Ils nous racontent leurs nuits, les blanches, les noires. Entre le crépuscule et l’aurore, éclairés à la bougie ou aveuglés par les néons de la ville, ils se révèlent sous un jour nouveau et dévoilent leur part d’ombre. Cette semaine, rencontre nocturne avec Marina Foïs, sombre héroïne du film Irréprochable, actuellement en salles.
Dix heures et demie du soir en été. Elle nous reçoit chez elle, le mari n’est pas là, les enfants non plus, il n’y a qu’elle et le chat dans le bel appartement du neuvième arrondissement où les dernières lueurs du jour s’éteignent doucement. Elle offre une bière. C’est son heure à Marina, après le dîner, avant la nuit. Elle dort peu, rarement plus de six heures. Elle aime profiter du soir, et le matin il y a le réveil des enfants, l’école. « Ces enculés de gosse », dit-elle. Elle rit : « N’écrivez pas ça ».
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Nuits blanches
Longtemps, la nuit, elle n’a pas dormi du tout. A 16 ans, elle quitte le lycée (elle passera son bac par correspondance) et part s’installer « chez un couple d’homos déchaînés ». A savoir chez son ancien babysitter, à la tête d’une école de théâtre, qui a embarqué toute la troupe dans son grand manoir près de Toulouse, pour répéter et pratiquer joyeusement la vie en communauté. Ils ont plus de trente ans, c’est encore une ado. La journée, elle joue et fait ses devoirs, et le soir, elle tient le bar : « Il y avait tous leurs potes comédiens de Paris qui descendaient, la maison était pleine, c’étaient des fêtes complétement décadentes, avec beaucoup de drogues. A neuf heures du mat’ je disais, bon allez, c’est le dernier demi, on va se coucher. J’ai évidemment participé à ça, et j’aurais été bien con de pas le faire. C’était bien ». Elle dit : « Ce qui est beau dans la nuit, c’est quand ça dérape ». Elle n’aime pas spécialement la picole : « Pendant des années je n’ai pas bu du tout. Je m’y suis remise pour les autres, pour ne pas qu’ils s’ennuient avec moi ». Elle n’aime pas non plus « les drogues qui endorment ». « Celles qui réveillent », par contre, oui – mais « très ponctuellement ». Elle dit : « Je ne pense pas avoir un profil de junk parce que j’en prends mais je n’en reprends pas. Mais si c’est convivial et partagé, j’aime bien. Je préfère les effets de la drogue à ceux de l’alcool. Les gens bourrés j’en ai marre : quand on me répète sept fois la même phrase ou quand on est trop affectueux, ça peut me souler ». Bon souvenir pourtant de cette nuit, où, toute jeune encore, elle a croisé son idole d’adolescence, Jacques Higelin : « J’arrive Chez Ali, un restaurant de nuit à la mode à l’époque. Je vois Higelin qui se lève, qui arrive vers moi… Il me prend dans ses bras et il me dit, alors il paraît que tu m’aimes bien ? Moi je me demi-évanouis, je lui dis mais c’est pas que je t’aime, c’est que je t’adore. J’ai passé la soirée sur ses genoux, il était bien bourré, et il m’a dit : toi, tu seras une star ».
Ecran noir
Après son bac, Marina se consacre au théâtre, des classiques, du Racine. Au Cours Florent, dans la classe d’Isabelle Nanty, elle rencontre ceux qui deviendront ses partenaires des Robins des Bois, troupe comique culte qui explose en 1997. Repérés par Dominique Farrugia, ils écrivent et jouent quotidiennement plusieurs sketchs à la télé, d’abord pour la chaîne du câble Comédie, puis pour Canal +. Souvenirs encore de soirées endiablées et pimentées de blanche, « avec des gens que je ne citerai pas ». Et puis Marina se fait attraper par le cinéma. Des comédies d’abord – La Tour Montparnasse infernale, Mais qui a tué Paméla Rose, RRRrrrr !!!… – puis des drames – Darling, « Non ma fille tu n’iras pas danser » ou encore Polisse. L’écran noir ne l’empêche toujours pas de pratiquer régulièrement les nuits blanches, ou au moins très courtes. Parfois même, c’est utile : « Tourner quand on n’a pas beaucoup dormi, ça peut être très bien. Il y a un léger tremblement intérieur, qui peut être intéressant à exploiter dans le jeu ».
« Et là, Gérard Depardieu sortait de l’eau »
Elle allume une clope. Elle dit : « J’aime le jour pour sa normalité et j’aime la nuit pour exactement l’inverse ». Elle dit : « Je peux perdre le sens du réel la nuit. Le délire peut s’envoler ». Elle dit : « La nuit, les psys dorment ». Il y a quelques années, elle a voulu voir plus clair dans l’obscurité que chacun porte en soi : sept ans d’analyse, à coup de trois séances de 45 minutes par semaine. Elle dit : « La psychanalyse permet de s’alléger de sa part sombre ». Elle dit : « Sans déconner, tout mon entourage devrait me remercier d’y aller ». Elle a perdu son frère il y a seize ans. Un accident d’avion. Ils étaient très proches. Longtemps, la nuit, il a hanté ses songes : « Il était vivant dans mes rêves et à chaque fois c’était déchirant. Il me racontait qu’il n’était pas mort, mais qu’il avait disparu, et je me réveillais absolument bouleversée. Jusqu’au jour où dans un rêve il m’a dit, en fait, je ne suis pas mort… Je suis devenu institutrice en Belgique ». [Rires]. « Je me suis réveillé en me marrant. Je me suis dit, ok, là j’ai fait le deuil de mon frère ». Le rire, c’est l’arme de Marina Foïs. Elle dit : « J’ai un problème avec la tristesse. Je l’évacue. J’ai une capacité à ne pas être triste qui est hallucinante, et qui peut être dangereuse ». Le rire désarme le réel. Le rire, et le rêve donc. Elle adore rêver. Malheureusement, parfois, ça tourne au cauchemar. Dans les siens, il y a la mer qui revient. Et heureusement, parfois, ça finit bien : « Il y a ce rêve fou que j’ai fait une nuit. J’étais en haut d’une falaise. J’avais un tout petit bébé dans les bras, et je le lâchais. Je le voyais dégringoler, j’avais le temps de dire, cet enfant va mourir, je suis responsable de sa mort, et là… Et là Gérard Depardieu sortait de l’eau, récupérait l’enfant et le sauvait. Ce rêve-là, je ne l’oublierai jamais ! ».
« Je pourrais dire que j’ai bien kiffé »
Elle dit : « J’aime bien me réveiller à une heure et demi du mat’, fumer des clopes toute seule, manger du chocolat. Je n’ai pas peur de la solitude ». Elle est mariée au réalisateur à succès Eric Lartigau (La Famille Bélier), elle a deux enfants. Lorsque le sommeil ne vient pas, elle ressasse : « Je fais des fixettes, sur des choses qu’on m’a dites, sur des gens que je ne peux pas encadrer – je peux y rester trois nuits ». Et lorsqu’elle en a marre, elle dégaine le Léxo : « Il y a des médicaments qui existent, qui aident, je ne vois pas pourquoi je m’en priverais. Je ne suis pas addict à ces trucs-là mais j’aime bien les avoir pas loin. Et puis de toute façon, il ne reste plus tant d’années que ça à vivre… Autant se les faciliter ». Elle balance ça comme ça, entre deux clopes. On comprend que ce n’est pas du pessimisme. Plutôt une forme de réalisme, peut-être un peu dur, peut-être un peu cru, mais qui l’aide à mieux vivre. Et puis de toute façon, la mort, ça ne lui fait pas peur : « La mort ne m’angoisse pas, la mienne en tout cas, car je crois que je pourrais dire que j’ai bien kiffé. Si les années à venir ressemblent à celles passées, j’aurais des douleurs, mais je n’aurais pas de frustrations. J’ai beaucoup de satisfactions dans ma vie : j’ai choisi mon métier, je le choisis encore. Je ne suis pas du tout blasée. Je m’étonne et me réjouis beaucoup. Alors ma mort, ça ira… J’y survivrai ».
La nuit nous appartient
Et puis la nuit, avant tout, c’est la vie. Ce sont les scènes du lendemain auxquelles on pense en s’endormant, les tournages de nuit « épuisants et jouissifs parce que l’on est coupé du monde », c’est le théâtre, ce sont les dîners avec les amis, ceux « où à huit heures du matin on est toujours à table », ce sont les nuits cannoises « où le maquillage coule », ce sont les shots de vodka « qui font glousser comme une idiote », c’est le sursaut de vie à cinq heures du matin « lorsque le corps n’est plus capable de rien mais que la tête va à deux mille à l’heure », c’est l’endormissement « où la vie peut être exactement comme je la rêve ». La nuit, ce sont aussi les grands ciels étoilés de Naples, de Bangkok, c’est la chaleur du soir à Syracuse, c’est le smoking lounge de l’aéroport de Hong-Kong, c’est New-York, les buildings illuminés de Times Square. Par contre, ce n’est pas la campagne : « Ca m’angoisse. La nuit dans un champ, dans une forêt, c’est horrible. J’ai peur de la nature. J’aime les lumières de la ville. J’ai besoin du bruit, des gens ». Et enfin, il y a les nuits dont on ne saura rien : « Mes nuits les plus marquantes ? Elles sont bien trop intimes… Et bien trop belles ».
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