Travailler sur ordinateur sans être soumis aux sollicitations du net, c’est possible grâce à certaines applications. Pour être efficaces, déconnectons ?
Freedom et Anti-Social sont des applications payantes permettant de bloquer l’une sa connexion internet pour une durée allant jusqu’à huit heures (avec la possibilité de mettre fin à cette restriction en redémarrant son ordinateur), l’autre l’accès aux médias sociaux. Tout cela pour aider le travailleur à rester concentré en évitant la distraction des lieux numériques chronophages. L’idée prête à sourire : pourquoi payer pour ces applications au lieu de simplement éteindre son ordinateur ? Pour Fred Stutzman, le créateur de Freedom et Anti-Social (300 000 et 125 000 téléchargements), ce n’est pas l’incapacité de l’utilisateur à se maîtriser qui est mise en cause mais l’abondance des distractions qui l’assaille, en particulier sur les réseaux sociaux, devenus des outils de travail souvent nécessaires.
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« Les médias sociaux, c’est l’obligation de répondre à des messages, et ainsi de suite. Savoir qu’il y a un bourdonnement social permanent en arrière-plan nous pousse vers ces sites et nous éloigne de notre travail », explique-t-il dans une interview au New Scientist.
C’est ce que l’on appelle des « sommations ». « La sommation est le fait d’être constamment sollicité par des personnes qui nous commandent de répondre à une stimulation », précise le sociologue Antonio Casilli, spécialiste des usages informatiques. Ces stimulations, ce sont tous les messages qui surgissent sur notre écran et dont la surenchère oblige à redoubler de malice pour parvenir à les ignorer. Des programmes comme Freedom ou Anti-Social entendent « compenser un manque de volonté ou une impossibilité cognitive de faire face à cette prolifération de sommations » explique Antonio Casilli.
S’il est plus difficile de résister à la tentation numérique qu’aux distractions traditionnelles comme la télévision, c’est que « tout ce qui se passe sur les médias sociaux n’est pas de l’information pure et désincarnée, mais toujours rattachée à un interlocuteur » poursuit-il. Avec Anti-Social, « on interrompt une communication avec des personnes qui sont des liens sociaux, nos liens sociaux ». L’homme reste avant tout un animal social.
Ces applications sontelles un inquiétant aveu de notre impuissance à décider par nous même ? « Ce n’est pas plus grave que de mettre le mode silencieux sur son portable », estime Antonio Casilli. « N’importe quel logiciel est là pour réaliser une tâche à notre place. Cela fait partie d’une tendance généralisée à l’automatisation. » Pas de révolution donc. Pourtant, ces applications sont la conséquence directe des nouvelles tendances du monde du travail qui nous poussent à être tout le temps connecté.
La démarche de Stutzman, qu’Antonio Casilli définit comme un « activiste de la vie privée », est sous-tendue par une vision caricaturale de la privacy, notion capitale dans la juridiction anglo-saxonne. La privacy, c’est le droit d’être laissé dans l’isolement. Sur cette base, ces applications ont été conçues pour « nous couper des communications envahissantes, provoquant une dispersion de l’attention et un dévoilement continu sur les médias sociaux ». Les différentes sommations que nous recevons montrent qu’il est de plus en plus difficile de séparer l’intimité de la sphère publique.
« L’utilisateur de n’importe quelle technologie est tiraillé entre deux injonctions contradictoires : être constamment connecté et joignable ou préserver sa vie privée », explique encore Casilli.
Stutzman donne donc les moyens de gérer ces contradictions propres à la vie actuelle. Chacun peut alors réaffirmer sa liberté de se connecter ou non. « C’est une manière de recentrer sur l’individu toute la question du droit à l’accès à l’information ou à la connexion, d’en faire un outil d’empowerment, de mise en puissance de l’individu, et non pas un dispositif qui risque de déposséder l’individu de ses capacités à se connecter », conclut le sociologue.
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