Après les Juifs, les Noirs et les Arabes, la série documentaire Pourquoi nous détestent-ils ? consacre ses nouveaux volets aux pauvres, aux femmes et aux homosexuels.
Juliette Arnaud a 21 ans, elle vient de s’inscrire au Cours Florent quand un jour, alors qu’elle sort de classe en jupe courte et talons, un homme lui met “une énorme main au cul” dans la rue. Sous le choc, l’étudiante se retourne vers sa bande de potes et les prend à témoin. Une fille lui répond : “Bah oui, mais t’as vu comment t’es sapée aussi ?”
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En partant de cette expérience personnelle de la misogynie et de son acceptation sociale, l’actrice, qui a 44 ans aujourd’hui, s’interroge sur les ressorts des discriminations faites aux femmes dans un documentaire de la série Pourquoi nous détestent-ils ?.
Des acteurs de la société civile engagés
Après une première salve consacrée l’année dernière aux clichés sur les Juifs, les Noirs et les Arabes – certaines scènes avec Henry de Lesquen ou un militant raciste lors de la commémoration de Jeanne d’Arc ont marqué les esprits –, cette nouvelle saison se penche sur le mépris dont font l’objet les pauvres (l’épisode est réalisé par Michel Pouzol, le député PS qui a connu une période de très grande pauvreté), les homosexuels et donc les femmes.
Au moment de l’affaire Weinstein, de la libération de la parole sous le hashtag BalanceTonPorc ou des accusations d’agressions sexuelles au sein du Mouvement des jeunes socialistes, le questionnement de Juliette Arnaud dans Pourquoi nous détestent-ils, nous les femmes ? est brûlant.
Suivant le principe des documentaires “incarnés” souhaités par Alexandre Amiel – créateur de la société Caméra subjective et initiateur de la série –, la comédienne interroge d’abord son entourage, puis élargit le propos en consultant des spécialistes, des acteurs de la société civile engagés dans la lutte contre le sexisme, ainsi que leurs adversaires les plus fervents.
On retiendra son dialogue avec Virginie Despentes. Pour l’écrivaine, il faut paradoxalement voir dans les comportements machistes actuels le signe que la lutte pour l’égalité entre les sexes avance : “Le féminisme est un des mouvements qui a le plus changé le monde occidental des années 1960 à aujourd’hui. On a réussi une révolution totale. (…) Si on continue, on changera le monde même dans son économie. C’est une bonne nouvelle qu’il y ait une résistance.”
Les actes homophobes ont augmenté de 78 % entre 2012 et 2014
De fait, comment interpréter la une du magazine Causeur sur la “terreur féministe” à l’été 2015, sinon comme la manifestation d’une colère et d’une peur liées au fait que les femmes prennent de plus en plus de pouvoir ? Interrogée par Juliette Arnaud, la directrice de la rédaction Elisabeth Lévy estime que “le féminisme a accompli sa mission historique”. Manière de dire qu’il ne devrait pas aller plus loin, en réclamant par exemple le droit à la procréation médicalement assistée…
Ce thème traverse également le documentaire consacré à la haine homophobe et lesbophobe, réalisé par Gurwann Tran Van Gie, “39 ans dont 19 ans d’homosexualité assumée”. Alors que les actes homophobes (insultes, menaces ou agressions physiques) ont augmenté de 78 % entre 2012 et 2014, et dans le sillage de La Manif pour tous, il s’interroge sur les mécanismes sociaux à l’œuvre dans cette hostilité tenace.
Pour cela, il se confronte à un jeune homme ouvertement homophobe, près du fief du mouvement catholique traditionaliste, l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Celui-ci affirme sans ciller : “Le fait d’aimer un homme, moi, je ne comprends pas. (…) Ce n’est pas refuser la réalité, c’est refuser le mal.” “Et s’ils sont heureux ainsi ?”, l’interroge Gurwann Tran Van Gie. “Est-ce qu’ils sont vraiment heureux ?”, persiste le jeune catho tradi.
Aux yeux du sociologue Eric Fassin, cette intolérance est caractéristique : “L’homophobie révèle une crainte que l’hétérosexualité ne soit pas si naturelle.” Il souligne cependant que le combat avance, même si “la représentation nationale reste définie par une présomption d’hétérosexualité”.Dans l’épisode consacré à la “pauvrophobie”, un constat similaire est établi par Michel Pouzol concernant les classes populaires.
Ce fils d’ouvrier, passé par le RMI et élu député en 2012, déclare à propos de l’Assemblée nationale : “D’où on vient, on n’arrive jamais ici.” Son face-à-face avec Yves de Kerdrel, le patron de Valeurs actuelles, dont les unes du type “ces assistés qui ruinent la France” ne sont pas rares, témoigne du chemin qui reste encore à parcourir pour anéantir les préjugés. Les dialogues à la fois intimes et universels instaurés par ces documentaires constituent une belle contribution à cette tâche. Mathieu Dejean
Pourquoi nous détestent-ils, nous les pauvres ? Disponible en replay ; Pourquoi nous détestent-ils, nous les homosexuels ? ; Pourquoi nous détestent-ils, nous les femmes ? Les 4 et 11 décembre, 20 h 55, Planète+
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