De “Libé” à ”L’Equipe”, sans oublier la “NRF” , Grégory Schneider fait de la critique footballistique une tranche de littérature et un formidable outil d’analyse de notre société.
Grégory Schneider le réaffirme sans cesse : “Le football est quelque chose de très sérieux.” D’abord parce que le plus populaire des sports engrange des milliards et que les milliards engrangent bien souvent la corruption de haut niveau, la Fifa nous l’a assez démontré.
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Mais cette exploitation “de millions de gens à qui on ment, et qui rend le journalisme indispensable” n’est pas l’unique raison du “sérieux” avec lequel Grégory Schneider considère le ballon rond. Son prisme d’analyse, sa constance inaliénable, pourrait se résumer ainsi : le football, c’est la société. Journaliste à Libération depuis 2001 et désormais chef du service sports, Grégory Schneider s’est fait connaître du grand public en 2010, lorsqu’il a commencé à intervenir une fois par semaine dans 20H Foot, l’émission présentée par Pascal Praud sur iTélé, puis dans L’Equipe du soir sur L’Equipe 21 où il deviendra un débatteur régulier à partir de 2013.
Pour autant sa réputation s’est forgée à la plume, via ses articles bourrés de néologismes, de constructions syntaxiques imprévisibles, et d’un vocabulaire à la fois technique et significatif d’une culture artistique aussi hors-norme qu’inattendue pour de tels sujets. Un style qui a déjà marqué toute une génération de footeux et de lecteurs de tous bords. En 2015 il a même été invité par deux fois à écrire dans la Nouvelle Revue française de Gallimard, l’acmé intellectuelle de tout penseur.
Le joueur, au-dessus de tout
Ce grand écart entre talk-shows populaires et compositions savantes illustre parfaitement la vision du football que défend Grégory Schneider comme matrice de la société. Le football mérite l’attention et l’analyse des plus cultivés, et les téléspectateurs quels qu’ils soient, les citoyens, méritent d’entendre et de participer à ces réflexions-là.
Nicolas Demorand, son ancien patron à Libé entre 2011 et 2014, nous confesse avoir été :
“frappé par sa capacité à défendre le sport comme phénomène social et démocratique total, mais également son intérêt pour les petits du foot, les vaillants damnés du terrain, les petites équipes qui font vivre une autre flamme que la vitrine luxueuse du foot.”
Il faut l’entendre en effet, invité en octobre 2015 au micro de Répliques d’Alain Finkielkraut sur France Culture, répondre au philosophe outré par les fourberies répétées du joueur Diego Costa, que celui-ci “fait vivre une centaine de personnes au Brésil. Pour Diego Costa la bonne tenue sur le terrain est un luxe qu’il ne peut pas se permettre. Il faut bien comprendre que ces gars-là sont avant tout des micro-économies à eux-seuls”.
Mathieu Grégoire, aujourd’hui journaliste à L’Equipe après avoir travaillé dix mois durant aux côtés de Grégory Schneider à Libération, confirme que ce dernier “met le joueur au-dessus de tout”. Encore une fois face à Finkielkraut, grand adepte du “c’était mieux avant”, Schneider affirme n’être absolument pas dérangé par la toute-puissance grandissante des joueurs, et trouve même ce déplacement du pouvoir aussi logique que juste : “In fine ce sont eux les créateurs de valeur.” Et lorsque, comme lui, on regarde le football via la société, à moins que ce soit l’inverse, le joueur et son traitement médiatique éclairent tout particulièrement sur les maux d’un certain système à un certain moment.
Gardien du temple ?
Ainsi Nadia Daam, journaliste à Slate et Arte, qui a beau n’avoir “jamais regardé un match entier de [sa] vie” n’en est pas moins une fidèle des papiers de Grégory Schneider, “parce qu’il arrive a prendre tellement de hauteur avec le sport en général et le foot en particulier, qu’il y a toujours une forme d’écho à des débats qui n’ont plus rien à voir avec le sport au sens de discipline sportive”.
C’est qu’il fera partie de ceux qui auront souligné avec force l’indéniable lien entre les rejets de Benzema et de Ribéry, pour ne citer qu’eux, avec la frénésie française pour les questions d’identité gauloise (l’analyse du journaliste se démarquant des récentes déclarations de Cantona puisqu’elle pointe du doigts une ambiance générale, et non la personne de Didier Deschamps), tout en remarquant que, de fait, il est ici question des meilleurs joueurs français actuels si on s’arrête à ce qui compte et seulement : la vérité du terrain, « ce sanctuaire ». Apparemment bafoué.
Alors Grégory Schneider, gardien du temple footbalistique ? Certainement pas à l’en croire. Le journaliste balaye toute forme d’égotisme, demeure encore surpris lorsqu’on l’invite à donner son opinion ailleurs que sur ses habituels lieux de travail et ne se présente qu’en tant que journaliste parmi les journalistes, rien de plus. Pour un de ses confrères “il est une pièce du puzzle, pas un mec différent dans un coin (bon un peu quand-même…) […] mais il ne faut pas l’opposer aux autres journalistes sport, il fait le même métier avec un degré de réflexion différent”.
Il s’entend d’ailleurs tout particulièrement bien et échange beaucoup avec les journalistes de la presse régionale qui ont l’avantage d’évoluer au plus près des différents clubs français, petits ou grands. On entend certes ici et là quelques reproches assez attendus sur ses élans conceptuels, voire psychologisants.
“Oui, il y a chez lui une forme d’intellectualisation, mais pour Nicolas Demorand, c’est réducteur. Il se situe du côté de la sociologie plus que de la psychologie.” Cette tendance, Grégory Schneider nous l’explique d’abord par ses études universitaire (un DEA en économie de l’environnement) et surtout par Libé, soupçonnant les critiques à son égard de vouloir viser la ligne du journal plutôt que ses articles. “C’est votre média qui vous façonne” nous punchline-t-il sans vergogne. Et si Libération lui a bel et bien donné sa forme actuelle, les ingrédients sont multiples.
dynamiteur de frontières
Outre son DEA, Schneider a d’abord été critique cinéma dans la revue Repérage (“Pour correctement penser Ribéry il nous changer de focale”), et chaque personne ayant travaillé à ses côtés atteste de sa connaissance presque maniaque de périodes très spécifiques de l’histoire du rock… Le football, enfin, pensé comme une loupe grossissant les traits d’une société dans son ensemble. Un drôle de cocktail, saupoudré d’une écriture “formidable” (Nadia Daam), qui fait dire à Pierre Desmarest, chroniqueur à “J+1” sur Canal + et rédacteur en chef du magazine Surface, que les articles de Grégory Schneider lui “ont donné envie de devenir journaliste”.
On pourrait s’arrêter là. Mais comme pour rendre hommage à la rigueur du journaliste, on terminera sur la plus stricte des définitions possibles du travail de Grégory Schneider : l’aller-retour. Non pas pour filer une métaphore douteuse autour des doubles rencontres que propose la Ligue des champions, mais pour revenir à ce qu’on décrivait plus haut comme un grand écart et qui est en réalité un rapprochement entre téléspectateurs footeux et lecteurs du sérail. Le genre de destructions des frontières de classes de nos jours salvatrices et dont Grégory Schneider, semble t-il, a le secret. Comme le football.
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