La fondatrice d’About a Worker, marque de workwear engagé, a developpé une pratique de mode où le social et l’environemental s’entrecroisent.
A l’occasion de la grève mondiale pour le climat, ce 15 mars 2019, Les Inrocks donnent la parole à de jeunes idéalistes qui apportent une réflexion personnelle et singulière sur l’engagement éthique.
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Kim Hou est la fondatrice de About a Worker, une marque de bleus de travail confectionnés par des personnes marginalisées, et souvent en réinsertion, afin de les former comme ouvriers du textile. La différence ? Chacun confectionne sa veste de A à Z avec son regard, et pose même avec pour les campagnes.
Qu’est-ce qui a généré ton intérêt pour la mode et l’environnement ?
Kim – Les attitudes des consommateurs envers les vêtements m’ont toujours fascinée. Comme beaucoup d’entre eux, j’ai commencé à apprécier la mode par les nombreuses publicités de luxe qui peuplaient ma vie quotidienne. Vendue comme objet de supermarché, la mode était partout et reflétait, par ses nombreuses images étudiées, une fausse réalité presque parfaite : des femmes chics et sophistiquées ; des scénographies enchanteresses et si vraisemblables ; et surtout, des vieux artisans européens qui me faisaient croire que les milliers de produits qu’une marque pouvait créer étaient construits avec leurs petites mains.
Puis, en faisant une étude sur une marque particulière pour un projet d’école, je me suis rendu compte que le luxe n’avait rien à voir avec ce qu’il était avant. Toutes ces accumulations d’images étaient, au final, une pollution de fake news. Le luxe est en fait un produit de masse, accessible à tous malgré son prix. Sa seule valeur ajoutée est son nom. Aujourd’hui, le luxe est construit dans les mêmes usines délocalisées que chez les grosses marques bon marché.
Pour conclure, le luxe contribue autant aux problèmes sociaux et environnementaux que la mode bon marché. Il en est même le moteur principal, car beaucoup de monde le fantasme. Il est encore plus contradictoire qu’un produit bon marché, car on préfère cacher la main-d’œuvre réelle par des publicités mensongères que de dévoiler la réalité.
Comment et pourquoi as-tu lié l’écologie au social et à la mode?
Cela fait très longtemps que nous entendons parler de problèmes sociaux et environnementaux dans la mode, et même bien avant l’effondrement du Rana Plaza en 2013.
La mode, c’est la deuxième industrie la plus polluante, et l’une des moins éthiques aujourd’hui. Ce n’est pas normal de traiter les ouvriers comme au début de l’ère industrielle au XIXe siècle. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir des journalistes qui pointent les conséquences de ce système uniforme, mais nous n’avons pas accès aux opinions objectives des ouvriers, qui en sont le coeur. La mode, c’est un monde qui englobe différentes communautés, mais la communication entre ces nombreuses bulles est inexistant, voire même perçue comme un tabou de la société.
Nous avons peur des opinions qui pourraient faire dérailler cette chaîne conformiste, alors nous préférons ignorer les problèmes plutôt que de les régler. Après tant d’années de procrastination à ce sujet, notre planète en subit actuellement les conséquences, et les communautés ouvrières les plus démunies en sont les plus grandes victimes. En 2019, Il faut apprendre à s’écouter, à collaborer, et donc se pencher sur l’opinion des workers qui produisent la mode d’aujourd’hui.
Grâce à leur expérience, nous avons beaucoup à apprendre et à concevoir ensemble. C’est pour cette raison que About a Worker est une marque entièrement dessinée par des ouvriers d’usine. Grâce à leur savoir-faire et à leurs expressions créatives, les ouvriers-designers communiquent leur propre message par l’esthétique que véhicule leur vêtement. Le design c’est un langage universel qui peut être compris par tous.
Quel message voulez-vous adresser à propos de notre façon de consommer ?
Il ne faut pas forcément consommer moins, mais différemment. Trop longtemps, nous étions coincés avec un système uniforme. Il est temps de passer à autre chose et d’enrichir notre économie avec une variété de systèmes de production, de création et de consommation adaptés à notre milieu contemporain. Il faut bien sûr prendre en compte les valeurs sociales et environnementales d’un système, mais aller plus loin que créer de simples vêtements éco-responsables, recyclés, clichés de la mode éthique.
Il faut faire rêver les gens comme ont pu le faire les marques les plus luxueuses. Pour cela, il est important de soutenir les projets novateurs et de qualité, mais surtout de commencer à changer la mode par la communication et la collaboration. Il faut mettre Anna Wintour, Bernard Arnault, le fantôme de Karl Lagerfeld, à la même table que les jeunes designers, entrepreneurs, consommateurs et workers pour pouvoir évoluer.
Quels sont les changements concrets et idéologiques les plus urgents dans le milieu de la mode ?
Il faut changer les méthodes de travail au sein des entreprises, qu’il s’agisse des studios créatifs ou des usines. Ce n’est pas normal de devoir créer un minimum de quatre collections par an pour exister en tant qu’enseigne. C’est épuisant pour l’humain et pour la planète, et amène au break down très facilement. Je ne suis pas forcément pour le slow design, car il n’est pas adapté à notre monde actuel si rapide et globalisé, mais il est nécessaire de se poser pour trouver de nouvelles possibilités de créer, produire et consommer.
Il est fondamental de s’intéresser à l’autre, et que la mode ne soit plus un symbol d’élitisme. Pendant trop longtemps, elle était admirée non pas pour son expression créative mais pour le statut presque aristocratique que pouvaient induire nos achats. La mode, c’est l’affaire de tous les peuples d’aujourd’hui. Nous pouvons comparer notre temps actuel à l’ère de la Grèce antique, où il est essentiel de se retrouver au sein d’un forum.
Photo: Carine Lamari
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