Avec des titres comme « Bayonetta », « Vanquish », « Metal Gear Rising » ou « The Wonderful 101 », le studio Platinum Games s’est imposé en dix ans comme le grand spécialiste du jeu d’action japonais. Envoyant le joueur se battre dans un sombre monde futuriste en compagnie à la fois d’un flic débutant et du monstre extraterrestre que celui-ci tient au bout d’une laisse, « Astral Chain » pourrait bien être sa production la plus aboutie.
Un (grand) jeu peut en cacher un autre. Alors que le monde vidéoludique attendait fiévreusement le retour de sa sorcière bien-aimée dans Bayonetta 3 qui, annoncé en décembre 2017, n’a toujours pas de date de sortie officielle, le studio Platinum Games travaillait en parallèle et dans l’ombre sur un tout autre projet destiné lui aussi à la Switch : Astral Chain. Un jeu qui, dix ans après la sortie de MadWorld, sa très sanglante première production, et en dépit de notre amour immodéré pour Bayonetta, pourrait bien être le plus abouti de cette maison à part, fondée au milieu des années 2000 par quelques grands noms venus de Capcom (Hideki Kamiya, Shinji Mikami, Atsushi Inaba…) où ils avaient œuvré sur des titres aussi importants que Resident Evil, Devil May Cry ou Okami.
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Plus qu’un « simple » jeu de combat
Si Astral Chain ressemble à un aboutissement pour Platinum, c’est parce qu’il donne le sentiment de tirer assez finement les leçons de ces dix années globalement glorieuses – à une Légende de Korra et une piteuse aventure des Tortues Ninja près, disons. Et notamment celle-ci : il n’est pas forcément mauvais de se poser un peu et de prendre son temps. De ce point de vue, la participation de Platinum et d’abord de Takahisa Taura, qui est le réalisateur principal d’Astral Chain, au développement du génial jeu de rôle Nier : Automata aux côtés du grand fou Yoko Taro est peut-être ce qui pouvait lui (et nous, du coup) arriver de mieux. Car si ses scènes d’action se révèlent absolument renversantes, le jeu ne se résume pas à une suite d’affrontements tendus et spectaculaires contre des créatures surnaturelles. Ces derniers ne constituent en effet qu’une partie de l’expérience, au même titre que les phases d’enquête, de dialogue, de préparatifs ou simplement de déambulation à travers les rues de cet univers de science-fiction et les couloirs de son poste de police. Loin de la monomanie bagarreuse, Astral Chain se révèle ainsi un jeu multidimensionnel. Ça tombe bien : les dimensions multiples, c’est un petit peu son sujet.
Le monstre en nous
“Une dimension infinie totalement étrangère à la nôtre, reliée à la Terre par des trous de ver appelés portails. Cet endroit inhospitalier, entièrement fait de cubes de données cristallisés, baigne dans la corruption chimérique.” Ainsi nous est présenté le “Plan astral”, sorte de labyrinthe semi-abstrait à ciel ouvert où, dirigeant celui ou celle qu’on s’est choisi(e) comme héros parmi les deux néo-flics jumeaux que le jeu nous proposait (à titre personnel : girl power), on ira régulièrement affronter des “Chimères”, créatures extraterrestres venues, donc, d’une autre dimension. Pour nous aider dans cette dure mais noble tache, nous pourrons heureusement compter sur l’assistance de notre “Légion”, Chimère à peu près domestiquée et tenue en laisse qu’on fait apparaître à volonté. Une bête venue d’ailleurs, donc. A moins qu’elle ne soit notre double, une autre face de nous-même, le monstre en nous qui tire sur sa chaîne (astrale) pour se libérer ?
On laissera à d’autres l’exégèse d’un scénario au point de départ moyennement original mais d’une densité bienvenue pour se concentrer plutôt sur l’idée, omniprésente dans Astral Chain, de l’image comme lieu de passage – entre les mondes, les temps, les sentiments. Avec notre Légion-épée – la première que l’on rencontre et qui sera suivie par d’autres, dont une qu’il sera possible de chevaucher –, on semble trancher dans l’image même pour révéler ce qu’il y a dessous. Et puis il y a l’ »Iris », ce pouvoir de scanner les lieux, c’est-à-dire, pour nous, de découvrir se qui se cache derrière ce qu’on voit, les traces, le passé sédimenté. Les autres couches, complémentaires ou contradictoires, pour voir ou passer à travers et peut-être fuir sans vraiment quitter les lieux. Bon.
Quelque chose de « Stranger Things »
Dans Astral Chain, il y a du Stranger Things (pour son “monde à l’envers”), du Metal Gear Rising (coupures et manipulations) mais aussi, contre toute attente, du Beyond : Two Souls car, comme dans le jeu de David Cage, tout repose sur le fait qu’au fond, le joueur est deux – une jeune fille et l’esprit qui l’habite dans Beyond, un(e) flic et sa Légion chez Platinum. Manette en main, c’est à la fois un défi, quand il s’agit de diriger chacun d’eux avec un stick pour les envoyer dans des directions différentes, et une immense satisfaction. Astral Chain est ainsi cette chose étonnamment réjouissante : un jeu de coopération entre notre main droite et la gauche (mais qui peut aussi se pratiquer vraiment à deux).
Pendant que l’un des deux « moi » tient en respect le monstre hargneux du moment, l’autre lui tourne autour comme un danseur en armure scintillante pour l’attacher au moyen de la chaîne qui nous relie – qui me relie à moi. Quand il sera immobilisé, j’irai le frapper sans pitié comme deux brutes exaltées. Plus tard, je flotterai au-dessus du vide pour aller me poser au loin puis je tirerai sur le fil pour me rejoindre moi-même sur cette nouvelle plateforme. C’est invraisemblable et évident, métaphysique et brutal, sauvage et élégant. Personne d’autre ne fait des jeux comme ça.
Astral Chain (Platinum Games / Nintendo), sur Switch, environ 50€
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