Ils nous racontent leurs nuits, les blanches, les noires. Entre le crépuscule et l’aurore, éclairés à la bougie ou aveuglés par les néons de la ville, ils se révèlent sous un jour nouveau et dévoilent leur part d’ombre. Cette semaine, rencontre nocturne avec l’écrivain Nicolas Rey, ex-oiseau de nuit, pas repenti.
7h du mat. Il sort de sa piaule, en boxer, ses cheveux mi-longs cachent son regard cocker. Il dit : « Toi non plus tu n’arrives pas à dormir« . Il va boire un verre d’eau, retente le sommeil. La veille, 21h15, il nous a accueilli avec du champagne, accompagné d’un cocktail « maison ». Il y avait une copine à lui. Lui ne boit pas, ne boit plus, depuis sept ans. Enfin, pas de champagne. Il a dit à sa copine : « Raconte ce que t’as fait pour moi quand j’étais malade. » Elle a souri : « Je faisais partie de ceux qui venaient le voir régulièrement à la clinique« .
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En 2010, il a passé quelques semaines en cure de désintoxication : coke, médocs, et surtout la pire des salopes – l’alcool. C’est un écrivain : il en a fait un livre, Un léger passage à vide. 120.000 exemplaires, un succès de librairie. Il a resservi une tournée, a insisté : « Dis-lui la vérité, ce que t’as fait pour moi, c’est tellement beau. » Cette fois, elle a ri : « on baisait, je le faisais jouir. » Nicolas Ray, 41 ans, confie : « quand j’étais gosse, je me sentais enfermé, c’était l’ennui tu vois, j’ai dû m’inventer des mondes. Pour respirer. »
La vie, la douce
Il nous laisse quelques minutes avec la copine, commence la vision stroboscope – le Cocktail maison – lui va dans sa chambre-bureau-billets roulés, il doit terminer un papier pour Lui, le mag de son poto Frédéric Beigbeider. Des amis, il en a moins qu’avant – « je ne sors quasiment plus« , explique-t-il. Restent ceux qu’il peut encore appeler à minuit comme s’il était midi, reste bien sûr le fidèle, l’indétrônable Pierre-Yves, rencontré à l’école de commerce où ses parents pensaient l’avoir casé. Belle époque :
« J’avais un grand appart, j’organisais des fêtes immenses. Mon père se demandait comment je faisais pour dépenser autant d’argent. »
Il a alors 24 ans, il écrit son premier livre – Treize minutes – jalonné de thèmes et de motifs qui reviendront dans les sept romans suivants : les excès, l’hypersensibilité amoureuse qui tente vainement de s’accoupler avec le besoin vorace du sexe. Commencent les nuits sans fin, et entre les deux un sommeil qu’on fuit ou qu’on provoque avec des astuces chimiques. Les mille anecdotes qu’on racontera plus tard, on les rodera même un peu, on les rendra plus savoureuses à mesure que le souvenir s’en va, que le fils grandit. Cette jeunesse, ces raouts ! Ces instants revanches – derrière lui l’ennui, la campagne normande de son enfance, le trou paumé – maintenant c’est Paris et c’est une fête, le sang chaud qui palpite et comme c’est bon de vivre, ces rushs, wow, le haut de la vague, il surfe, chroniques à Canal +, chroniques à Inter (avec l’autre grande complice et amie de toujours : Pascale Clark).
Posture de seigneur of course, creuse peut-être, narcissique sûrement, mais et alors ? Nicolas et sa bande sont jeunes, et l’équation est confortable : leurs vies débridées fournissent le matériau de leurs livres, qui se vendent bien et leur permettent donc de continuer, encore et encore, jusqu’à ce le corps s’use. Rocks stars des années 90/2000, consuméristes et bienheureux, romantiques toujours. Il y a les rencontres, le réseau. Nicolas Rey meets FOG, Pascale Clark donc, Stéphane Bern, d’autres encore – « le tout-Paris » – il porte beau, parle bien, écrit spirituel. On le fait travailler. Télé, radio, presse, ça paye. Les substances-béquilles, tremplins vers les étoiles et pieds dans la tombe – qu’on prend, qu’on arrête, qu’on reprend. Les amours qu’on sniffe pour respirer. Les livres qu’on en fait. Pour s’inventer des mondes.
Romantique
Ce serait une erreur de réduire la littérature de Rey à un marivaudage d’époque, à du roman à la mode, périssable. Déjà, il écrit l’amour sans (se) mentir. Il ressasse sans relâche la triste mécanique des hommes et des femmes qui s’aiment, se lassent et se laissent. Ses livres collent de plus en plus à sa vie, ses derniers sont quasiment autobiographiques. Quand Nicolas Rey quitte une femme, des mondes se disloquent. Sa propre sensibilité ne s’est pas émoussée pour autant. Quand une femme le quitte, il meurt. Il revit toujours par contre : c’est un phénix.
Nicolas Rey, on l’a compris, c’est l’adolescence qui ne finit pas. Bien sûr, l’ironie, la distance pointent. Le cynisme. Au début on sait en jouer, le tourner spirituel, on sait – encore – être romantique. Et puis s’installe, tout doux, très dure, une misanthropie légère (apparentée à cet égoïsme infantile qu’il confesse par ses actes et ses dires, celui des hommes qui aiment être chouchoutés, y parviennent), un début de fatigue, une lassitude plus insidieuse qu’une addiction, c’est dire. La littérature de Rey grandit contre ce cynisme, en joue, tente de s’en moquer, tente la fuite, ne le tue jamais. Les mensonges pour l’oublier. Le cynisme sépare des autres, alors il faudra le cacher (ce sera la vraie part de malheur, solitaire, honteuse, intolérable : adulte).
Guerres joyeuses
Les nuits de Nicolas Rey, ce sont aussi : les séjours à l’hôpital (la chambre froide, sale, le voisin de lit qui ronfle, qui pleure, qui raconte son histoire triste à lui), ce sont les retraites dans son appartement, pour se recharger, la porte qui ne s’ouvre que pour laisser passer le livreur de sushis ou de pizzas – et les amis qui restent, qui passent à toute heure, c’est un joyeux bordel chez Nicolas Rey.
Les rares sorties nocturnes, en taxi toujours, pour une femme souvent. Le travail qui apaise et excite encore : il vient d’achever un nouveau roman et un recueil de nouvelles érotiques. Son ex, Emma Luchini (oui, la fille de), réalise actuellement l’adaptation cinématographique de l’un de ses meilleurs livres, Un début prometteur. Il chronique toujours chez Pascale Clark, le lundi soir maintenant : il lit des textes, accompagné à la guitare par un nouveau camarade inattendu, le jeune et sympathique Mathieu Saikaly, gagnant de La Nouvelle Star. En octobre, ils se produiront à la Maison de la Poésie.
Nicolas Rey s’était empâté (les sushis, les pizzas), il vient de perdre ses kilos en trop : un phénix. Toujours alive. Bien plus qu’à huit ans, quand c’était l’ennui. Il en a 41 maintenant, il loge à Montmartre, retourne régulièrement se faire chouchouter dans sa campagne normande. Papa, maman. Il dit : « Nous sommes des enfants qui vieillissent. » Ses livres restent jeunes. Lisez Nicolas Rey.
Le lendemain soir, il rappelle. Entre minuit et deux heures du matin, six appels en absence. Un message : « Rappelle-moi de toute urgence. » On fait ça, il décroche, il dit : « Tu me manques mon salaud, la vie sans toi, on se fait chier, je te jure. » On le connaît à peine – c’est la deuxième fois qu’on le voit. Il est comme ça : impulsif, étonnant, touchant, égoïste et généreux, bouleversant, pas toujours fiable. Il promet beaucoup Nicolas Rey. C’est un jeune homme prometteur. Avec des hanches en plastoc (la coke), cicatrices de guerres joyeuses, qu’on voudrait panser pour lui.
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