Quatrième volet spectaculaire et luxueux de la saga, « Batman : Arkham Knight » s’annonce déjà comme le blockbuster vidéoludique de l’été. Mais le jeu souffre d’un cruel manque d’audace qui rend l’expérience plutôt triste et pesante.
Pour Polygon, qui lui a attribué sa note maximale (10 sur 10), c’est le « meilleur jeu de cette génération de consoles ». Le site américain n’est pas seul à s’emballer pour Batman : Arkham Knight, le quatrième titre de la série après Arkham Asylum, Arkham City et le prequel (développé en interne par Warner alors que les autres sont l’œuvre des Anglais de Rocksteady Studios) Arkham Origins. Depuis sa sortie, celui-ci s’est tranquillement installé dans le peloton de tête des jeux les plus appréciés par la critique sur PS4 et Xbox One – mais pas pour sa version PC, bourrée de bugs et provisoirement retirée du commerce. Ce serait un aboutissement pour la saga, voire un exemple à suivre pour les développeurs de blockbusters. On espère pourtant qu’Arkham Knight ne fera pas trop d’émules.
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Plus ça change, plus c’est pareil
Pas de malentendu : ce Batman n’est pas exactement un mauvais jeu vidéo. Il correspond d’ailleurs assez bien à l’idée que l’on peut se faire aujourd’hui d’un jeu à grand spectacle et à gros budget, d’une suite et d’une adaptation de bande dessinée. Il y correspond même tellement que c’en est assez désespérant. Première règle : plus ça change, plus c’est pareil. Après l’asile et la ville d’Arkham dans les épisodes précédents, le terrain de jeu s’étend cette fois à la totalité de Gotham City ? Qu’importe : la mégalopole a été vidée de ses habituels habitants et on n’y croisera que des psychopathes méchants. Et il y fera toujours nuit. Et en plus, il pleut. Ne pas s’attendre à trouver un point de vue original sur ladite ville, l’univers de Batman et au-delà comme quand, par exemple, Tim Burton et Christopher Nolan s’en emparent au cinéma. Arkham Knight est un jeu vidéo qui ne semble viser rien de plus que ce que font couramment les jeux vidéo.
Une succession de corvées
Il commence donc par multiplier les gadgets (grappin, gel explosif, costumes spéciaux…) qui sont pour le joueur autant d’outils de travail. Car jouer à Batman : Arkham Knight, c’est un peu aller au boulot et accomplir une succession de corvées. Il faut se rendre à tel ou tel endroit, trouver un chemin pour la Batmobile, libérer tel ou tel personnage… Comme dans bien des jeux vidéo ? Certes, et ce n’est déjà pas nécessairement une qualité en soi, mais, par sa manière à la fois insistante et incomplète, de « diriger » le joueur, Arkham Knight donne surtout l’étrange sentiment que l’on n’est jamais ni totalement libre (comme dans Infamous, qui travaille la figure du super-héros aux grands pouvoirs et aux grandes responsabilités) ni guidé efficacement (comme dans Arkham Asylum), mais dans un entre-deux assez inconfortable. Comme si l’enjeu n’était pas, pour nous, dans l’invention (d’une manière de résoudre un problème) ou au contraire dans l’exécution (singulière, avec notre propre « style de jeu ») mais, plus prosaïquement, dans la recherche de l’action que le jeu attend à ce moment précis. Comme s’il s’agissait, disons, de compléter une phrase à trous en retrouvant le mot manquant. On n’est pas obligé de trouver ça grisant.
La grande nouveauté de cet épisode, c’est l’omniprésente Batmobile. Qui file dans les rues obscures, se change en tank pour combattre et grimpe même sur les toits. Parfois, c’est elle qui nous mène mais, bientôt, l’impression s’installe que, non, en réalité, c’est plutôt nous qui la traînons. Il faut lui trouver un tremplin, lui ouvrir un passage pour l’amener là où le jeu la veut – par exemple parce qu’il faut détruire un mur au moyen de son treuil intégré. Et si, par malheur, on la fait tomber d’une plateforme, il faudra recommencer. C’est souvent fastidieux. Au moins, avec un Batcopter, on serait vite sur place. Vite débarrassé, vite libéré.
Une caricature de jeu de garçon
Ainsi progresse l’aventure, toujours très sérieuse, voire pompeuse. Ici, on ne connaît pas vraiment l’humour et pas non plus tellement les sentiments. C’est globalement sinistre, plutôt répétitif et, même à ciel ouvert – mais sur Gotham le ciel est bas –, ça sent pas mal le renfermé. Pesant sur tous les plans, Arkham Knight est une caricature de jeu de garçon. De garçon sans âge qui accumule les déguisements, les jouets, les gadgets et, lorsqu’il les contemple, ne peut en exclure aucun. Alors il les sort tous, les empile, baisse les stores, oublie le monde extérieur et fait des voix bizarres avec sa bouche. Ce n’est pas condamnable en soi, ça peut même être très sain et rigolo, mais on espérait davantage des développeurs de Rocksteady – de l’imagination, de l’audace, un point de vue, des vrais choix. Les fans (de Batman, de ses corps et décors, de ses codes, de ses mots-clés) sont parfaitement servis. On aurait préféré qu’ils soient un peu bousculés (par un Batman pop ? camp ? bondissant ? amoureux ?), un peu déstabilisés, un peu surpris. Peut-être même qu’eux aussi.
Batman : Arkham Knight (Rocksteady Studios / Warner), sur PS4 et Xbox One, environ 50 €
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