Le salut de l’émission vitrine de Canal + repose en grande partie sur ses épaules. Mais qui est Christophe Carron, le nouveau co-rédac’ chef du « Grand Journal » ?
Son avatar sur Twitter – un face-palm désespéré – n’a sans doute jamais été aussi en phase avec la situation à laquelle il doit faire face depuis le lancement de la nouvelle formule du Grand Journal, le 7 septembre dernier. Christophe Carron en a été nommé co-rédacteur en chef cet été (avec Christian Desplaces, Laurent Kouchner et Yseult Williams), après l’éviction de Renaud Le Van Kim, producteur historique de l’émission, et son remplacement par l’équipe de la société de production Flab Prod, 100% Vivendi. C’est donc en grande partie sur ses épaules que repose la lourde tâche de redresser la barre de l’émission vitrine de Canal+, alors que ses audiences sont passées de 915 000 le 7 septembre à 611 000 le 11 septembre, soit le score le plus faible de l’émission depuis septembre 2006 (hors best of), en partie du fait de la disparition des Guignols.
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« Britney survived 2007. You can handle today »
Difficile d’obtenir un quelconque commentaire à ce sujet de sa part ou de celle de son équipe : après le coup de force de Vincent Bolloré cet été, le staff de Canal+ a reçu pour consigne de ne pas s’exprimer publiquement. Suite à cette semaine de rentrée cauchemardesque, Christophe Carron a simplement publié sur son compte Facebook cette image:
Cette référence à l’année la plus catastrophique de la pop-star américaine pour illustrer le passage à vide du Grand Journal n’est pas étonnante de la part de Christophe Carron. Successivement journaliste, responsable éditorial, puis rédacteur en chef adjoint de Voici (de 2004 à 2013), il a écrit sur cette icône pop à plusieurs reprises, notamment lorsqu’elle a fait son apparition sur Twitter en 2008, alors que le réseau de micro-blogging était encore méconnu.
« La situation dont il hérite est loin d’être un cadeau »
Les échos qui nous parviennent depuis les interstices de la citadelle médiatique de Canal+ sont également circonspects. Ariel Wizman, chroniqueur à La Nouvelle Edition – dont Christophe Carron a été rédacteur en chef de 2013 à 2015 -, nous confiait l’avoir eu au téléphone il y a quelques jours : « Il a l’air calme, plutôt rassuré sur le talent de Maïtena [Biraben, la nouvelle présentatrice de l’émission, ndlr]. Il sent qu’il a un peu de temps… Mais ce n’est pas simple, on est d’accord ». Un cadre de l’ancienne équipe du Grand Journal est encore plus direct : « La situation dont il hérite est loin d’être un cadeau. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Laurent Bon a refusé le poste ».
Mais qui est ce journaliste chargé de sauver le Grand Journal dans cette ambiance de fin de règne ?
« J’ai connu @krstv avant Christophe Carron »
Il n’y a qu’à taper son nom sur Google pour constater que Christophe Carron, aujourd’hui âgé de 36 ans, est un homme de l’ombre, en dépit d’une carrière ascendante. En dehors de quelques photos floues ou miniatures et de confusions avec Aymeric Caron, c’est d’abord son compte Twitter qui remonte des profondeurs d’internet. Inscrit précocement – le 6 mai 2007 – sur ce réseau social (il est parmi les premiers journalistes en France à avoir franchi le pas), il a fait de cet outil son terrain de jeu favori dès ses balbutiements.
« J’ai connu @krstv avant Christophe Carron, s’amuse ainsi Maud Garmy, journaliste qu’il a fait entrer à Voici en 2010. C’est court et efficace, comme lui ». Ses collègues à Voici et à La Nouvelle Edition s’accordent sur l’aspect geek de sa personnalité : « On dirait qu’il a une double vie, entre son travail et Twitter, où il cultive tout un monde secret, plein de passions inattendues », constate Ariel Wizman.
Un goût prononcé pour le libertarianisme
Parmi celles-ci, Christophe Carron entretient une curiosité très prononcée pour les libertariens, courant de pensée qui prône la liberté individuelle comme un droit naturel au sein d’un système de propriété et de marché universel. Il suit en effet sur Twitter le Parti libertarien français, le Parti libertarien américain, le compte Révolution libérale, le magazine Libertarian Republic ou encore Reason, un magazine libertarien au slogan éloquent : « free minds and free markets ».
Après des années d’échanges houleux avec le blogueur de gauche Vogelsong sur Twitter, celui-ci le situe politiquement du côté des « anarcho-capitalistes » : « Un jour il m’a envoyé un livre d’Ayn Rand, qui fait l’apologie de l’égoïsme en politique », rapporte-t-il. « C’est un vrai libertarien, confirme Johan Hufnagel, numéro deux de Libération et ancien rédacteur en chef de Slate.fr, qui lui a commandé plusieurs papiers. Il fait partie de ces quelques rares voix libérales assumées parmi les journalistes en France, avec une philosophie très humaniste. »
Mais ce goût pour l’histoire des idées politiques de manière générale (son mémoire à Sciences Po Toulouse en 1999 portait sur le « Fascisme français, un romantisme, une esthétique ») ne détermine pas son orientation professionnelle.
« Je fais de la presse poubelle, mais je la fais bien »
Frais émoulu de l’Académie Prisma Presse (groupe qui détient Voici, Capital, Géo…) et de l’Institut Pratique de Journalisme, Christophe Carron intègre en 2004 la rédaction de Voici. A 26 ans, ce jeune intello élégant, gamer à ses heures perdues, se fait remarquer par son sérieux et son penchant prématuré pour internet, jusqu’à se voir confier les rênes du site en 2007. « Il était plus geek que les autres, et ça faisait défaut dans notre équipe à cette époque », se souvient Sandra Salazar, alors chef du service infos people étranger de Voici. Dès 2008 il dote le site de Voici d’un compte Twitter, « idéal pour suivre l’actu des stars en temps réel », et encourage par la suite les rédacteurs à en posséder un.
Son principal apport réside dans un humour pince-sans-rire ravageur, combiné à « un respect de la déontologie et à une bonne connaissance du droit de la presse », souligne Johan Hufnagel. « Les papiers de Voici.fr sont devenus très vite plus drôle que ceux du print car il faisait preuve d’impertinence, de recul, et n’était pas lèche bottes ni premier degré. Il incitait ses rédacteurs à s’amuser », se souvient Sandra Salazar. Sa vision de son métier à l’époque était bien résumée par la base-line de son blog (« lowbloggin.fr », ouvert en 2008 et aujourd’hui supprimé) : « Je fais de la presse poubelle, mais je la fais bien ».
« On avait l’habitude de dire qu’il était meilleur qu’un algorithme »
Armé d’une culture web à toute épreuve, il conduit également Voici à traiter des sujets de niches auxquels la presse people traditionnelle ne s’intéressait pas encore, comme les clash entre rappeurs, et pressent les rumeurs potentiellement explosives, comme celle du flirt entre François Hollande et Julie Gayet. « Il était très bon pour sélectionner les sujets qui allaient marcher, on avait même l’habitude de dire qu’il était meilleur qu’un algorithme en la matière », se souvient Mathias Alcaraz, à qui il a mis le pied à l’étrier à Voici en 2011, alors qu’il était encore étudiant.
Au début des années 2010, dans le bureau du désormais rédacteur en chef adjoint de Voici, des exemplaires de la presse anglo-saxonne – surtout people, et si possible la plus trash – s’empilent : US Weekly, News of the World, Globe… Sur une des parois en verre, il a affiché la une du Sun de 2005 sur le pape Benoît XVI : « From Hitler Youth to…Papa ratzi ». Depuis l’open-space, sa petite équipe (cinq ou six rédacteurs) l’entend parfois se bidonner à l’écoute des commentaires salaces et politiquement incorrectes de Joan Rivers dans le programme « Fashion Police », diffusé sur la chaîne américaine E!.
Le stigmate de la « presse people trash »
Ambitieux, Christophe Carron s’ennuie cependant dans les couloirs du siège de Voici, rue Henri Barbusse, à Gennevilliers. C’est l’avis de Sandra Salazar : « Il est resté trop longtemps au même poste, c’était devenu une routine, ça manquait de sel pour lui, il était dans l’ennui professionnel le plus total ». Quand bien même il l’aurait voulu, il lui aurait été difficile de s’extraire de cette situation. En dépit de ses compétences et de son expérience, son assimilation à la presse people joue en sa défaveur. « C’était une difficulté pour lui d’être associé à cette étiquette ‘presse people trash’. Son nom circulait dans le petit cercle des rédac’ chefs potentiels de sites d’information générale, mais son CV ne correspondait pas », confie Johan Hufnagel.
Il fut ainsi brièvement question qu’il prenne la tête du site des Inrocks : « J’avais pensé à lui car il avait un bon mélange de culture web et de culture en général, raconte Arnaud Aubron, ex-directeur général des Inrocks. Mais il n’y a jamais eu de réelle proposition mise sur la table. Chacun a dû passer à autre chose pour une raison que j’ignore. En ce qui me concerne, son étiquette ‘people’ n’était pas un problème ».
« Retranscrire l’esprit internet à la télévision »
A la rentrée 2013, Christophe Carron est finalement débauché par Canal+, pour être nommé co-rédacteur en chef de La Nouvelle Edition (LNE), avec Christian Desplaces et Laurent Kouchner. Il arbore toujours le même « look de trentenaire classe, baskets-hoody, ce mélange de geek et de gentleman britannique », comme le décrit Perrine Stenger, qui lui doit son embauche à Voici en 2011.
Il porte alors son passage par la presse people comme un étendard : « Quand il est arrivé, il a retourné le stigmate en revendiquant cette origine, relate Ariel Wizman, chroniqueur dans l’émission. Il en faisait un statut identitaire ». C’est pourtant avant tout sa culture web et anglo-saxonne qui transparaît dans l’émission : il invite des web journalistes de Slate, incite à utiliser le mapping en plateau… « Il avait un esprit très fun, et arrivait bien à retranscrire l’esprit internet à la télévision », estime Pauline Perinet, alors assistante de chroniqueur à LNE.
« A La Nouvelle Edition, c’est lui qui tenait le lead »
Christophe Carron négocie en tout cas en douceur son arrivée dans les coulisses de ce média qui lui était encore inconnu. Un cadre de la chaîne nous confie : « La première année, il observait un peu car il venait de la presse écrite mais la seconde année, il avait pris le pouvoir. C’est lui qui tenait le lead ». « Il ne connaissait pas grand chose à la télé, mais il a une curiosité qui fait qu’on a trouvé les bonnes longueurs d’onde », confirme Nicolas Domenach, chroniqueur à LNE.
S’il a réussi à stabiliser les audiences de LNE, sera-t-il capable de redresser celles du Grand Journal, dans le contexte d’adversité et de défiance actuel ? « Ce qui est sûr, c’est que la réussite de l’émission dépend de beaucoup de facteurs qui le dépassent. Mais c’est un boulot d’équipe, et il fait partie des meilleurs managers », conclut Nicolas Domenach.
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