Syndicalistes combatifs encartés chez Sud et membres du NPA, Yann Le Merrer et Gaël Quirante dénoncent les “politiques managériales de plus en plus agressives de La Poste”. Et s’en prennent plein les dents.
Dans les Hauts-de-Seine, on imagine que Patrick Balkany, ses dents blanches et ses sociétés offshore – le triptyque gagnant – vont, parfois, poster des courriers. Le maire LR de Levallois-Perret, toujours en fonction malgré sa mise en cause récurrente dans diverses affaires judiciaires – accusations de corruption, de blanchiment de fraude fiscale… liste non exhaustive –, a-t-il une pensée, en déposant ses lettres, pour les employés de La Poste rattachés à son département (ou ailleurs) qui, pour faits de grève notamment, subissent blâmes, mises à pied, voire licenciements ?
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Peut-être, peut-être pas, mais une chose est sûre : si un jour le politicien souscrivait au nouveau service de La Poste – Veiller sur mes parents, dispositif créé pour “aider et rassurer les proches d’un parent vieillissant (…) grâce à des visites régulières du facteur” et qui coûte 19,90 euros par mois pour l’offre de lancement, une véritable aubaine –, ni Yann Le Merrer ni Gaël Quirante, entrés respectivement dans le groupe en 1999 et 2003, ne se rendraient à son chevet.
“Temps parasite”
Déjà parce que, le second nous l’a dit, Balkany est pour lui l’un des symboles de “l’indécence” de notre société actuelle, où des “gens font de la prison ferme pour avoir manifesté, tandis qu’il n’arrive rien à ceux qui volent des millions et des millions”.
Ensuite, parce qu’on voit mal ces deux membres du NPA, pour qui les mots “champ” – selon l’acception bourdieusienne du terme –, “capital” ou encore “aliénation” font sens, aux petits soins avec l’élu LR.
Enfin, parce que ces deux syndicalistes chez Sud Poste 92 déplorent l’évolution prise par La Poste depuis le début des années 2000 – “En 2003, la direction disait ‘temps parasite’ pour parler des facteurs qui aidaient les anciens. Le temps parasite est maintenant du temps commercial”, dixit Gaël Quirante – et ne souhaitent donc pas y prendre part.
Révoqué
Même s’il le voulait, de toute façon, Yann Le Merrer ne le pourrait pas : il a été révoqué en 2015 de son poste de fonctionnaire au sein du groupe. Gaël Quirante, visé par une procédure de licenciement, pourrait lui aussi perdre bientôt son emploi de contractuel.
“Une répression systématique de tous les animateurs de luttes, de grèves”
En cause : leur activité syndicale promouvant l’idée de “contester le pouvoir de direction de l’employeur : c’est à ceux qui font fonctionner l’entreprise de décider”. Olivier Besancenot, qui les connaît bien, ne décolère pas : “Depuis une dizaine d’années à La Poste, il y a une répression systématique de tous les animateurs de luttes, de grèves.”
Parents communistes
Outre ce côté meneur de troupes, il y a d’autres similitudes dans leurs parcours. Tous deux sont nés de parents communistes : ceux de Gaël étaient des militants républicains espagnols sous Franco et lui ont appris “l’importance des liens collectifs” et “à ne pas être berné par la société dans laquelle on vit, à toujours réagir” ; Yann, lui, a été “bercé par les récits sur les pays frères” par son grand-père maternel.
Puis c’est l’adolescence militante, la fac d’histoire à Nanterre, l’entrée à La Poste, car bon il faut bien un boulot pour vivre et ça permet d’avoir un espace pour militer. “Mon taf, c’est militant”, s’esclaffe d’ailleurs Yann Le Merrer, devant une pinte de Guinness à Châtelet, à Paris, tout en tirant sur sa cigarette électronique dont il a “fabriqué la résistance”.
Gaël Quirante, lui, préfère le Coca, a arrêté de fumer et nous a donné rendez-vous à République. Les deux quadras se connaissent bien, on croit comprendre qu’ils sont un peu moins proches qu’à une époque.
Ils partagent néanmoins plusieurs choses : l’amour des T-shirts noirs, le goût de la “chaleur (humaine)” en manif, l’horreur face à la détresse sociale au travail, l’attrait pour les grèves et, évidemment, des avancées sociales – amélioration des conditions de travail, arrêt de plans de restructuration… – et individuelles – “Les meilleures grèves, c’est quand des gens qui, d’habitude, peuvent être un peu repliés sur eux-mêmes prennent des initiatives, font la conquête de leur autonomie”, selon Yann – qui peuvent en résulter.
Blâmes, mises à pied
Ils partagent également un nombre conséquent de blâmes, mises à pied et passages devant les tribunaux. “Sur quatorze ans de boîte, j’ai eu plus d’un an de mise à pied”, explique Gaël Quirante, d’abord postier collecteur à Levallois avant de devenir permanent syndical, en 2013.
“Ce n’est pas à l’employeur de choisir les représentants syndicaux”
Il décompte également cinq procédures de licenciement à son encontre menées auprès de l’inspection du travail par La Poste – qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien –, notamment pour une accusation de séquestration de plusieurs cadres RH par seize postiers, lors d’une grève en 2010. Séquestration qu’il nie, la justice lui donnant d’abord raison avant que la cour d’appel de Versailles ne casse récemment la décision du tribunal administratif. “L’inspection du travail doit à nouveau déterminer si les faits qui me sont reprochés justifient un licenciement ”, dit le syndicaliste qui assure que, même licencié, il “continuera son activité syndicale : ce n’est pas à l’employeur de choisir les représentants syndicaux”.
Yann, après plusieurs mises à pied et exclusions, est le premier fonctionnaire à avoir été révoqué de la fonction publique depuis 1951 selon L’Humanité – “Un sacré label, hein !” –, pour incitation à des grèves illicites (se rendre à l’improviste dans un bureau de poste qui ne débraye pas pour évoquer le mouvement gréviste en cours – ndlr) ou encore prises de paroles non autorisées. “En faisant ça, ils ont franchi un cap symbolique”, raconte celui qui est à présent au chômage et ne milite plus activement au sein de Sud, tout en y restant syndiqué.
“Politique de la terreur”
La suite logique, selon eux, des “politiques managériales de plus en plus agressives de La Poste”, qui voit son nombre de postes diminuer alors qu’elle est largement bénéficiaire, et de la “politique de la terreur” mise en place par le groupe afin d’essayer “de casser notre orga, pourtant majoritaire”.
“Ils tapent fort aussi parce que ça résiste en face”, dit Gaël, ravi des formes de solidarité qui se mettent parfois en place – des pétitions en leur faveur existent d’ailleurs. Yann approuve, estimant que “La Poste est contre notre syndicalisme de terrain, lui préférant un syndicalisme de concertation” – de leur côté, d’autres syndicalistes les critiquent, estimant qu’ils ont parfois pu causer du tort à d’autres employés en les entraînant dans leurs actions.
Reste que la lutte continue. Gaël Quirante s’implique largement dans le Front social, collectif issu de la mobilisation contre la loi Travail et souhaitant “ne pas laisser de répit” à Macron : “C’est dans la rue que ça se gagne.”
Yann, lui, compte rester plus en retrait. Sans pour autant changer de ligne. “On m’a longtemps demandé ce que je voulais faire de ma vie. Je disais ‘je veux changer le monde’, et c’était pas juste pour draguer. Je n’ai pas envie d’évoluer à ce niveau-là.”
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