Simone par ci, Simone par là : les références à Beauvoir, Veil, ou Nina se multiplient du côté des collectifs, médias et autres initiatives féministes. Tour d’horizon d’une tendance qui, sous ses airs de douce nostalgie, est aussi l’indice d’un combat d’actualité.
On en a vu défiler des mails, des tweets et des dossiers de presse. Tous nous parlaient d’une certaine Simone. Des podcasts Tante Simone au nouveau média féminin 100% numérique Simone, lancé il y a un mois, en passant par l’espace de coworking parisien Chez Simone, les initiatives féministes faisant référence à cette Simone ne cessent de se multiplier. Au point qu’à la rédac, on a eu parfois du mal à s’y retrouver. On a donc décidé de mener l’enquête, pour comprendre à quoi correspondait cette tendance Simone.
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L’année des Simone
Mais d’abord, c’est qui Simone ? Est-ce Simone de Beauvoir, figure historique du féminisme français, autrice du texte fondateur Le Deuxième Sexe, qui vient de rejoindre les rangs de la Pléiade ? Ou bien Simone Veil, disparue il y a un an, à qui l’on doit la légalisation de l’avortement en 1975 et qui, après son entrée au Panthéon le 1er juillet prochain, donnera son nom à une station de métro parisienne ? Pour Alicia Cosculluela, créatrice des podcasts Café Simone, c’est avant tout le prénom de sa grand-mère paternelle, “une femme forte, généreuse à la personnalité affirmée.” Immigrée espagnole, elle tint avec son époux, dans une petite ville de l’Aude, un commerce où se rassemblaient tou·t·e·s les habitant·e·s de la ville. Aujourd’hui, Alicia Cosculluela reprend l’idée d’un lieu d’échange et de partage en tendant un micro aux non-parisiennes, à celles que l’on n’entend pas et que l’on ne voit pas, invisibilisées par les médias nationaux : “Café Simone, c’est comme un lieu de sororité, d’écoute et de bienveillance où elles peuvent raconter leur histoire, faire passer un message.”
Mais si pour Alicia Cosculluela – qui avait déjà choisi ce prénom pour baptiser Bonjour Simone son entreprise de vidéaste/photogaphe – ce prénom est d’abord un hommage familial, il est aussi porteur de référence plus universelles : “Simone, c’est aussi un hommage aux femmes qui ont marqué l’histoire par leurs combats, ou simplement les épreuves qu’elle ont traversées : Simone Veil, Simone de Beauvoir, Nina Simone, confie-t-elle, toutes ces femmes m’ont aidée, inspirée dans mon parcours d’abord de petite fille, ensuite d’adolescente et aujourd’hui de femme. C’est un prénom qui a beaucoup de sens pour moi. Simone est une personne qui n’a pas peur d’être celle qu’elle est et qui se bat pour ce qu’elle croit juste.”
Des figures iconiques du féminisme
Autre podcast qui rend hommage à Simone de Beauvoir : Tante Simone, une série d’entretiens sur le genre, l’afroféminisme ou les diktats de la beauté, lancé fin 2017. Rien d’étonnant à cette “Simonemania” pour la sémiologue Mariette Darrigrand. “Un prénom est un marqueur très fort d’incarnation, il ne symbolise pas une doctrine ou une pensée, mais un individu, un corps, un parcours. Une vision qui correspond tout à fait au féminisme qui justement, revendique le droit des femmes à faire entendre leur voix, à raconter leur histoire, à assumer leurs choix de vie”, explique-t-elle avant d’ajouter que “faire référence à Simone de Beauvoir ou Simone Veil, c’est remercier des icônes de la lutte pour les droits des femmes.”
La preuve littérale avec le collectif Merci Simone, qui placarde des portraits de Simone Veil dans tout Paris. C’est également, selon la sociologue, “une façon de saluer un féminisme intellectuel et fondateur”. Un féminisme toujours bien présent dans les esprits, même si les militant·e·s d’aujourd’hui tendent à s’en détacher au profit d’approches plus contemporaines, comme en témoigne par exemple ce tweet de l’équipe de Simonæ, pure player féministe, qui, en 2016, répondait aux interrogations des internautes concernant leur petit sobriquet : “Simone [c’est] pour trois grandes figures du féminisme, à savoir Simone Veil, Simone de Beauvoir et Nina Simone (bien que notre vision du féminisme soit plus actuelle, elles en restent pour nous des personnages importants) et æ pour rappeler l’inclusivité du magazine!”
“Simone peut représenter à la fois le classicisme et la bohème.”
Au-delà du symbole féministe, l’omniprésence des Simone est aussi la suite logique du retour en grâce des prénoms anciens. Déjà en 1997, la boutique Colette, temple du cool parisien, misait sur le prénom désuet de sa fondatrice. Dans un autre genre, citons également le duo Brigitte, qui cartonne sous un pseudo aux accents très vieille France. “C’est ce que l’on appelle un paradoxe vertueux, note Mariette Darrigrand, plus vous paraissez daté, plus vous incarnez en réalité un certain air du temps.” Pour Vincent Grégoire, chasseur de tendances au sein du bureau de style Nelly Rodi, il y a en effet une mode chez les élites créatives “à glorifier le kitsch ou le ringard pour en faire un symbole de la pop culture. Dans le cas du prénom Simone, cela permet de jouer sur les deux tableaux : Simone peut être autant la bourgeoise avec son collier de perles et son tailleur strict un peu vieillot que la femme libérée qui fume et qui baise. Quand on vous dit Simone, vous pensez à Simone de Beauvoir, Simone Veil, Simone Signoret, Nina Simone, des femmes de tête, des femmes libres, des jouisseuses. Simone peut représenter à la fois le classicisme et la bohème.”
Militantisme ou femwashing ?
Cette multiplicité des symboles est la meilleure manière de plaire à plusieurs publics, du plus conservateur au plus branché. Car Simone est un prénom qui, selon Vincent Grégoire, parle à la fois “aux néophytes qui font des cupcakes dans leur cuisine façon Gwyneth Paltrow qu’aux féministes plus militantes comme les Femen. Et puis Simone véhicule aussi un certain dynamisme, une idée de mouvement, on pense par exemple à l’expression populaire ‘En voiture, Simone!’”- qui fait référence à la pilote Simone Louise des Forest, pilote automobile française et l’une des premières femmes à avoir obtenu son permis de conduire. Une expression que Soisic Belin a justement détournée pour titrer ses soirées et conférences féministes baptisées En scène Simone : “Simone, c’est Beauvoir, c’est Veil, ce sont des personnalités qui comptent dans l’avancée de la place des femmes. C’était un hommage et en même temps, on comprend tout de suite de quoi il s’agit. Et ‘En Scène’ parce que concrètement, c’est sur scène que ça se passe.”
Citer une Simone peut aussi être une subtile manière de fédérer une communauté autour de sa marque. Car pour saisir l’ironie faussement nostalgique que dissimule un Simone, encore faut-il en comprendre la référence. “Pour apprécier le second degré qui se cache souvent derrière ces clins d’œil aux Simone, il faut connaître les textes, les combats, les parcours de ces femmes, affirme Vincent Grégoire. Capter la référence, c’est faire partie d’un club branché et cultivé. Et féministe”.
Un club féministe qui semble attirer de plus en plus de monde depuis l’affaire Weinstein et son retentissement médiatique. “Il y a une grosse tendance de fond sur le girl power chez les marques, le féminisme fait vendre, confirme le chasseur de tendances. Mais le public n’est pas dupe, si ce féminisme n’est qu’une opportunité commerciale sans réel engagement ou conviction, l’effet tombe à plat.” Aucun risque donc pour les Simone précédemment citées d’être taxées de femwashing : testées et approuvées par Cheek, elles font honneur à nos illustres aînées. Pour cela, on leur dit, entre autres, en scène, et merci.
Audrey Renault
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