Sept associations d’ultra-droite, dont le Bastion social, ont été dissoutes lors du Conseil des ministres le 24 avril, comme Emmanuel Macron s’y était engagé lors du dîner du Crif. De la même manière que Manuel Valls en 2013 dans la foulée de la mort de Clément Méric, les autorités comptent sur la dissolution pour mettre fin à leurs agissements. Mais est-ce vraiment efficace ?
C’est désormais fait. Le 24 avril, Christophe Castaner a prononcé la dissolution de sept associations d’ultra-droite, dont le Bastion social. Emmanuel Macron avait fait connaître au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), il y a deux mois, sa volonté de dissoudre trois groupuscules d’extrême-droite – les néonazis Blood and Honour, Combat 18 et le plus connu et néo-fasciste « Bastion social ». Dans le viseur, les « associations ou groupent » racistes ou antisémites alors qu’un cimetière juif a été profané, et les tombes recouvertes de croix gammées, à Quatzenheim (Bas-Rhin) le 19 février dernier.
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LIVE | Face à la recrudescence des actes antisémites, discours devant le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF).https://t.co/xNt08mEDQd
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) February 20, 2019
Les dissolutions n’empêchent pas les militants de continuer leur combat
Dissoudre les groupuscules pour les empêcher de nuire. Manuel Valls y avait eu recours en 2013… sans grand succès. Dans la foulée des violences entraînant la disparition de l’antifa Clément Méric, la dissolution comprenait alors deux mouvements d’extrême-droite : « Troisième Voie » de Serge Ayoub, dont des membres étaient directement impliqués dans sa mort, et l’Œuvre française de l’ancien frontiste et fasciste assumé, Yvan Benedetti. Aujourd’hui, ils continuent leurs activités, en dépit des condamnations. L’un avec son violent groupe néonazi, les White Wolf Klan. L’autre avec le Parti Nationaliste français, parti ultranationaliste né en 1983 mais quasi inactif avant sa refondation en 2015 grâce à l’accueil des anciens de l’Œuvre française et des Jeunesses nationalistes révolutionnaire -le bras armé de « Troisième Voie ». Des condamnations n’empêchant pas ces militants de mener le combat qui est le leur. Mieux, Yvan Benedetti a été condamné en juillet dernier pour reconstitution de ligue dissoute. Encore aujourd’hui, l’intéressé continue ses activités sans vergogne.
Surenchère de la radicalisation
Face à l’impuissance de la dissolution, celle-ci pourrait avoir les airs d’une recette magique aux effets bien limités. D’autant plus qu’elle peut « engendrer des progressions de violence », rappelle Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême-droite et membre du Centre d’Etudes Politiques de l’Europe (Cepel) de l’université de Montpellier. « C’est vrai, par exemple au début des années 1970, les dissolutions de mouvements corses ont envoyé des membres dans des groupes terroristes clandestins qui se livraient à une surenchère pour s’imposer comme le nouveau référentiel. »
Loin de les abandonner à la solitude de l’exclusion, l’Etat jette dans la nature des éléments jusqu’alors encadrés, maîtrisés. « La légalité oblige à s’organiser, à définir des positions. Pourtant, elle entraîne non seulement une pacification mais aussi des luttes de personnes et de courants qui neutralisent une part de la subversion ; elle nécessité des organigrammes donc simplifie la surveillance, bref elle embourgeoise et neutralise », complète le chercheur. La dissolution d’Ordre Nouveau en 1973 -mouvement d’inspiration néofasciste ayant participé à la naissance du Front National- a ainsi eu pour effet de faire passer à l’action directe les membres les plus radicaux. « Le risque d’une dissolution c’est donc d’obtenir l’effet inverse qu’espéré : un plus grand trouble à l’ordre public. »
De fait, faire de la violence un élément majeur, souvent esthétisée, de ces groupes, c’est certes reconnaître l’histoire dont ils sont les héritiers, mais c’est aussi ignorer l’impopularité des actions violentes. Dès 1964, le théoricien d’extrême-droite et maître à penser du Bastion social, Dominique Venner, recommande dans Pour une critique positive la fin des actions violentes, jugées inadéquates à la société actuelle, afin de mener un combat culturel pour normaliser auprès du public leurs idées. La Librairie Nouvelle est une des incarnations de cette pensée. D’ailleurs, c’est cette même intériorisation qui motive ses éléments les plus radicaux à pousser eux-mêmes la porte de sortie. C’était le cas de Logan Nisin, ancien membre de l’Action Française Provence abandonnant le mouvement maurassien pour créer sa néo-OAS. Arrêté à l’automne de la même année, il était soupçonné de préparer des attentats contre des migrants, et des politiques comme Jean-Luc Mélenchon.
Des éléments indivisibles à l’ère des réseaux sociaux
En multipliant les modes de communication (Facebook, Twitter, VK), ces groupes sont de fait organisés par-delà tout cadre juridique déterminé par une association. Dans la foulée de l’annonce du président Macron, le Bastion social n’en démordait pas. « Avec nos avocats, on verra comment continuer à faire valoir nos idées sous une autre forme », soutenait le président du mouvement, Valentin Linder, dans des propos recueillis par l’Alsace, avant d’ironiser : « Si on ne peut plus utiliser le nom, au pire, ça changera nos t-shirts et nos drapeaux ».
Dans un contexte tendu, les dissolutions peuvent être ainsi des « dissolutions de pur confort pour l’Etat », analyse Nicolas Lebourg soulignant l’objectif de ramener le milieu au calme à l’époque de l’affaire Clément Méric. « Mais en même temps, quand on voit qu’Envie de rêver [association dont le local abritait ‘Troisième Voie’ et les ‘Jeunesses nationalistes révolutionnaires’] était dans les décrets, alors qu’il n’y avait aucune raison, et que résultat le conseil d’Etat a annulé cette dissolution, avec un arrêt en tous points judicieux, on sent le coup mal réfléchi ». Face aux profanations de cimetière juif, ou aux agressions verbales d’un Alain Finkielkraut, la dissolution voudrait faire croire qu’elle émerge en réaction immédiate à la montée de l’antisémitisme. Sauf que, à en croire Mediapart, la dissolution était déjà dans les tuyaux…depuis deux mois pour « incitation à la constitution d’un groupe armé lors de l’Acte III des ‘gilets jaunes’ « .
Face au casse-tête de la dissolution, quelques solutions alternatives pourraient être pensées, selon le chercheur Nicolas Lebourg à l’image de « l’adaptation du modèle allemand de surveillance des radicalités, en enlevant la dimension sécuritaire et policière, et l’engagement d’une sensibilisation des forces politiques et entreprises médiatiques, l’usage réfléchi de la législation antiraciste, ou sur les appels à la violence ». Autant de moyens pour l’universitaire afin de contenir une radicalité violente et fournir une « une soupape de sécurité aux colères et ressentiments sans que la vague n’emporte l’ordre républicain et les valeurs de l’humanisme égalitaire qui doivent le fonder ».
De l’opprobre à l’auréole du martyr
De la dissolution, des acclamations pourraient survenir des deux camps, de ceux la subissant et ceux la réclamant. Jean-Yves Camus, autre spécialiste de l’extrême-droite, rappelait gravement à l’occasion de la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, le 30 janvier dernier, qu’il ne fallait pas « leur donner l’auréole qu’ils cherchent qui est celle du martyr ». Yvan Benedetti, dont le continuel engagement a participé à forger l’image d’un militant »pur », en sait quelque chose, et complète : « Ça donne une légitimé, ça montre qu’on est un opposant au Système et qui ne fait pas semblant puisqu’il vous interdit. Ça légitime ton combat ». Une légitimité reconnue par les militants alors qu’il nous apprend qu’à l’issue sa condamnation pour reconstitution de ligue dissoute en juillet 2018, un important donateur s’est fait connaître pour lui apporter un soutien financier à la liste qu’il présentera aux élections européennes. « Ça ne fera pas tout mais aidera grandement. »
L’opprobre délivré par la République devient alors un motif de fierté. « Président envers et contre tout de l’Œuvre française mouvement interdit par Valls quand même! », peut-t-on lire sur le compte Twitter de celui continuant son combat au Parti nationaliste français. Et encore récemment, le 19 janvier dernier, alors qu’il haranguait une foule de 400 militants -où Alain Soral, Hervé Ryssen, écrivain antijuif, et Jérôme Bourbon, directeur du journal d’extrême-droite Rivarol, participaient -, il rappelait sa volonté d’aller chercher Manuel Valls « jusqu’en enfer pour lui faire payer cette forfaiture de l’interdiction de l’Œuvre Française. […] L’Œuvre française qui a la légitimité française. On ne dissout pas l’Œuvre française comme on ne dissout pas la France ». Tonnerre d’acclamations dans la salle comble.
Article mis à jour le 25 avril 2019 à 11h05, avec la dissolution des associations par le Conseil des ministres.
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