Le journaliste indépendant Gaspard Glanz, fondateur de Taranis News, a été interpellé le 20 avril, déféré devant le juge, et interdit de manifestation d’ici à son jugement en octobre. Ses confrères et amis décrivent un journaliste loyal, engagé et droit dans ses bottes.
Sur sa photo de profil Twitter, un dessin le représente avec un casque surmonté d’une caméra GoPro, un masque de snowboard et avec un masque à gaz sur le nez. Gaspard Glanz n’est pourtant pas un adepte de border cross. Sa discipline à lui, c’est le journalisme de terrain, la couverture des manifestations de rue les plus remuantes, le reportage méticuleux dans les zones de turbulence sociale. Et il excelle en la matière. Depuis 2016, ses vidéos diffusées gratuitement sur le site et la chaîne Youtube de Taranis News (qu’il a fondé en 2011) circulent largement sur les réseaux sociaux, et alimentent de nombreux médias télévisuels. Son immersion dans le mouvement Nuit debout et dans les cortèges de tête contre la loi Travail, notamment, ont fait exploser son audience et sa reconnaissance. “Toute personne qui s’intéresse aux mouvements sociaux et à l’extrême gauche a déjà vu ses vidéos”, résume Boby Allin, photographe pour Libé ou Les Inrocks, habitué des manifs où on le reconnaît à son casque doré.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“C’est du harcèlement juridique et administratif”
Ce 20 avril, Gaspard Glanz a été interpellé près de la place de la République, alors qu’il couvrait l’acte XXIII des Gilets jaunes. Harnaché comme à l’accoutumée, avec la mention “TV” bien en évidence sur son casque, il cherchait un commissaire de police, après qu’on lui a “tiré dessus avec une grenade”, comme on l’entend s’en plaindre sur une vidéo. Un policier le repousse fortement, il réplique par un doigt d’honneur. C’est ce geste qui lui vaut son arrestation éclaire dans la foulée. Après 48 heures de garde à vue, le reporter strasbourgeois a été libéré lundi en fin d’après-midi. Il a été déféré devant un juge, et convoqué devant le tribunal pour octobre, pour “participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations”, et “outrage sur personnes dépositaires de l’autorité publique”. En attendant, il est interdit de manifs le samedi. Cette accumulation de mesures répressives ne laisse pas planer de doute : pour Cyril Zannettacci, photoreporter indépendant membre de l’agence VU’, “on l’a visé personnellement parce que c’était Taranis. On tente de le museler. C’est du harcèlement juridique et administratif”.
Dans son malheur, Gaspard Glanz est devenu le symbole de la liberté de la presse menacée, dans un contexte où les journalistes et photographes sont toujours plus nombreux à être ciblés par les forces de l’ordre dans les manifestations. Comme l’ont souligné plusieurs articles le concernant – dont certains, caricaturaux, jettent sur lui le soupçon de connivence avec les “black blocs” (un classique du pouvoir, selon la chercheuse Vanessa Codaccioni) –, le reporter a déjà eu maille à partir avec la justice. En 2015 durant la COP21, en 2016 pendant la loi Travail, et la même année à Calais. On lui reproche de la diffamation et des injures contre les forces de l’ordre, et même le vol d’un talkie-walkie appartenant à un CRS. Fin 2017, il a même découvert qu’il était fiché S (pour “Sûreté de l’Etat”). Mais plutôt que de s’intéresser à la vision policière de sa personnalité, nous avons interrogé plusieurs photographes indépendants qui, comme lui, couvrent les manifestations de rue.
“On était en chiales”
Ils décrivent un jeune homme (il a fêté ses 32 ans en garde à vue) “tenace”, “décidé”, “loyal” et “grande gueule”. Le photographe Louis Witter, qui l’a connu en 2014 à Nantes lors d’une manifestation en solidarité avec les blessés par la police, se souvient de ce “gus sympa, qui naviguait comme un poisson dans l’eau dans les manifestations”, en faisant “des vidéos sans commentaires et en long format, c’était original”. A l’été 2015, tous deux ont partagé une aventure journalistique et humaine qu’ils n’oublieront pas. Face à l’afflux de réfugiés venus d’Irak et de Syrie en Europe de l’Est, ils ont pris la Peugeot 306 de sa grand-mère pour documenter ce drame. “On se partageait les frais, nous n’avions pas de rédaction derrière nous. Mais c’était trop important pour ne rien faire. On voulait apporter notre patte, notre point de vue”, raconte Louis Witter, qui travaille depuis trois ans à l’international. Pendant deux semaines, ils ont témoigné de la militarisation des frontières, et montré les conséquences humaines de l’attitude de fermeture de l’Europe à ce moment-là. Quand ils filment ou photographient, la distance avec leurs sujets est quasi inexistante. C’est la marque de fabrique de Gaspard Glanz, selon Louis Witter : “Il est au cœur des événements, quoi qu’il advienne, et il est extrêmement humain avec ses sujets. A la frontière Autriche-Allemagne, un père avait son enfant dans les bras, il faisait une crise d’épilepsie, et on ne le laissait pas passer, il n’allait donc pas pouvoir recevoir de soins. On était en chiales. C’est pour ce genre de choses qu’il prend tout à cœur”. “C’est le reportage qui m’a le plus marqué de toute ma carrière”, a réagi Gaspard Glanz sur Twitter à ce sujet.
Cette pratique du journalisme en immersion est aussi sa caractéristique dans les manifestations. Pendant la COP21 ou le mouvement contre la loi Travail, il filme à hauteur d’homme l’épicentre des émeutes. “Il est en première ligne, là où les journalistes de BFM et de CNews ne vont plus, ou alors accompagnés par des gardes du corps”, note le photographe Boby Allin, son pote de manifs, qui l’a soutenu devant le commissariat lundi 22 avril. Les vidéos qui en résultent font immanquablement monter l’adrénaline chez leurs spectateurs. “Il rapporte des images ‘sensationnelles’, à tous les sens du terme, c’est-à-dire belles”, commente Boby.
“Il se focalise sur le moment où ça déborde”
Un terme a pendant un temps servi à (dis) qualifier ce type d’images : le riot porn. Une sorte de voyeurisme de l’émeute, pas toujours appréciée des émeutiers. Nnoman, autre ami photographe que Gaspard Glanz a croisé sur la “Jungle” de Calais en 2016, en convient : “Il est très dans l’instant des révoltes de rue. Il se focalise sur le moment où ça déborde. C’est ce que les gens lui reprochent parfois. Mais je ne pense pas qu’il se défendrait de faire du riot porn : ce n’est pas négatif, tant que c’est assumé.”
Cette tendance à documenter au plus près les soulèvements de rue, et donc leurs protagonistes (les fameux “casseurs”), lui a valu quelques problèmes. En 2017, il avait été expulsé d’une manifestation par des activistes masqués, sans doute mécontents d’être filmés, et donc potentiellement identifiables par la police à leur insu.
https://twitter.com/lucas_rtfrance/status/910868455091589120
“Même dans les sphères militantes il n’est pas toujours apprécié à cause de cela”, confirme Cyril Zannettacci. “Il est entre les deux. Entre son travail et sa solidarité. Parfois, pour eux, on représente simplement les journalistes”. Sa caméra a cependant plusieurs informations exclusives à son actif. En janvier 2016, il avait filmé un militant d’extrême droite brandir un fusil contre une manifestation de migrants et de soutiens d’extrême gauche.
Il a également filmé des policiers déguisés en journalistes, et a diffusé des images compromettantes pour Alexandre Benalla – il filme souvent en grand-angle. “Si après ça, on a encore besoin de prouver qu’il est journaliste…”, note Boby Allin, amer vis-à-vis de la “polémique” sur le fait qu’il ne possède pas de carte de presse. Selon Arrêt sur images, France 3 a en effet annulé un reportage sur Gaspard Glanz et Alexis Kraland (autre photographe interpellé le 20 avril), au motif qu’ils n’avaient pas de carte de presse et qu’ils sont engagés.
“Il les emmerde”
Sa personnalité clive cependant en raison de ses commentaires parfois violents, sur Twitter en particulier. “On a pu avoir des dissensions quand il parle de guerre’ ou de ‘dictature’. Mais il se met en danger physiquement, au bout d’un moment ça peut conduire à une perte de recul. Ça ne remet pas en cause son travail”, confie un de ses confrères. D’autres relèvent que son « côté provoc » l’empêche parfois d’agir librement, car il n’est plus anonyme aux yeux des forces de l’ordre. Nnoman, qui ne partage pas toujours sa manière de travailler, le conçoit : “Il a un engagement marqué. Il est très droit dans ses bottes par rapport à ce qu’il fait. C’est pour ça que sa personnalité cristallise. Avec lui, on sait où on met les pieds”.
C’est même son mantra, selon Louis Witter. Engagé au syndicat lycéen UNL dans sa jeunesse, Gaspard Glanz n’est pas encarté, mais assume ses opinions et son rôle de reporter engagé : “Il se veut l’image du contre-pouvoir, et il l’est. Il les emmerde. Sinon il n’aurait pas des contrôles judiciaires”. Sa situation aujourd’hui jette une lumière crue sur la condition des photographes et journalistes indépendants dans les manifestations, considérés comme des opposants par les forces de l’ordre, et souvent empêchés de travailler. Tous peuvent en témoigner à différents niveaux. Le 1er mai 2017, Louis Witter s’est fait “exploser” son matériel par un tir de flash-ball. Boby Allin a eu son matériel “confisqué” par des policiers en 2018. En un an, Cyril Zannettacci a été touché par deux tirs de flash-ball, une grenade (GliF4) lui a fracturé le pied et l’a contraint à un arrêt de travail de deux mois. Sans compter qu’on a tenté de lui “arracher” son matériel. “Ils nous attendent au tournant, nous poussent à bout, nous provoquent. Il faut arriver à rester à la limite de l’outrage. Cette fois-ci il a cédé, mais c’est humain”, conclut Nnoman.
{"type":"Banniere-Basse"}