’éviter les combats si, pour une raison ou une autre, le cœur ne nous en dit pas).
Généreux en quêtes annexes ainsi qu’en activités – à titre personnel, on est déjà un habitué du casino de Puerto Valor – et plus “ouvert” que ses devanciers, Dragon Quest XI est aussi une merveille d’écriture et de sensibilité (à part peut-être avec le personnage ouvertement gay de Sylvando, dont le traitement est alternativement embarrassant et réjouissant). Un jeu qui touche juste et qui, la plupart du temps, ne confond pas l’humour et la moquerie, prouvant joliment qu’il est encore possible d’être à la fois drôle et “sérieux” : naviguant avec grâce entre la comédie et le mélo, Dragon Quest XI tourne résolument le dos au second degré. S’il n’y a pas de honte à rire franchement, il n’y en a pas non plus à pleurer et ce côté direct, franc et assuré est l’une de ses grandes qualités.
Classique, disait-on. Classique, mais pas académique, pas conservateur. Au cinéma, Dragon Quest serait signé John Ford (là où Final Fantasy, souvent baroque, tiendrait plutôt du RPG-western spaghetti). Il a trouvé sa forme, la bonne distance et s’y tient, mais reste constamment en mouvement. C’est ce qui, au final, le distingue de la quasi-totalité du reste de la production vidéoludique : ce sentiment largement paradoxal, en jouant, de partir pour un très grand voyage riche en découvertes et, en même temps, de rentrer chez soi. Parce que l’humain y est toujours ce qui compte le plus, ce qui importe vraiment. Cela vaut bien des innovations ludiques.
Dragon Quest XI : Les Combattants de la Destinée (Square Enix), sur PS4 et PC, environ 60€.
A noter, aussi, la parution chez Mana Books du beau livre Akira Toriyama – Dragon Quest – Illustrations (240p., 39,90€). On se (re)plongera aussi avec profit dans l’excellent La Légende Dragon Quest de Daniel Andreyev (Third Editions, 223p., 24,90€)
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