Le 30 mars, la justice dira si la Strada est un magazine d’information culturel, comme le défend le ministère de la Culture, ou un simple imprimé publicitaire, comme l’affirment les douanes. Derrière cet étrange conflit, où sont intervenus personnellement Mitterrand et Baroin, se joue l’application d’une écotaxe qui pourrait toucher plus d’une centaine de titres de presse français.
[attachment id=298]Des douaniers dans une salle d’audience face aux employés d’un magazine culturel. Peu banale, la scène sera peut-être la première d’une longue série. Le 30 mars, la Strada, bimestriel culturel niçois tirant à 40 000 exemplaires, assigne devant le tribunal d’instance de Nice la direction régionale des douanes, qui lui réclame la coquette somme de 125 000 euros.
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L’affaire débute en 2009. Deux agents des douanes perquisitionnent les bureaux de la Strada. Selon eux, le magazine serait redevable, depuis 2006, d’une contribution nommée Ecofolio visant à financer le tri et le recyclage du papier. Ignorant jusqu’à son existence, les employés de la Strada apprennent qu’ils vont désormais devoir payer une taxe/sanction sur les activités polluantes (TGAP) destinée aux imprimés publicitaires. La presse, elle, en est dispensée.
Les douanes estiment qu’on trouverait dans la Strada plus de deux tiers de publicités. Selon elles, la plupart des articles tendraient: « à favoriser la vente de produits ou de services et se concluent par les calendriers, horaires, adresses et numéros de téléphone des lieuxdits spectacles ». En bref, la Strada serait un imprimé publicitaire.
« On y croyait pas. Avec un collègue, on a pris une clope car c’était carrément l’hallu. Le douanier nous a dit « c’est interdit ». On lui a répondu de rajouter ça à l’amende, se souvient Michel Sajn, le sanguin directeur de la publication de la Strada. Comment, des douaniers, peuvent-ils venir d’un coup et assimiler notre magazine à de la pub? »
Depuis cette perquisition, l’affaire a changé d’échelle. Alerté par Muriel Marland-Militello, député UMP des Alpes-maritimes, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, prend son stylo. Il adresse une lettre à François Baroin, ministre du Budget en charge des douanes.
Mitterrand lui assure que la Strada diffuse « essentiellement des informations » et non de la pub. Preuve insuffisante pour François Baroin. Le ministre soutient son administration. Néanmoins, l’amende, jugée disproportionnée, passe de 125 000 à 22 000 euros.
« 130 titres de presse pourraient être inquiétés »
Pour l’OJD, association professionnelle certifiant la diffusion des journaux et supports publicitaires, l’analyse des douanes est incompréhensible. Des Unes esthétiques et épurées, un édito, des portraits et des articles signés (sur le théâtre, la musique, le cinéma… ), la commission de certification de l’OJD a toujours classé la Strada dans la catégorie « presse gratuite d’information » et non en « presse gratuite d’annonces ».
Pour Philippe Rincé, directeur adjoint de l’OJD, si la Strada est condamnée nombre de publications suivront.
« La frontière entre pub et rédactionnel est parfois étroite, mais avec la Strada il n’y a pas d’ambiguïté. Son contenu « art et spectacle » est en grande majorité informatif. En France, si les douanes persistent cela signifie que 120 à 130 titres de presse pourraient être inquiétés. »
Imperturbable, Marie-Catherine Kuntz-Pinguet, directrice-adjointe des douanes de Nice, tient à rappeler aux Inrocks que ses services n’ont fait que respecter et appliquer le code des douanes et de l’environnement.
Exception culturelle
Pour Muriel Marland-Militello, député des Alpes-maritimes, il y a en fait une réelle imprécision législative. Après avoir interpellé pas moins de cinq ministres à ce sujet, elle rédige, fin 2010, une proposition de loi.
Cette proposition demande, comme le préconise déjà la commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP, pour laquelle la Strada a déposé une demande d’adhésion), que les magazines culturels et sportifs ne soient pas concernés par cette taxe.
« Quel intérêt de parler d ’une pièce de théâtre ou d ’une rencontre de basket-ball si l’on ne précise ni le lieu ni l’heure auxquels ils auront lieu? … Le législateur ne saurait autoriser que l’exception culturelle, comme l’exception sportive, soient affaiblies par une fiscalité environnementale. »
Sans attendre, Muriel Marland-Militello entend soulever la question à l’Assemblée nationale: « Mardi prochain, si Baroin est dans l’hémicycle, je ne le loupe pas. Il faut qu’il comprenne que ses services se trompent. »
Sentant probablement le vent tourner, le directeur régional des douanes des Alpes-maritimes a fait une proposition à la Strada: réduire l’amende à 10 000 euros, en échange de l’arrêt des poursuites et, à l’avenir, du règlement de la taxe Ecofolio. Clope et sourire aux lèvres, Michel Sajn fait non de la tête.
« C’était bizarre, Ils voulaient encore qu’on se reconnaisse comme imprimé publicitaire. Ce n’est pas envisageable. »
Rendez-vous le 30 mars devant le juge.
Geoffrey Le Guilcher
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