Sous le feu des projecteurs il y a un an, Airbnb n’est plus au centre des discussions sur la concurrence des plateformes d’économie collaborative, contrairement à Uber qui n’arrête plus de faire les gros titres. L’entreprise américaine est-elle parvenue à trouver une entente satisfaisante avec hôteliers et gouvernement ?
Les graphiques parlent d’eux mêmes. En l’espace de quatre ans, le nombre d’utilisateurs de Airbnb, qui permet de sous-louer son appartement et d’être mis en relation avec des locataires, a explosé à Paris, passant de 5 400 en 2010 à plus de 223 000 en 2014 (517 000 en chiffres cumulés depuis 2010). La plateforme américaine connaît un indéniable succès en France. Le Wall Street Journal a ainsi établi des cartes des arrondissements de la capitale les plus prisés (les Xe, XIe et XVIIIe).
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Capture d’écran du graphique du Wall Street Journal / 29 juin 2015
Airbnb fonctionne sur le modèle « d’économie collaborative », en permettant à des particuliers de se trouver et d’échanger un service, tandis que la plateforme de mise en relation prélève une commission sur la transaction. Le système est identique à celui de la multinationale Uber, qui met en relation des conducteurs de véhicule de transport avec chauffeurs (VTC) avec des clients. Les entreprises Uber et Airbnb (aujourd’hui valorisées respectivement à 17 milliards et 25 milliards de dollars) ont toute deux vu leur popularité s’accroitre en France depuis ces deux dernières années.
A tel point que les taxis, concurrents de Uber, ont organisé une grande manifestation jeudi 25 juin dans la capitale – qui a débordé par endroits – pour s’opposer à ce qu’ils considèrent être de la concurrence déloyale. Depuis des mois, taxis et entreprises de VTC se mènent en effet une guerre sans merci. A côté de ces querelles, qui ont été portées à maintes reprises devant les tribunaux, la relation entre Airbnb et les syndicats hôteliers semble beaucoup plus apaisée.
« Les débats entre Uber et Airbnb sont transposables et similaires, même si l’industrie est différente« , nous explique Arthur Millerand, avocat spécialisé en contentieux , cofondateur du blog Droit du partage. « Les acteurs traditionnels [hôtels, taxis, ndlr] reprochent aux nouveaux entrants de leur faire de la concurrence déloyale. » Comment la plateforme américaine de location réussit-elle alors à éviter les écueils que subit aujourd’hui Uber en France ? Il faut s’intéresser à plusieurs aspects du développement de Airbnb sur le territoire pour le comprendre.
Airbnb se conforme à la loi française
Première différence avec Uber: Airbnb ne fait pas l’objet d’une multitude de procédures juridiques, car elle est parvenu à se conformer à la législation française.
En fonction des pays, le loueur doit respecter certaines règles, comme ne pas sous-louer son appartement en France sans l’accord de son propriétaire. Mais si un utilisateur ne respecte pas la loi, la plateforme ne peut pas en être tenue responsable, comme nous le soulignions en mai 2014, alors qu’un usager avait été symboliquement condamné. Depuis la loi Alur du 26 mars 2014, Airbnb a en effet rajouté une fenêtre « pop up » à chaque fois qu’un nouveau client s’inscrit sur son site:
« Les clients sont amenés à faire une déclaration sur l’honneur. On se plie à la loi. On leur demande de lire les conditions générales d’utilisation : pour nous, il est clair que vous devez vous conformer aux règles locales », nous expliquait la plateforme à l’époque.
Cette déclaration sur l’honneur suffit à la firme pour être exemptée d’engager des procédures de vérification supplémentaires.
Les hôteliers ne souhaitent pas l’interdiction de Airbnb
En 2014, la fréquentation hôtelière à Paris Île-de-France était de 32,2 millions d’arrivées. Selon le Wall Street Journal, en 2014, le nombre de touristes qui ont loué un appartement dans cette même région sur Airbnb est d’environ 223 000, soit à peine 0,7% du nombre de clients d’hôtels. Aussi, même si le site américain prend de l’ampleur dans la capitale française, il est loin d’avoir cannibalisé la clientèle des hôtels.
Didier Chenet, président du GNI (organisation professionnelle indépendante au service des hôtels, cafés, restaurants, traiteurs organisateurs de réception et établissements de nuit indépendants), explique même qu’il est « compliqué » de savoir si Airbnb a récupéré une partie de ces clients:
« Cette plateforme peut attirer d’autres types de personnes. Avec l’évolution de la société, les familles n’ont plus les mêmes attentes ni les mêmes moyens. »
Aussi, il affirme :
« Contrairement aux taxis, on ne veut pas la mort d’Airbnb. Il faut prendre les choses comme elles sont. Airbnb a atteint un tel taux de notoriété et de satisfaction du consommateur que ce serait extrêmement négatif d’y être opposé. Cette société s’est établie dans le paysage culturel de consommation. »
Du côté d’Airbnb, on affirme aussi, chiffre à l’appui, que « l’offre d’Airbnb est complémentaire à celles des hôteliers« , car « 70% des logements disponibles sur le site se situent en dehors des principaux quartiers hôteliers ». L’entreprise dit être satisfaite de ses relations avec les syndicats hôteliers mais aussi des décisions prises par le gouvernement, et notamment de la loi Alur. Airbnb travaille également en ce moment sur une manière de collecter elle-même la taxe de séjour française auprès de ses usagers, et de la reverser ensuite au gouvernement.
Un manque à gagner dans les caisses de l’Etat
Les hôteliers sont-ils pour autant complètement satisfaits ? Le GNI présente tout de même des réserves. Les syndicats hôteliers souhaitent que les utilisateurs qui louent un appartement sur Airbnb se voient attribuer un numéro (« comme un numéro SIRET » énonce Didier Chenet) et puissent ainsi être identifiables et donc forcés de payer des impôts sur le revenus. Aujourd’hui, les loueurs sont déjà légalement obligés de déclarer leurs revenus obtenus grâce à une location sur Airbnb, mais il est impossible de le contrôler. Ce qui constitue un véritable manque à gagner dans les caisses de l’Etat.
Didier Chenet souhaiterait également que le nombre de nuitées proposées à la location par les utilisateurs d’Airbnb ne soit « jamais inférieur à sept nuits« , pour ne pas « entrer en concurrence frontale » avec les hôtels. « Ou alors, ils doivent respecter les mêmes règles, et payer les mêmes taxes« , continue-t-il. D’après les chiffres qui nous ont été communiqués par Airbnb, le nombre moyen de nuits réservées par mois en France était de 3,8 en 2014.
La situation de monopole des taxis
Les hôteliers ont beau continuer à se battre pour que les mêmes contraintes s’appliquent à Airbnb qu’à eux, leur « pouvoir de nuisance » est bien moins important que celui des taxis, nous confie une source proche du conflit entre taxis et VTC. Au lendemain de la manifestation des taxis du 25 juin dernier, le GNI n’a pas non plus été tendre envers ceux qui ont, selon leur communiqué, « porté préjudice à l’image de la France, de son tourisme et de tous les individus qui en vivent« :
« À Paris hier, ce sont 150 000 clients qui ont été pris en otages, à l’heure où les réservations des touristes pour la période estivale à destination de Paris et de la France sont les plus fortes. »
Mais si l’heure est aujourd’hui à l’apaisement entre Airbnb et hôteliers, l’avocat Arthur Millerand rappelle que « l’an dernier il faut se souvenir qu’Airbnb était aussi sous le feu des projecteurs« . Reste à savoir si les taxis et les VTC réussiront à trouver un terrain d’entente comparable à la trêve engagée entre hôteliers et Airbnb ces derniers mois.
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