L’ancien résistant, dernier survivant du groupe Missak Manouchian, est mort ce 4 août à 101 ans.
“Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent.” En 1955, Louis Aragon rendait hommage dans Strophes pour se souvenir au groupe Manouchian, dont 22 membres furent exécutés par les nazis le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Léo Ferré a popularisé ce texte, et l’histoire de ces résistants dans son adaptation musicale du poème, L’Affiche rouge, en 1959. Arsène Tchakarian, ancien membre des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée), était le dernier survivant du groupe de résistants mené par Missak Manouchian. Il est décédé samedi 4 août à 101 ans, a fait savoir sa famille. Le président de la République, Emmanuel Macron, a rendu hommage dans un tweet à ce “héros de la résistance et témoin inlassable dont la voix jusqu’au bout résonna avec force”.
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https://www.youtube.com/watch?v=xGZ1lnwwYfs
Dès novembre 1940, il distribue des tracts antihitlériens
Né en 1916 dans une famille arménienne qui avait échappé au génocide en Turique, Arsène Tchakarian s’est d’abord exilé en Bulgarie, puis en France en 1930. Il a eu le statut d’apatride jusqu’à ce qu’il obtienne la nationalité française en 1958. Tailleur de profession, il adhère à la CGT et participe aux manifestations en soutien au Front populaire en 1936. C’est à cette époque qu’il rencontre pour la première fois l’intellectuel et militant communiste Missak Manouchian. “Manouchian, je l’ai rencontré par l’aide à l’Arménie. Il collectait du lait Nestlé, de la farine et du sucre pour envoyer aux enfants arméniens qui subissaient la famine en 1933 ou 1934”, racontait-il dans un portrait que L’Humanité lui a consacré en 2014.
Avec lui, dès novembre 1940, il distribue des tracts anti-hitlériens dans Paris. Quand le PCF entre en résistance, après la rupture du pacte germano-soviétique, il en est. “Voilà qu’un jour de 1942 Manouchian vient à l’atelier de tailleur dans lequel je travaillais et me dit : Il y en a marre des tracts. Maintenant il faut combattre avec les armes”, relatait-il. Le groupe Manouchian devient alors un réseau très actif contre l’occupant nazi. Avec ses frères d’armes venus d’Arménie, d’Espagne, d’Allemagne ou encore de Hongrie, il risque sa vie pour lutter contre le nazisme. Les attaques contre des policiers militaires allemands et autres sabotages de lignes de haute tension dus au groupe sont nombreux.
L’“armée du crime”
A la mi-novembre 1943, la sécurité allemande et la police de Vichy arrêtent Manouchian et plusieurs de ses camarades. C’est à ce moment, alors qu’ils s’apprêtent à être exécutés, que les nazis placardent pendant des semaines sur tous les murs de France la fameuse “affiche rouge”, qui les traite de « terroriste étrangers, juifs hongrois ou polonais », et d’“armée du crime”. Ayant échappé à la rafle, Tchakarian participe à la Libération à Montargis, où il occupe la Kommandantur installée à l’Hôtel des Postes.
Pendant tout le reste de sa vie, il a témoigné de cette histoire, perpétuant la mémoire de la lutte anti-fasciste. Auteur de plusieurs ouvrages à ce sujet (Les Francs-Tireurs de l’Affiche rouge, Les Fusillés du Mont-Valérien), il est intervenu dans le débat historique sur l’origine du coup de filet qui a conduit à l’arrestation du groupe Manouchian. En effet, en 1985, le documentaire Des terroristes à la retraite, de Mosco Boucault, soutient que les partisans avaient été trahis par la direction clandestine du PCF. Pour Tchakarian, il n’en est rien : c’est l’un des leurs, Boris Holban (mort en 2004), qui les aurait lâchés. Cette thèse ne fait cependant pas l’unanimité.
En tout cas, le dernier survivant du groupe a tenu jusqu’au bout à rendre son engagement dans la Résistance vivant. “Je suis le dernier survivant et je leur ai juré, jusqu’à ma mort : ‘Je vais m’occuper de vous, parler de vous’ Qui étaient ces gens ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ?”, déclarait-il au Parisien en 2015. Il disait aussi craindre le jour de sa disparition, et le risque que leur mémoire s’efface : “C’est une partie de l’histoire de France, comment dans une capitale comme Paris, des racailles comme nous, en plein jour, ont pu abattre des Allemands. Moi à votre place, je n’y croirais pas.”
L’actualité d’un combat humaniste
De nombreuses personnalités politiques, notamment communistes, lui ont rendu hommage.
Ému et triste à l'annonce du décès d'Arsene Tchakarian, dernier survivant du groupe Manouchian et des FTP Moi. Résistant de la première heure, Arsène était de tous les combats progressistes de ce siècle avec le @PCF. Modeste et humble, c'est un grand homme qui nous quitte.
— Pierre Laurent (@plaurent_pcf) August 5, 2018
Jusqu’à sa mort il parla d’eux ! Hommage à Arsène Tchakarian, disparu samedi à 101 ans, dernier survivant du groupe des FTP-MOI #Manouchian. Une page se tourne, ils laissent cette Histoire, et lèguent, comme un don, l’esprit de Résistance. Infinis respect et gratitude. pic.twitter.com/GX8PxHpM2G
— Sébastien Jumel (@sebastienjumel) August 5, 2018
Arsene Tchakarian, dernier résistant FTP-MOI du groupe #Manouchian viens de décéder. Son combat pour la liberté et contre l’extrême-droite est toujours d’actualité en Europe en 2018. pic.twitter.com/ZMfY0ygF4f
— Fabien Gay (@fabien_gay) August 5, 2018
Emotion en apprenant le décès d'Arsėne Tchakarian. Résistant, engagé dans le groupe Manouchian, il fut le seul survivant des 22 frères solidaires de l'Affiche rouge exécutés par les nazis.
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) August 5, 2018
L’histoire du groupe Manouchian a été relatée dans le film L’Armée du crime, de Rober Guédiguian. Encore récemment, la styliste Agnès B. évoquait la chanson de Léo Ferré, L’Affiche rouge, et l’actualité du combat qu’ils ont mené : “L’Affiche rouge, évidemment, parle des immigrés qui sont morts pour nous. Quand il est dit : ‘Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles’, je pense aux migrants qui essaient de se mettre à l’abri”. Charge à nous désormais de maintenir le souvenir de ce groupe et des valeurs qu’ils ont défendues vivants.
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