Après onze années d’attente entrecoupées d’une tentative de reboot et de quelques rééditions HD, le véritable cinquième épisode de l’une des plus grandes séries de jeux d’action japonaises est enfin arrivé. Et ça valait la peine de patienter : aussi spectaculaire qu’intelligent, “Devil May Cry 5” est étourdissant.
C’est quand Véra a débarqué avec le van qu’on a tout compris : cette balade entêtante et néanmoins musclée au pays des monstres, du “dévoreur infatigable”, de l’“usurpateur maléfique”, de l’“abomination d’outre-monde”, était sans nul doute un épisode inédit de Scooby-Doo. Un très chouette épisode, d’ailleurs, avec un Sammy gothique et tatoué – il s’agissait bien évidemment d’un déguisement –, un Fred grimaçant sous sa perruque blanche, une Véra, donc, rebaptisée Nico et ayant renoncé au col roulé, et un Scooby grimé en panthère – ou peut-être en griffon, à la réflexion. Un épisode nettement plus rythmé (et sanguinolent) que dans nos souvenirs, mais qui provoquait toujours le même effet, se disait-on en traversant, incrédule, ses décors hantés sans se départir d’un large sourire.
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La Divine Comédie de Dante comme influence
En principe, il s’agit pourtant de tout autre chose : du nouveau volet de l’une des sagas reines du jeu d’action japonais moderne, Devil May Cry, née en 2001 dans les studios de Capcom d’une tentative avortée de donner une nouvelle orientation à la série Resident Evil. Son héros – mais pas l’unique personnage que l’on dirige dans cet épisode 5 – s’appelle Dante, et ce n’est pas du tout un hasard si certains éléments des jeux (noms, lieux…) rappelleront aux plus lettrés des gamers La Divine Comédie du poète florentin du même nom, et plus précisément sa première partie, L’Enfer.
Série-phénomène du début du millénaire, Devil May Cry semblait curieusement ne plus trop savoir où aller depuis une dizaine d’années. Alors que son créateur Hideki Kamiya, parti fonder Platinum Games avec quelques anciens collègues, poussait à l’extrême les idées de Devil May Cry (en les mariant avec pas mal d’autres) dans l’époustouflant Bayonetta, Capcom tentait le reboot (avec le mal-aimé mais superbe DmC : Devil May Cry du studio britannique Ninja Theory), la compilation ou le portage HD, mais tardait à offrir une “vraie” suite à son DMC 4. Onze ans après, elle est enfin arrivée. Et l’attente est largement récompensée.
Trois héros, trois façons de jouer
Dans Devil May Cry 5, trois héros nous sont confiés. Il y a bien sûr l’emblématique Dante, mais il ne devient jouable qu’assez tard dans l’aventure. Avant cela, on alterne entre Nero, un jeune homme apparu dans l’épisode précédent dont l’un des bras est remplacé par des prothèses aux pouvoirs divers (dont, si on le souhaite le Mega Buster de ce bon vieux Mega Man), et l’étrange V, qui se plonge dans son recueil de poèmes de William Blake en pleine action et envoie des créatures surnaturelles affronter les démons à sa place. Trois héros dans un même jeu, ce n’est pas inhabituel (cf GTA V, parmi bien d’autres), mais là où DMC 5 se distingue, c’est dans le fait que chacun d’eux se contrôle d’une manière distincte. Et comme Dante lui-même a la possibilité de combattre selon quatre “styles” différents (entre lesquels on est libre de zapper à volonté), c’est une variété ludique assez folle qui s’offre ici au joueur.
Pour leurs scènes les plus spectaculaires, les jeux comparables comme God of War ou même Bayonetta, héritiers en 3D du genre beat’em up d’antan (qui, étrangement, se traduit historiquement par “beat them all” en français), ont souvent recours aux QTE, séquences semi-jouées dans lesquelles le joueur doit seulement (mais dans le bon timing) appuyer sur une touche précise de la manette (ou éventuellement la marteler sauvagement). Pas de ça dans Devil May Cry 5, où les “exécutions” des monstres de fin de niveau sont présentées dans des scènes cinématiques non interactives. Ce qui, au fond, est assez révélateur. Ici, on ne fait pas semblant : l’auteur de ces mouvements acrobatiques n’est pas le joueur. En revanche, quand c’est lui, c’est vraiment lui – qui a appris à maîtriser les systèmes de combat, qui a choisi et exécuté tel ou tel combo compliqué. Plus qu’ailleurs. Là non plus, on ne triche pas.
La beauté du faux
Mais revenons à Scooby-Doo. Les monstres, justement, sont introduits dans le jeu par un écran de présentation, avec leur nom et ce que l’on peut difficilement appeler autrement que la définition de leur “rôle”. Il y a l’“impératrice de la vermine”, par exemple, ou le “prédateur fulgurant”. Cela vaut aussi pour certains protagonistes qui figurent dans notre camp, à l’image de Trish, présentée comme “la diablesse envoûtante”. On croirait presque lire le scénario d’un film, ou la bible d’une série. Ou entendre les indications supposées inspirantes d’un metteur en scène à ses interprètes. Voilà ce qu’est vraiment ton personnage, voilà comment tu dois le jouer. Imagine toi comme un “titan maraudeur”. Car, dans DMC 5, où la victoire compte presque moins en elle-même que le nombre de “points de style” reçus en gagnant, tout est jeu, performance, spectacle. Le récit et sa mythologie ne sont qu’un prétexte : ce qui compte, c’est la course, la danse, la manière dont on occupe la scène. Plus tard, peut-être, les masques tomberont et on réalisera que tout cet enfer visqueux et tranchant, toutes ces mutations cauchemardesques et dégoulinantes, ces insectes géants qui se battent entre eux dans ce qui ressemble à l’intérieur d’un corps, ces tentacules hérissés de piquants qui sortent soudain du sol, c’était juste un vieux bonhomme caché sous un drap blanc assisté par quelques automates. Mais, pour l’instant, on est complètement dedans, dans son rôle. Sur le moment, tu vois, Sammy, c’est le plus important.
Ce qu’exalte Devil May Cry 5, c’est la beauté du faux qui devient plus juste, révélateur et profond, plus vrai que le vrai. C’est une certaine vision du jeu (vidéo, mais pas seulement) qui est aussi une idée de l’art. Et tant pis si les punchlines sont parfois assez lourdes, la narration un rien appuyée et la musique d’une peu flagrante subtilité. L’idée devenue forme, élan, geste transfigure tout le reste.
Devil May Cry 5 (Capcom), sur PS4, Xbox One et PC, de 50 à 60€
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