A quelques jours de sa nouvelle émission de débats sur France 2, le journaliste revient sur son parcours « atypique », son JT manqué au profit d’Anne-Sophie Lapix et son regard sur les nouveaux médias branchés millennials. Entretien sans fard ni prompteur.
“Installe-toi, je t’en prie, il fait tellement froid…” Julian Bugier n’a pas vraiment tort : notre interview a beau être fixée à l’orée du printemps, la température ne dépasse guère les 4 degrés à Paris. Mais outre la météo, tout étonne et détonne dans cette entretien, à commencer par le lieu. Qu’on se le dise, on avait parié que le journaliste opterait pour un de ces célèbres mais néanmoins âpres hôtels du XVIe, où il nous aurait accueillie étriqué dans un costume trois pièces. Loupé. L’intéressé, tenue décontractée et sneakers Nike aux pieds, a jeté son dévolu sur le bar d’un petit hôtel du Xe, « un beau quartier que j’aime beaucoup« .
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Renouveler le débat public
Etalé avec nonchalance sur sa banquette, Julian Bugier apparaît comme apaisé, satisfait, voire, allez, osons le dire, heureux. D’emblée, il nous impose le tutoiement et nous montre qu’il a fait ses devoirs en nous évoquant subtilement notre rubrique « Où est le cool ? ». Dommage, nous ne l’avons pas rencontré pour décortiquer son look mais davantage son agenda des plus chargés.
« Eric Zemmour ne sera pas sur mon plateau, Alain Finkielkraut non plus”
Dès le 28 mars, l’homme sera à la tête de Questions directes, émission bimensuelle de débats en deuxième partie de soirée sur France 2 dans la même veine que La soirée continue. « On veut réinvestir le champ du débat public où seront mélangées la parole citoyenne, des experts comme des politiques, des philosophes, des entrepreneurs, des associatifs. Des gens qui font et pas juste des gens qui pensent, et qui échangeront leurs idées autour des questions qui font l’actu. »
L’idée étant de proposer au spectateur une alternative aux C dans l’air et consorts, où les mêmes experts s’accaparent l’espace médiatique. « Eric Zemmour ne sera pas sur mon plateau, Alain Finkielkraut non plus. Ce n’est pas une histoire de camp, affirme-t-il. Il y en a juste marre de ces éditocrates qui monopolisent la parole et assènent toujours les mêmes vérités. »
Bien que le journaliste concède qu’il y aura « quelques tronches connues » de temps à autre. « Mais pas que ». On lui un espère un destin moins funeste que Face à France de Jean-Marc Morandini, talk au pitch très similaire diffusé sur NRJ 12 en 2015 et stoppé net suite à des désaccords entre l’animateur et la chaîne.
https://youtu.be/dKpFcvQyvlU
Même si, en cas de faibles audiences, Julian Bugier aura toujours de quoi rebondir. Particulièrement gâté par le service public, le journaliste cumule les casquettes, à la fois présentateur joker du JT, de l’hebdomadaire émission de décryptage Tout compte fait, du programme d’investigation Cellule de crise (autrefois chapeautée par David Pujadas), sans compter les nombreuses éditions spéciales qui rythment le calendrier (14 juillet, 11 novembre, etc.).
Ambitieux décomplexé
Une jolie récompense pour cet autodidacte qui, rappelons-le, n’a que pour seul et unique diplôme un bac littéraire. « Sans mention » précise-t-il, décomplexé. A défaut de grandes écoles, ce sont les chaînes d’informations qui l’ont formé avec, dans l’ordre, Bloomberg TV, BFMTV et feu I-Télé avant qu’il ne creuse aujourd’hui son sillon au sein de France Télévisions. D’après lui, si l’absence de diplôme a pu jadis être une épine dans le pied, c’est aujourd’hui une force : « C’est une fierté d’avoir un parcours qui sort du lot, ce qui n’était pas le cas au début. »
Une différence qui n’en a jamais été une pour ses collègues, comme nous l’explique Léa Salamé, qui n’en semblait d’ailleurs point avertie : « Honnêtement, notre génération est composée de profils très éclatés. C’est celle qui suit qui est plus stéréotypée. » Même son de cloche du côté de Pascal Doucet-Bon, directeur délégué de l’information chez France TV. « Je sais que cela lui sert de moteur et je comprends pourquoi. Mais honnêtement, face à un journaliste compétent et curieux, on ne pose pas la question du cursus ! »
“Je me place toujours du point de vue du spectateur, et pas celui du spécialiste”
Mais alors, si ce n’est son côté self-made-man, qu’est-ce qui fait « la patte Julian Bugier » ? L’homme hésite longuement avant de nous répondre (« là je suis bien emmerdé ! »), reprend une gorgée de son cocktail, et propose : « Je me place toujours du point de vue du spectateur, et pas celui du spécialiste. Or, l’écueil des journalistes politiques c’est de vouloir faire des interviews de spécialistes. Moi, je suis le petit gars qui a grandi à Blois et qui aujourd’hui interviewe le président de la République. Je pense à mes amis, ma famille et je me demande quelles questions ils se poseraient. »
Savoir jouer de sa plastique
Difficile toutefois d’éluder la question de l’apparence, tant celle-ci revient systématique sur le tapis. Elu « plus beau mec de PAF » par le magazine gay Têtu en 2009, Julian Bugier fait autant parler de lui pour son travail que pour sa plastique. Un statut qui ne déplaît pas à l’intéressé, nous avoue Pascal Doucet-Bon : « Il n’est pas dupe et ne fait pas semblant de ne pas aimer ce côté good-looking, sex-symbol, tant aux yeux des garçons que des filles. »
Théorie confirmée lorsqu’on ose aborder frontalement avec lui le sujet. Désormais habitué à commenter son propre physique, Julian Bugier ne joue pas les pudibonds effarouchés. A l’inverse, il se montre même joueur, presque taquin. Avant de nous demander, à la fois provocateur et mutin, si nous aussi, on est sous le charme – interrogation à laquelle nous n’avons pas répondu si vous voulez tout savoir.
Déception affichée
Les observateurs de la sphère médiatique ne l’ont pas toujours connu avec autant d’entrain. Dès lors, impossible de ne pas penser à sa déception clamée à l’envi lorsque France Télévisions lui préfère Anne-Sophie Lapix pour la présentation du JT. « J’arriverai à avoir cette place de numéro 1″ , déclarait-il d’un ton presque belliqueux. Si afficher son désappointement avec autant de transparence peut en stupéfier certains, Léa Salamé, elle, n’a pas été surprise par la réaction de son confrère : « Ça ne m’a pas étonné, il est comme ça ! Il a un côté juvénile, sincère. Et aujourd’hui il a compris, il n’est plus déçu. »
“Mon ambition est de récupérer une grande édition, il n’y a pas de mal à dire cela, c’est même plutôt sain !”
Finalement, on nous rapporte qu’au sein du service public, personne ne s’est montré offusqué par les propos du journaliste. « En interne, ça n’a pas posé de problème, assure Pascal Doucet-Bon. Il est très présent à l’antenne, ça prouve qu’on compte sur lui, et pas seulement pour de l’info. »
L’intéressé ne regrette rien, et confirme, sans chichi ou faux-semblant, garder cet objectif dans un coin de sa tête : « Fabriquer l’information, lancer des sujets, les suivre, échanger avec les journalistes, réagir à chaud… Voilà ce que j’aime. Mon ambition est donc de récupérer une grande édition, il n’y a pas de mal à dire cela, c’est même plutôt sain ! Je ne vais pas me cacher derrière mon petit doigt et faire comme si… »
Gare au reporter zappeur
Un dessein que sans doute les fameux millennials auront bien du mal à suivre, eux qui délaissent le JT au profit d’internet et des réseaux sociaux pour partir à la chasse aux infos (en 2016, l’âge moyen du spectateur du 20h de France 2 était de 62 ans). Qu’ils se rassurent : cet amoureux des JT s’intéresse lui aussi aux nouveaux formats. « J’ai jeté un œil sur Konbini News. C’est marrant, comme Hugo Clément est quelqu’un qui vient de chez France 2, dit-il, décidément très corporate. Je regarde Vice aussi, qui a un traitement formidable de l’information. C’est en grande partie grâce au Petit Journal qui a montré la voie. Ce qu’ils font est tout à fait louable. Après, il faut faire attention au côté ‘reporter zappeur’, qui est le lundi en Afrique du Sud, le mardi au Rwanda, le jeudi en Tchétchénie… Pour raconter un pays et donner une réalité il faut avoir le temps de se poser. Ici le bémol c’est qu’on a l’impression de survoler les sujets. Mais bravo et bienvenue à eux ! »
Sur cette analyse sans langue de bois, notre entretien touche à sa fin. Julian Bugier s’apprête à prendre congé, le devoir l’appelle. Des détails à peaufiner pour une prochaine émission ? Encore raté. « Mes enfants m’attendent », répond-il laconiquement, comme s’il s’agissait là d’une évidence. Sans toutefois oublier de se resservir en cacahuètes. Un homme simple, qu’on vous dit.
Questions directes, dès le 28 mars prochain sur France 2 à 22h35.
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