Suite d’un phénomène du jeu en ligne, le nouveau titre futuriste des créateurs de « Halo » ne se contente pas de corriger les principaux défauts de l’épisode précédent. La grande affaire de « Destiny 2 », c’est d’abord de brouiller la frontière entre l’expérience collective et l’aventure solitaire.
C’est un échec total. Une catastrophe, même, cette tentative de jouer à Destiny 2 en ignorant les autres, pour voir si c’est possible et, si oui, ce que ça fait – et aussi un peu parce que les autres, parfois, on vit (on joue) mieux sans. Destiny 2 est la suite de l’un des phénomènes vidéoludiques de ces dernières années qui, après avoir été mollement accueilli à sa sortie en 2014, est devenu au fil des mois (et grâce en particulier à une succession de DLC qui l’ont nettement amélioré) le titre préféré, voire unique, d’une multitude de joueurs. Leur jeu-doudou, leur terrain d’e-sport et leur espace de rencontre à la fois. Un peu comme World of Warcraft en son temps, mais en plus musclé, en plus nerveux. Après des centaines (voire des milliers) d’heures passées à faire progresser leur personnage (qui, au fil des parties, gagne des niveaux, améliore son équipement, etc.), ils vont devoir tout reprendre à zéro. Dur pour eux ? Oui et non, car pour ceux qui ont adoré la montée, c’est une bénédiction de pouvoir la recommencer.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avant Destiny, il y eut Halo, la magistrale (et très influente) série de FPS qui a fait connaître le studio américain Bungie et dont les éléments de base (le jeu de tir en vue subjective, la science-fiction, le sens du rythme et la prime au mouvement, le soin apporté au level design et à la direction artistique) sont toujours là. Ce qui distingue vraiment Destiny 1 et 2, c’est leur manière de s’approprier ce qui a fait le succès des MMORPG comme World of Warcraft sans pour autant renoncer aux fondamentaux du FPS type Halo. Le résultat est une expérience hybride, une aventure quasi cinématographique et en même temps un jeu en ligne sans (vraie) fin, un monde ouvert très contemporain qui est aussi une collection de niveaux presque à l’ancienne, un temple à la gloire du multijoueur que rien n’interdit de visiter tout seul. Sur le papier, en tout cas.
Nous voici donc lancé dans la « campagne » de Destiny 2, qui constitue moins son mode principal que sa porte d’entrée, l’idée généralement admise étant que les choses sérieuses commencent quand l’histoire s’achève, que tout le monde a atteint le niveau 20 et qu’on peut partir s’encanailler en groupe l’arme au point sur les planètes du jeu – la Terre qui a bien changé, Titan et Io, satellites respectivement de Saturne et de Jupiter, ou la glacée Nessos.
La campagne en question vaut pourtant largement le détour, dans Destiny 2 plus que dans le premier, et il n’y aurait pas forcément de quoi crier au scandale si l’affaire s’arrêtait là. Sauf qu’ici, tout est lié, et que même si on décide de jouer les aventuriers solitaires, les autres se rappellent constamment à nous.
Sur la carte, des icônes aisément reconnaissables nous indiquent les différentes activités. Il y a la campagne solo, donc, mais aussi beaucoup de choses à faire à plusieurs dont les plus irrésistibles sont, sans doute, les « événements publics« . Le jeu ne manque d’ailleurs jamais une occasion de nous faire savoir que, là, tout près de cet endroit où on traînasse en admirant le paysage (qui, ici, le mérite souvent) avant d’attaquer la mission suivante, l’un desdits événements va débuter sous peu. Partout, les autres sont là, qui arpentent les mêmes chemins que nous, se glissent dans les mêmes cavernes, explorent les mêmes entrepôts. Soudain, des tirs se font entendre de l’autre côté d’un grand bâtiment. Quelqu’un aurait besoin d’être ranimé, nous indique-t-on à l’écran. On y va ?
Historiquement, dans le jeu vidéo, le multijoueur est un mode à part que l’on sélectionne dans un menu. En la matière, Destiny ne se contente pas de rassembler le solo et le multi : il inverse la perspective et fait du jeu sans coéquipiers l’exception alors que le collectif est la règle. D’où un sentiment étrange en pleine campagne, et pas seulement lorsqu’on galère face à un ennemi particulièrement coriace et qu’on ne dirait pas non à un peu de renfort : finalement, ces autres que l’on voulait fuir nous manquent. Pour tout dire, on se sent un peu seul, là, sans eux.
Où sont-ils, d’ailleurs, et que font-ils en ce moment même, ces inconnus ? Mine de rien, on a pris goût à leur présence. Pas seulement à force de jouer avec eux – ça, c’est le lot commun du multijoueur – mais de partager le même espace. De les croiser, de savoir qu’il y a de la vie dans le coin. Plonger dans Destiny 2, ce n’est pas seulement vivre de folles aventures, emmagasiner des trésors et revoir obsessionnellement la tenue et l’armement de notre alter ego virtuel. Ce n’est pas forcément partir au combat : c’est parfois aussi, tout simplement, sortir de chez soi, descendre dans la « rue » et faire l’expérience, même minimale, de la communauté – de l’humain. A la limite, peu importe avec qui et de quelle façon.
Dans Player One, le roman d’Ernest Cline dont l’adaptation par Steven Spielberg sortira au cinéma l’an prochain, l’Oasis, un MMORPG devenu monde virtuel à part entière où l’on se rencontre, joue et même va en cours, a succédé à l’Internet qu’on connaît aujourd’hui. Les personnages voguent de planète en planète, pour y mener des quêtes ou simplement par curiosité. Mais aussi pour découvrir comment, par exemple, le créateur de l’Oasis né en 1972 y a recréé la ville de son enfance.
C’est cette vision d’un futur possible, excitant et effrayant à la fois, qu’évoque Destiny 2, dans une version, certes, encore limitée et essentiellement belliqueuse – le jeu reste un FPS, la norme y est l’affrontement. Rien n’empêche bien évidemment de se lancer tout seul et de trouver son plaisir à contre-courant. C’est un choix, un parti pris, voire une posture de résistant. Mais, autour de nous, et du même coup en nous, rien ne sera plus tout à fait comme avant.
Destiny 2 (Bungie / Activision), sur PS4 et Xbox One, environ 60 €. A paraître sur PC.
{"type":"Banniere-Basse"}