Bruno Latour, philosophe spécialiste des questions de politique environnementale, réagit à la sortie anticipée des États-Unis de l’accord de Paris. Elle représente selon lui une mutation profonde de la géopolitique et cristallise l’abandon d’une volonté de faire un monde commun.
Le philosophe des sciences Bruno Latour était invité le vendredi 9 juin par le Centre Pompidou et la Bibliothèque publique d’information. Une semaine après la décision de Donald Trump de faire sortir les États-Unis de l’accord de Paris, Bruno Latour analyse les causes et les effets d’un moment charnière pour la géopolitique environnementale.
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Il était entouré d’Olivier Darné, artiste, apiculteur urbain et fondateur du Parti Poétique ; d’Elisabeth Vallet, directrice de l’ONG Ethic Ocean, qui promeut la préservation des océans ; et de Philippe Rahm, architecte défendant des constructions “météorologiques”, pensées pour lutter contre le réchauffement climatique.
Pour Bruno Latour, le président américain a réussi un coup de maître :
“Le génie de Donald Trump est d’avoir associé deux mouvements complètement incompatibles. On est un peu démunis parce qu’il fait le lien impossible entre ‘l’Amérique d’abord’ et l’aide des plus pauvres, qui évidemment vont être les premiers à souffrir de cette affaire.”
De nouveaux équilibres géopolitiques
Ce tour de force est lourd de conséquences pour les autres Etats. Il devrait définir de nouveaux équilibres géopolitiques, comme le laisse supposer le rapprochement entre l’Union européenne et la Chine sur la question climatique, lors du G7 en Sicile, fin avril. “Une géopolitique nouvelle est créée par Donald Trump, observe Bruno Latour. Il faut la prendre très au sérieux parce que le problème est réel : est-ce que nous sommes capables de construire un monde commun avec les 8 milliards d’humains si nous continuons ce type de développement ? C’est pour ça que ce n’est pas une question d’écologie, c’est une question de construction des Etats.” Pour le philosophe, “les élites républicaines ont abandonné l’idée d’un monde commun.”
« En tournant le dos à la terre, #Trump nous montre la bonne direction : il faut se retourner ! » #BrunoLatour#DébatsAuCentre pic.twitter.com/Z5dKXdM2Nj
— Centre Pompidou (@CentrePompidou) 9 juin 2017
Un tournant qui a aussi le mérite de mettre fin à l’incertitude sur l’engagement des Etats-Unis selon lui : “Avant on restait sur l’idée qu’on va s’entendre, maintenant les alliances peuvent se faire, y compris à l’intérieur des États-Unis. On va enfin retrouver ce lien entre la question sociale et la question environnementale que les écologistes avaient perdu.” L’écologie ne serait plus seulement une valeur morale mais surtout un déterminant des rapports internationaux
“Aux anciens Etats à frontières” qu’essayent de recréer Donald Trump et le Brexit, Bruno Latour oppose de nouveaux Etats fonctionnant sur le modèle de l’Union européenne :
“L’Europe s’est construite sur une redéfinition des frontières. Sur la question de la négociation climatique, l’Europe a souvent été en avance, scientifiquement aussi. Les nouveaux Etats ont des bords, avec un bout d’océan et avec de l’atmosphère.”
Pour un parlement des choses
Une analyse qui fait écho au parlement des choses défendu par Bruno Latour : une assemblée où, aux côtés des pays, seraient également représentés par des scientifiques les “non-humains” à l’instar des océans et des forêts. Une idée qui fait son chemin : en mars, la Nouvelle-Zélande accordait à une rivière le statut d’entité vivante avec ses droits.
Le Parlement de la Nouvelle-Zélande vient d’accorder une personnalité juridique au fleuve Whanganui ! #PowerAndCare https://t.co/TO17mWhHTI
— Matthieu Ricard (@MatthieuRicard) 5 avril 2017
Pour Elisabeth Vallet, la COP 21 à l’origine de l’accord de Paris avait justement réussi quelque chose d’inédit en incluant la préservation des océans dans les négociations : “Les océans ont été très longtemps oubliés. C’était vraiment une aberration qu’ils n’entrent pas en ligne de compte pendant les vingt premières conférences des parties.” Malgré le retrait des Etats-Unis, la directrice d’Ethic Ocean veut croire au dynamisme des ONG et de la société civile pour protéger les objectifs de l’accord de Paris.
Un rééquilibrage global en cas d’échec
“En réalité le problème du réchauffement climatique est assez simple”, rebondit l’architecte Philippe Rahm. “L’architecture et le bâtiment sont responsables de 50 % des gaz à effet de serre au niveau mondial. Le réchauffement vient donc de l’utilisation des énergies fossiles pour chauffer les bâtiments, pour l’air conditionné ou pour la production d’eau chaude.”
Selon Philippe Rahm, une deuxième époque d’adaptation succédera aux efforts pour minimiser le réchauffement s’ils échouent :
“On ne pourrait plus résoudre le problème climatique et on serait obligé de vivre avec. Ça devient des visions futuristes difficiles à imaginer parce que la période de transition va être catastrophique pendant des décennies. Il y aurait ensuite un rééquilibrage global et des relocalisations par rapport à des questions thermodynamiques. Par exemple la capitale de la France pourrait se déplacer puisque Paris était lié au blé et à la production du Bassin parisien pendant le XVIIe siècle.”
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