Le leader du Mouvement 5 Etoiles baisse le ton : après avoir enflammé les places italiennes et dénoncé les méfaits de la classe politique sur son blog, Beppe Grillo adopte aujourd’hui une communication bien plus conventionnelle. Il accepte d’intervenir dans les médias et se dit même prêt à dialoguer avec les autres partis politiques. Simple changement de forme ou mise en oeuvre d’une nouvelle stratégie politique ?
Habitués aux tirades incendiaires postées sur son blog et à ses coups de gueule sur la place publique, c’est avec étonnement que les Italiens découvrent ces jours-ci un nouveau Beppe Grillo. Le leader du mouvement 5 étoiles, qui méprisait les médias autant que les partis politiques, a accordé un entretien à l’un des principaux quotidiens italiens, le Corriere della Sera. Ce n’est pas fini : il y fait son mea culpa, reconnaissant s’être “peut-être trompé” et se dit prêt à “dialoguer avec tous”, même avec le Parti Démocrate de Matteo Renzi, jusqu’à présent très critiqué par le Mouvement 5 Etoiles. Quelques jours plus tard, c’est au tour du co-fondateur et gourou du mouvement, Gianroberto Casaleggio, de s’exprimer sur le journal italien : pas de coup de bluff donc, le M5S semblerait bien prêt à collaborer. Le trublion de la politique italienne se serait-il assagi ?
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La stratégie de l’isolement n’a pas payé
Rien de vraiment étonnant sur le principe : c’est l’histoire déjà lue du parti politique qui nait extrémiste puis se normalise pour survivre. C’est plutôt la temporalité qui interroge : pour certains, Beppe Grillo aurait attendu trop longtemps. “Le mouvement 5 étoiles est resté pendant deux ans dans une phase infantile, ne faisant que critiquer, dans l’espoir que l’Italie sorte de l’euro pour pouvoir asséner le coup de grâce”, affirme le politologue Paolo Feltrin. Mauvais pari : le gouvernement s’est stabilisé, on commence même à parler de reprise économique. Pendant que Grillo s’époumone, deux nouvelles figures, le président du Conseil Matteo Renzi et le leader de la Ligue du Nord Matteo Salvini, lui volent la vedette en termes de nouveauté. “Le M5S s’était présente comme inédit, capable de renouveler la politique en inventant de nouveaux espaces et langages hors des canaux traditionnels de participation. Mais cette phase est terminée”, rappelle Edoardo Greblo, auteur de La Philosophie de Beppe Grillo. Le Mouvement 5 Etoiles.
D’autant plus que Renzi met à mal un des principaux chevaux de bataille de Beppe Grillo : la lutte contre la “caste”, cette classe politique figée et attachée uniquement à ses privilèges. Abolition du Sénat, diminution des dépenses politiques, revenu de citoyenneté… à coup de réformes, “Renzi est en train de priver Grillo de l’une de ses principales armes. D’ailleurs le M5S ne parle plus constamment de la caste comme il le faisait à ses débuts”, rappelle Alberto di Majo, auteur de Casaleggio, il grillo parlante.
Un véritable bouleversement stratégique
La stratégie de l’isolement n’a pas payé. Et les électeurs ont parlé. Depuis les élections de 2013, Grillo est allée d’échec en échec : exclusion de nombreux parlementaires, mauvais résultats aux dernières élections régionales et européennes… Le M5S est désormais très loin des 25% avec lesquels il avait fait son entrée triomphante sur la scène politique. Un échec qu’on ne peut pas uniquement mettre sur le compte du naturel essoufflement qui suit l’enthousiasme des débuts. La vrai problème, c’est que Grillo n’a rien fait. “Un Italien sur quatre a voté sur toi, et tu ne comptes pour rien, tu n’as aucune influence ? Et tout cela parce que tu refuses de discuter avec qui que ce soit parce que tu considères que tous les autres sont des voleurs ? Ca pouvait peut-être marcher à l’époque de Berlusconi, mais avec Renzi ou encore Salvini, dans lequel beaucoup d’Italiens se reconnaissent, ce n’est plus possible”, tranche Alberto di Majo.
Seule façon de changer la donne : entrer dans l’arène politique et se salir les mains. Pour Edoardo Greblo, Grillo n’a plus le choix : “s’il ne veut pas que le M5S soit plus qu’une de ces météores qui traversent le paysage politique italien, s’il ne veut pas gâcher son potentiel, il doit s’ouvrir à la confrontation et à la médiation”.
Son objectif ? Les prochaines élections générales
Les dernières interventions de l’ancien comique vont dans ce sens. Plus qu’un changement de communication, c’est un véritable bouleversement stratégique qu’opère le leader du M5S avec son entretien au Corriere della Sera et ses propositions de dialogue. Son objectif ? Les prochaines élections générales. La déstabilisation de la droite italienne joue en faveur de Grillo : elle crée un potentiel vivier d’abstentionnistes dans lequel Grillo peut puiser. A condition d’apparaitre comme une vraie force gouvernementale. C’est pourquoi le leader du M5S joue aujourd’hui la carte de la modération. Paolo Pombeni, politologue et professeur à l’université de Bologne, appelle cela la stratégie de la douche écossaise. “En plus de ses attaques traditionnelles, il ouvre des terrains d’entente. Ce n’est qu’ainsi que le M5S peut être perçu comme capable de rivaliser avec le Parti Démocrate”.
Une stratégie gagnante ? Malgré ses échecs, le mouvement reste encore le troisième parti italien. Et le Grillo apaisé pourrait être plus redoutable encore que le leader soupe au lait qui a incarné jusqu’à présent le M5S. A condition que son électorat accepte le tournant modéré. Autre risque : la confrontation avec les autres partis sur des questions précises pourrait faire éclater les contradictions inhérentes au mouvement, dont l’électorat reste très hétérogène. Les élections régionales de mai nous en diront certainement un peu plus.
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