Hervé Lebreton avait révélé non sans mal les pratiques clientélistes liées à la réserve parlementaire, ou encore l’enrichissement personnel de nos députés grâce aux indemnités représentatives de frais de mandat. Il raconte son expérience dans un livre, « Je veux vivre en démocratie ».
Il nous a donné rendez-vous dans un bistrot près de la Place de la loi, à Versailles, mais nous assure que cela ne tient que du hasard. Pourtant, on aurait spontanément pensé que, justement, une telle localisation n’était pas fortuite : après tout, Hervé Lebreton semble avoir développé ces dernières années une appétence peu commune pour le fait législatif. Attablé derrière un chocolat chaud, ce natif de Blois égrène les références à la constitution française ou aux législations garantissant et encadrant – du moins censément, on le verra – le vivre ensemble dans notre société. Il sera ainsi question, lors de cet entretien, des articles 3, 24, 34 et 37 de la constitution, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de lois organiques ou encore de bloc de constitutionnalité. De parlementaires, de transparence, de contrôle et de sanction, itou. Bref, on aurait presque pu s’attendre à ce qu’il nous dise “la loi, c’est moi”. En fait, il n’en sera rien. “rv” – comme il signe ses SMS – est juste un homme de bon sens qui rappelle une évidence semblant avoir été oubliée par bon nombre de nos représentants : l’existence de lois et d’une constitution en France.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce père de deux enfants la rappelle également dans son premier livre aux éditions Max Milo, Je veux vivre en démocratie – spoiler : selon lui, ça n’est toujours pas le cas. Dans cet ouvrage écrit à la première personne, il revient sur son parcours et sur les actions qui lui ont apporté une petite notoriété il y a quelques années. Car Hervé Lebreton est l’homme par qui le scandale est arrivé, en 2011 : depuis son village de Lacépède (Lot-et-Garonne), il a mis en lumière la problématique de la réserve parlementaire… et des nombreuses pratiques clientélistes qui en étaient le corollaire.
« Tout cela est rendu possible car il n’y a pas de transparence et de contrôle, et de sanction »
Rapide rappel : cette caisse légale, c’était environ 150 millions d’euros qui permettaient aux députés d’apporter des financements aux assos et aux collectivités locales de leur circonscription. « C’était », car la réserve parlementaire n’est plus depuis le mois d’août 2017 et l’adoption par les députés de la loi “pour la confiance dans la vie politique”. Un motif de satisfaction pour Hervé Lebreton, qui n’avait obtenu la liste des subventions accordées en 2011 qu’au prix de deux ans et demi d’une longue et difficile procédure, émaillée de refus (illégaux) et de condescendance de la part de nos institutions ? “Cette loi est un vaste enfumage”, nous dit le président de l’association “Pour une démocratie directe”, qu’il a fondée en 2008.
Car selon lui, si une prise de conscience à plus grande échelle n’advient pas dans la société, tout cela ne sert à rien : “C’est ce que je veux dire dans ce livre : les actions de l’asso ou celles que j’ai mené à titre individuel ont permis de reboucher des trous, mais, en même temps, d’autres trous se creusent à côté (…) En fait, on n’est pas sur le bon niveau de réflexion. Et aujourd’hui, quand on me dit “il y a plein de choses qui ont évolué”, je dis non. Dans l’absolu, rien n’a changé.” Et de citer la guéguerre entre les sénateurs et les députés – les seconds ayant vu l’alignement de leurs pensions de retraite sur le régime général, a contrario des premiers, d’où une jalousie latente entre les deux – ou encore les allocations versées par l’Assemblée nationale aux députés pour leurs frais d’obsèques.
Fiché par les RG
Bref, pour lui, la situation est “catastrophique” (le mot reviendra souvent). “Là faut arrêter de délirer ! Et tout cela est rendu possible car il n’y a pas de transparence, de contrôle, et de sanction. Donc moi, l’idée, c’est de passer à la vitesse supérieure et de faire en sorte que les citoyens regardent les politiques autrement, en disant oui, vous avez des comptes à rendre, et vous devez défendre l’intérêt général et le bien commun. Si vous ne les défendez pas, vous n’avez pas votre place en politique.”
Celui qui fut fiché par les Renseignements généraux pour son insistance – sa boîte mail fut par exemple bloquée un temps pour cause d’un nombre trop important de messages envoyés – ne comprend pas comment, par exemple, on peut continuer à réélire des parlementaires s’étant enrichis via les Indemnités représentatives de frais de mandat – un autre problème qu’il avait découvert et médiatisé. “S’il n’y a pas cette prise de conscience de l’intérêt général, si on ne change pas le regard qu’on a sur les politiques, si on n’a pas un regard plus exigeant sur eux et sur nous mêmes, car on a ce qu’on mérite finalement, et bien on n’avance pas. Le cas contraire, tout devient possible.”
“Le “petit prof” qui fait peur aux députés” dixit Le Point – une description à laquelle celui qui ne croit pas “aux systèmes pyramidaux et à l’homme providentiel” ne souscrit pas, assurant plutôt avoir mené ses démarches en tant que “citoyen” – n’oublie d’ailleurs pas de faire sa propre autocritique, lui qui “vit dans une société qui [ne lui] plait pas”. “On marche sur la tête. Comment peut-on accepter – et je m’inclue dedans – cette espèce de schizophrénie où des personnes ont à la fois des smartphone à mille euros et, à côté de ça, on ne donne pas 1 euro à quelqu’un qui fait la manche ?” NB : lui-même pourfendeur de toute forme de “superficialité” et de “futilité” ne fait pas dans l’ostentatoire, vieux téléphone portable, fringues passe-partout, baskets noires.
« C’est parce que je n’y connais rien que je me pose des questions »
Le déclic pour lancer ses actions fut double : voir sa voisine Santine dans le besoin alors qu’elle avait travaillé durement toute sa vie et assister en parallèle aux discours moralisateurs des parlementaires qui, dans le même temps, s’accrochaient à leur régime de retraite spécial + une petite crise de la quarantaine associée à l’idée “de savoir où l’on va”. Question de caractère aussi : Hervé Lebreton est de ceux qui aiment et cherchent toujours à comprendre, tout, que le sujet soit simple ou compliqué.
Pas du tout féru de politique et complètement “béotien” à la base concernant nos lois et notre constitution, il pense que cette “ignorance” de base fait sa force : “C’est parce que je n’y connais rien que je me pose des questions. Et du coup, je mets de côté l’habitude” – étant entendu que ce serait justement cette habitude des passe-droits, des petits arrangements et du “double discours” chez les parlementaires qui tuerait la démocratie, réduite à peau de chagrin (voter, basta). Ceci, alors même que d’autres formes démocratiques que la représentativité existent, fonctionnent, et sont cumulables : directe, liquide…
Non sans bâton dans les roues, celui dont on ne connaîtra pas le vote en 2017 s’est déjà présenté deux fois sans étiquette – et sans succès – à des élections, d’abord municipale puis législative. Sans vouloir prédire le futur, il ne semble pas vouloir réitérer l’expérience. Et si tout cela n’est pas du tout “le sens de sa vie”, il en tire tout de même une fierté, la même que celle découlant des actions menées individuellement ou avec l’asso : “J’ai prouvé que c’était à la portée de tout le monde et qu’on peut tous agir à notre petit niveau : on a des droits et des devoirs, on a juste à les faire respecter, c’est tout. C’est vraiment ma plus grande satisfaction : avoir pu donner à d’autres l’envie de participer, qu’elle qu’en soit la façon.” Il nous le dit droit dans les yeux, un peu en mode Jérôme Cahuzac – aka le député de sa circonscription à l’époque du scandale de la réserve parlementaire, tiens tiens – mais on doute fort qu’Hervé Lebreton cache un compte en Suisse.
« Je ne vois pas ce qu’il y a de populiste à réclamer la transparence de l’argent public »
Son livre, aux vertus “cathartiques” – “je me suis mangé plein de murs” – est ainsi un moyen, pas un but en soi : réfléchir au fait de savoir si on “a envie d’une autre politique” et montrer que tout un chacun peut agir en ce sens, à charge de s’y mettre. Il se fait ainsi le promoteur du “pouvoir citoyen”, lui qui déplore la loi contre les fake news initiée par la majorité LREM : “Aujourd’hui, on une pensée unique, défendue en haut lieu, contre laquelle je me bats. On doit pouvoir discuter avec tout le monde, même avec ceux avec qui on n’est pas d’accord. Même les choses les plus terribles, on doit pouvoir les entendre.”
Aux accusations de populisme qu’il a pu entendre de ci de là – “Ce sont les gens au pouvoir qui le disent” – il rétorque qu’il “ne voit pas ce qu’il y a de populiste à réclamer la transparence de l’argent public et de savoir comment il est utilisé”. Philippe Pascot, qui co-dirige avec Caroline Chaumet-Delattre et Jean-Charles Gérard la collection « Voix d’alerte » chez Max Milo (au sein de laquelle est édité l’ouvrage d’Hervé Lebreton), va dans son sens. L’auteur de Pilleurs d’Etat, qui dénonçait en 2015 les abus des élus, nous assure par téléphone qu’ils « se font en effet traiter de populistes » et qu’on les « accuse de faire monter le FN ». Des foutaises selon lui : « Ce sont des excuses bidons. L’abstention est organisée… Les élus nous mentent et nous manipulent – et comme les gens sont dans leurs propres problématiques, ils ne s’en rendent pas compte. »
Un modèle de lettre au Président de la République
Pour cet ex-collaborateur de Manuel Valls à la mairie d’Evry, cela tient encore une fois du bon sens : « En politique, tout doit être transparent. Moins il y a de transparence, plus il y a d’abus. Il ne faut pas oublier que nos représentants sont comme nos employés : ce qu’ils manipulent, c’est notre argent. » Appelant lui aussi à « réparer tout le système », il affirme qu’Hervé Lebreton « est une référence pour la lutte pour un retour à la démocratie » et vante son côté « teigneux, qui sait, à force de procès, faire plier ». Le livre de son camarade de bataille lui paraît ainsi « primordial ».
Les dernières pages de l’essai reproduisent en tout cas la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et les grands principes qu’elle promeut, comme une sorte de rappel et de mantra. Un modèle de lettre à envoyer au Président de la République, aussi. Découpable à même l’ouvrage, elle a pour objet la demande de “l’ouverture de toutes les données budgétaires et comptables relatives à la dépense publique sous un format respectant la licence ouverte”. En somme, que tout un chacun puisse connaître les montants d’argent public reçus par chaque personne juridique ou morale (entreprise, asso…). De quoi donner un second souffle à son ouvrage, lui qui a écrit dans l’exemplaire plein de notes que nous avions amené : « Continuez à écrire dans les livres ! C’est comme cela qu’ils vivent.”
Je veux vivre en démocratie, de Hervé Lebreton, éd Max Milo, 220 p, 19,90€
{"type":"Banniere-Basse"}