Les Inrocks ont vu en avant-première le documentaire que Patrick Rotman a consacré à Lionel Jospin, diffusé la semaine prochaine sur France 2. Compte-rendu.
Expert des biographies politiques à la télé, Patrick Rotman élargit son registre avec un portrait de Lionel Jospin. Fondé sur le projet de reconstituer un parcours sur la longue durée, l’auteur assume ici l’empathie de sa démarche. A la différence de ses précédents films sur Mitterrand et Chirac, foisonnants mais sévères sur leurs travers, Rotman assure ici avoir voulu faire un film « avec » Jospin, et non pas « contre ».
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Pour autant, la proximité affective qui se dessine ici ne fait pas l’économie de l’évaluation critique : Rotman, qui délaisse tout commentaire pour laisser à Jospin le soin de faire lui-même le récit de sa vie, s’en tient à un principe d’éclaircissement sur un homme généralement avare en confidences. Dans cet exercice d’auto-analyse, Jospin joue le jeu, fidèle à lui-même, précis, exigeant, honnête, droit, soucieux du détail. Depuis ses années de formation à son départ de Matignon, en passant par ses longues années à la direction du Parti Socialiste, Jospin revisite tout de sa vie publique et privée (le basket, le trotskysme, mai 81, la gestion de la maison socialiste, sa rivalité avec Fabius, l’éducation nationale, la campagne de 1995, le choc du 21 avril 2002…).
Toutes les étapes de sa carrière politique révèlent la force d’un caractère, digne de celui d’un homme d’Etat. Mais, le film de Rotman, confirmé par un livre d’entretiens avec Pierre Favier, met en scène une définition iconoclaste de l’homme d’Etat, éloignée de celle que la mythologie politique française en donne habituellement. L’homme d’Etat ne concentre pas chez Jospin les mêmes attributs que ses prédécesseurs et successeurs.
Formé par Mitterrand, auprès duquel il a tout appris, ayant gouverné auprès de Chirac durant la cohabitation entre 1997 et 2002, Jospin n’en a pas moins inventé un autre type de rapport au pouvoir, à rebours du cynisme et du machiavélisme de ses modèles voisins. Le « côté crasseux » de la politique lui est étranger : s’il a souffert au cours de sa vie des coups reçus de la part de ceux qui se moquent de la morale en politique (clin d’œil à Chirac, entre autres), il s’est préservé, lui, des règles du jeu dominantes. Les siennes affichaient droiture, fidélité, raideur, parfois.
Dans la lignée d’un Mendès ou d’un Rocard, les losers magnifiques de la gauche française, certains diront de lui qu’il n’avait pas la trempe d’un prétendant à la dernière marche du pouvoir : trop gentil, trop naïf. Mais qui le sait vraiment ? S’il était arrivé en tête le 21 avril, ce qui était possible, peut-être en aurait-il été autrement…
De cette défaite, il dit peu de choses, sinon qu’elle a été surtout provoquée par la division de la gauche, dont il avait sous-estimé l’impact avant le premier tour. Quant à sa responsabilité personnelle, il reconnaît, sans plus en dire, qu’elle est « par définition entière ». Il y a dans ce Jospin-là la marque cachée du mitterrandiste : l’économie des mots, la distance avec l’événement, fût-il douloureux, le mystère entretenu autour de sa psyché et de son bilan personnel, trop frileux pour beaucoup.
C’est le fantôme mitterrandien hantant sa vie qui forme d’ailleurs le point d’accroche le plus intéressant du film. Jospin mena l’essentiel de sa carrière politique à ses côtés, depuis les années 70 au sein du PS jusqu’à l’exercice du pouvoir à l’Elysée, où il était sans cesse consulté. Marqué par cette relation complice avec Mitterrand, Jospin n’en cache pas moins tout ce qui l’en sépare aussi, autre marque de son identité complexe, pur mitterrandiste détaché de la fascination aveugle pour le maître.
Il révèle ainsi plusieurs désaccords de fond qu’il eut avec lui : la vente d’armes à l’Irak en guerre contre l’Iran, l’amnistie des généraux félons d’Algérie, la politique audiovisuelle, la venue de Tapie dans le gouvernement Bérégovoy, ou encore l’amitié avec René Bousquet, à propos de laquelle il écrivit : « On voudrait rêver d’un itinéraire plus simple et plus clair pour celui qui fut le leader de la gauche française des années 70 et 80 ». Mais si ces différends moraux, stratégiques et esthétiques l’ont éloigné de Mitterrand, ils ne l’en ont pas détaché pour autant. Malgré le « droit d’inventaire » et la « gauche plurielle » de la fin des années 90, Jospin se revendique toujours et encore fils de Mitterrand.
Cette filiation le définit plus que sa propre paternité pour ceux qui lui ont succédé au PS. Fils de Mitterrand, il n’est père de personne, sinon d’un coup de tonnerre (le 21 avril), sinon surtout d’une conception de la politique ne sacrifiant pas la vertu des principes au vice du pouvoir. De nos jours, cet héritage vaut de l’or. Il reste son plus beau dû à l’histoire de la gauche, qui lui doit beaucoup, presque autant qu’elle lui en veut.
Lionel raconte Jospin, documentaire de Patrick Rotman, jeudi 14 et 21 janvier sur France 2 en deuxième partie de soirée
Et sortie du livre : Lionel raconte Jospin, entretiens avec Pierre Favier et Patrick Rotman (Seuil)
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