En cette fin de mandat mouvementée, le conseiller en communication de François Hollande reste fidèle au poste. Il évoque ces trois années hors normes passées à l’Elysée, ponctuées de paparazzades et d’attaques ad hominem inédites.
“J’ai beaucoup couru à l’intérieur du palais de l’Elysée pour aller au bureau du Président ou pour parler aux journalistes dans la cour. Ça me résume assez bien, je trouve.” Par ces quelques mots, on pourrait croire que Gaspard Gantzer esquisse le bilan de ses trois années comme conseiller chargé des relations avec la presse et chef du pôle communication dans le cabinet de François Hollande. Il n’en est rien,
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il commente simplement sa photo de profil Twitter où il apparaît de dos, en mouvement, montant deux à deux les marches du bâtiment principal du Palais de l’Elysée. Lorsqu’on le rencontre, l’énarque de 37 ans, indentifiable à ses cheveux hérisson, son costume cintré et ses chaussettes rouges, se démarque par ce petit côté rock’n’roll qui tranche avec les ors de la République.
Cette photo résume bien ce job – objectivement éreintant – qu’il occupe depuis trois ans et qu’il s’apprête à quitter dans un mois, alors que le reste du Château est quasiment désert. “Durant mes trois années ici, j’ai beaucoup couru après les événements. Parfois, je les ai rattrapés, mais ils m’ont parfois devancé”, philosophe-t-il à l’aise et détendu dans son bureau.
Une réplique au “cabinet noir ” de François Fillon
Il n’a pas récupéré celui de son prédécesseur, Aquilino Morelle, mais s’est installé juste au-dessus de la loge des gardiens. Vaste mais sans fioritures, loin des salons élyséens mais idéalement situé pour observer les allées et venues des journalistes dans la cour.
Sa décontraction, ce matin-là, tranche avec l’actualité. La veille, son patron était attaqué en direct par François Fillon, lors de L’Emission politique sur France 2. Le candidat de la droite, acculé par les affaires, incrimine la présidence de la République en direct : il évoque un “cabinet noir” piloté par François Hollande dans le but de nuire à ses adversaires politiques. La réponse ne se fait pas attendre.
https://www.youtube.com/watch?v=_84VcpCTmXU
Moins d’une heure plus tard, un communiqué “condamne avec la plus grande fermeté les allégations mensongères”. C’est Gaspard Gantzer qui a prévenu le Président par SMS et a reçu le feu vert pour contre-attaquer. “On l’a vite calmé”, se félicite-t-il l’air satisfait, face au portrait officiel de son patron, signé Raymond Depardon.
Bien qu’anecdotique, l’épisode témoigne d’un lien fort et particulier qui unit ces deux hommes – ils se tutoient. François Hollande ne se passe plus de Gantzer. Il apprécie sa présence, sa fraîcheur et surtout sa réactivité. La veille, c’est déjà lui qui le mettait au courant du reportage de l’émission Quotidien, qui coûtera son poste à Bruno Le Roux, divulguant les emplois octroyés à ses deux filles. “Gaspard a une qualité qui fait sa différence : il arrive toujours à rassurer son patron”, résume un de ceux qui le connaît bien.
Une fidélité sans faille à l’égard de François Hollande
Pourtant, si officiellement Gantzer n’a aucun rôle politique auprès de Hollande, cette relation privilégiée peut l’inciter à franchir le Rubicon. Bien qu’il s’en défende, en coulisse, on ne minimise pas son influence : “Il n’est pas étranger à la nomination de Myriam El Khomri, par exemple, dont il a chuchoté le nom à l’oreille du président. Manuel Valls ne savait même pas qui c’était”, raille un cacique socialiste.
Il y a deux raisons objectives pour s’intéresser au conseiller en communication d’un président de la République à qui il reste un mois de mandat et dont on sait qu’il ne se représentera pas. Tout d’abord, il a décidé de rester, alors qu’il n’a jamais fait partie des fidèles du président. Depuis la déclaration solennelle de François Hollande, le 1er décembre, chaque fin de semaine est ponctuée d’un pot de départ.
“Un homme assez courageux et qui aime les gens”
Enfin, ce quinquennat a été frappé par une série d’événements médiatiques hors normes, qui ont rendu le conseiller aussi visible que le conseillé. De la couverture de Closer au livre de Valérie Trierweiler, en passant par le documentaire d’Yves Jeuland ou le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ce job a bel et bien ressemblé à une mission impossible.
Pas de quoi effrayer notre hôte du jour, en mode pilote automatique : “Je pense qu’à la fin du quinquennat, François Hollande aura une image plus conforme à l’homme qu’il est réellement : quelqu’un d’honnête, de désintéressé, assez courageux et qui aime les gens… On avait peut-être fini par l’oublier.” L’idée de laisser tomber ce job lui a-t-elle traversé l’esprit ?
“Jamais, jamais, jamais, répond-il du tac au tac. Je me suis toujours dit que je resterai jusqu’au bout. Pour moi, c’est une mission incroyable que d’aider à faire comprendre qui il est, ce qu’il fait, et je n’aurais renoncé à ça pour rien au monde, même si c’est souvent dur, fatigant et éprouvant.” Fin de l’instant communication.
Entre la cuvée du redressement et la “phobie administrative”
Ça n’avait pourtant pas très bien commencé. Quelques mois après sa prise de fonction, le 23 avril 2014, le tonnerre gronde au-dessus de l’Élysée, lors de la rentrée de septembre : d’abord, le “bal mortel” de Frangy-en-Bresse et sa fameuse cuvée du redressement, fatale à Benoît Hamon et Arnaud Montebourg contraints de quitter le gouvernement ; puis, la démission du secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, Thomas Thévenoud, pour cause de “phobies administratives”, neuf jours après sa prise de fonction ; et enfin, la parution de Merci pour ce moment, le livre de l’ex-compagne du Président, Valérie Trierweiler.
Ce dernier événement est capté en live par le réalisateur Yves Jeuland dans A l’Elysée, un temps de président. Après le remarqué Le Président (sur la dernière campagne de Georges Frêche), Jeuland obtient le feu vert de Gantzer pour filmer l’Elysée de l’intérieur, pendant six mois.
http://www.dailymotion.com/video/x5fb4wt_a-l-elysee-un-temps-de-president-trailer_shortfilms
Le réalisateur se souvient de leur relation : “Le Président ne pouvait pas se passer de sa présence. Il venait de rejoindre l’équipe et il a très vite trouvé sa place.” Comme Hollande, Jeuland est séduit par cet homme au“charisme d’un Romain Duris”. Résultat, Gantzer est omniprésent dans la première partie du film.
On le voit faire la dictée aux journalistes ou lâcher un “yes” d’exaltation à l’annonce de la nomination de son ami, Emmanuel Macron, comme ministre de l’Economie. Dès la diffusion du documentaire, sur France 3, les commentaires perfides se multiplient. Lors de l’avant-première, François Hollande choisit l’ironie : “Je trouve que l’homme à lunettes à côté de Gaspard est très bien.”
Une bombe littéraire à désamorcer
L’épisode est formateur pour Gantzer : “Il s’est pris le Jeuland dans la tronche. Il ne s’y attendait pas et ça l’a immédiatement remis à sa place : simple conseiller en communication”, se souvient un proche. L’intéressé, lui, ne regrette rien : “Je ne suis pas responsable du montage. Jeuland a été libre de me filmer. Si on décide de respecter une liberté, on le fait totalement ou on ne le fait pas.”
Au contraire, Gantzer affirme assumer ses erreurs. Au premier rang desquelles, “Un président ne devrait pas dire ça…” Une bombe littéraire qui, pour certains, explique le renoncement de François Hollande à se représenter.
“J’ai été mis au courant, après, il était trop tard”
“J’aurais dû me battre encore plus sur le livre de Davet et Lhomme. C’est un bon livre, intéressant, qui ne méritait pas l’opprobre dont il a fait l’objet”, reconnaît-il aujourd’hui. Pas rancunier Gaspard Gantzer, qui n’a jamais été mis au courant par son patron des soixante entretiens nécessaires à la réalisation de ce pavé de sept cents pages. Il n’a même jamais croisé ses auteurs à l’Elysée.
“J’ai été mis au courant, après, il était trop tard”, confie-t-il, lors de la sortie du livre, à certains journalistes qui lui demandent pourquoi il n’a rien fait pour contrôler ça. Au lieu de s’insérer entre les deux journalistes et le président, il met son ego de côté et décide de défendre l’initiative coûte que coûte. Une certaine idée du pragmatisme. En réalité, ce penchant de François Hollande à s’affranchir des codes de communication politique fascine son jeune conseiller.
De la mairie de Paris au palais de l’Elysée
Cela suffit-il à expliquer une telle fidélité ? Il ne connaissait pas personnellement le Président, il avait voté pour Martine Aubry lors de la primaire de 2011 et surtout, à 37 ans, il doit bien penser au jour qui suivra l’investiture officielle du président nouvellement élu. A chaque question, il a une réponse qui semble couler de source : “Je l’ai toujours trouvé excellent orateur”, “Je n’avais rien à perdre” ou “La présidence de la République mérite qu’on donne tout pour elle”.
Il y a des réponses que Gaspard Gantzer ne formulera jamais, mais il ne faut pas chercher longtemps pour les trouver. “Gaspard, c’est l’archétype de l’irrationalité en politique. Il a la certitude de foncer dans le mur mais il y va quand même. Il est comme drogué par l’exercice. De plus, il pourrait se jeter sous un train pour Hollande”, analyse Gaël Tchakaloff qui l’a côtoyé pendant neuf mois pour un livre.
Ce jusqu’au-boutisme au chevet de François Hollande ne serait pas tout à fait désintéressé non plus : “Plusieurs personnes ont reproché à Gaspard de papillonner et, surtout, d’avoir laissé tomber Bertrand Delanoë en janvier 2013”, explique un habitué de l’Elysée.
Six mois plus tôt, François Hollande s’était installé au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Pour former son cabinet, il puise allègrement dans le plus beau vivier de technocrates de gauche en France : la mairie de Paris. Gantzer, alors conseiller en communication, reste et se trouve promu porte-parole de Delanoë, contre la promesse de rester jusqu’au bout de son mandat, en 2014.
Membre de la promotion Senghor de l’ENA
Pourtant, six mois plus tard, il file à l’anglaise, pour dépoussiérer la communication de Laurent Fabius, au Quai d’Orsay. “Ce fut une blessure pour le maire de Paris”, se rappelle un témoin de l’événement. Une autre lecture est offerte par un proche de Gantzer, membre du cabinet de Bernard Cazeneuve : “A cette époque, Delanoë a vu partir tous ses ‘chouchous’ et Gaspard était l’un d’entre eux. Mais n’importe qui aurait fait de même.”
A quelques jours d’éteindre une dernière fois la lumière de son bureau et d’en rendre les clefs, Gaspard Gantzer ne se pose pas la question de l’après. “J’ai eu très peu de propositions, quasiment pas pour vous dire la vérité.” Il pense surtout à ses futures vacances et à s’occuper de sa famille recomposée – il a eu trois enfants avec sa femme, Emilie Lang, conseillère pour la communication et les relations avec la presse du cabinet d’Audrey Azoulay, qui a aussi un premier enfant d’une autre union. Il devrait vite retomber sur ses pattes.
“Emmanuel Macron et moi avons estimé qu’il valait mieux ne plus être en contact”
Gaspard Gantzer a fait l’ENA, membre de la fameuse promotion Senghor (2004), la plus célèbre après la promotion Voltaire (1980) – celle de François Hollande et ses condisciples Jean-Pierre Jouyet ou Pierre-René Lemas, en poste à l’Elysée. Ses copains de promo ont déjà fait un tour par le Château. Ils se nomment Boris Vallaud (secrétaire général adjoint de 2014 à 2017), Sébastien Proto (conseiller économique de Sarkozy en 2012) et surtout Emmanuel Macron.
A l’époque secrétaire adjoint de l’Elysée avec Nicolas Revel, celui-ci souffle le nom de Gantzer à l’oreille du Président. Fin août 2016, Macron claque la porte. Depuis cette émancipation, les deux hommes ne se parlent quasiment plus : “Ça a été un moment douloureux sur le plan humain. L’un et l’autre, nous avons estimé qu’il valait mieux ne plus être en contact.”
Plus à l’aise dans l’ombre que sur le devant de la scène
Dans Divine comédie, de Gaël Tchakaloff (Flammarion), Gantzer enfonce le clou : “Emmanuel Macron, je l’adore, il va découvrir ce que c’est… Il ne s’est encore jamais tapé quatre heures de train tous les week-ends et ça, pendant des années. Il n’a pas la force d’abnégation. Ce n’est pas la même race que le Président.”
Interrogé, il assume et s’en sort avec brio : “Il a d’autres qualités ! François Hollande a fait un parcours politique classique sous la Ve République : il s’est implanté dans un territoire et s’est construit un destin politique sur de très nombreuses années.”
“Macron, lui, a eu une trajectoire fulgurante fondée sur un moment particulier que l’on vit actuellement. Une révolution numérique qui bouleverse tous les codes et dans laquelle tout semble possible. Il n’y a pas un modèle unique de réussite en politique.”
Et lui, s’y verrait-il un jour, sur le devant de la scène ? “Je considère que ce qu’il y a de plus noble dans l’action publique, c’est d’être candidat à une élection.” Gaël Tchakaloff en est certaine : “Ils ne se sont jamais perdus de vue. Il devrait finir dans son équipe. Tout le reste l’emmerde de toute façon.” Règle numéro un, un bon conseiller en communication se doit de savoir bien communiquer pour lui-même.
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