Arnaud Beltrame a trouvé la mort dans l’attentat au Super U de Trèbes, offrant sa vie à la place d’une otage. Ses camarades de promotion à l’école militaire interarmes de Saint-Cyr racontent aux Inrocks le parcours d’un garçon déjà guidé par sa foi en l’Homme. Portrait de celui qui croyait dans les chevaliers.
C’était leur camarade, parfois leur ami. Pour certains, un modèle. Pour beaucoup, un élève hors norme. Pour tous, c’était leur porte-drapeau. « Ça ne s’oublie pas, explique Bruno Dumonteil, dix-huit ans d’armée au compteur. Dans les promotions, on est nombreux, mais on regarde toujours les leaders. Arnaud était de ceux-là. C’était le premier. Il portait notre drapeau. Haut et fier. »
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A l’Ecole militaire interarmes (EMIA), tous les élèves de la promotion « Campagne d’Italie » (1999-2001) se rappellent de celui qui en est sorti major, Arnaud Beltrame. « Il avait cette flamme qui l’animait, décrit le colonel Eric Luzet, de la gendarmerie de Besançon, ancien camarade de promo et ami du défunt. C’était une foi qui allait au-delà de la religion, tournée vers les autres. »
Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est mort samedi 24 mars à l’aube. Assassiné par le terroriste qui a pris d’assaut le Super U de Trèbes. La veille, le commandant en second du groupement des gendarmes de l’Aude s’est, dans un ultime geste de bravoure, substitué à une otage. Il a été mortellement poignardé au cou.
« Il était à un tel niveau, il faisait peur »
Arnaud Beltrame débute sa carrière en 1996 au 8e régiment d’artillerie de Commercy (Meuse) comme officier de réserve en situation d’activité. Là, il se lie d’amitié avec Eric Luzet. Trois ans plus tard, les deux hommes tentent le concours d’entrée de l’Ecole militaire interarmes (EMIA) de Saint-Cyr Coëtquidan. Arnaud Beltrame a 26 ans, Eric Luzet 24.
« C’est lui qui m’a poussé à passer les concours de l’EMIA, raconte le colonel. Il m’a poussé à me surpasser. » Il se souvient en riant. « Il était à un tel niveau, il faisait peur. » Beltrame arrive 1er, Luzet se classe 6e.
L’EMIA forme les officiers issus d’un recrutement interne à l’armée. A l’issue de ce cursus, les aspirants intègrent un corps d’armée. La promotion « Campagne d’Italie », de 1999 à 2001, comptait 159 élèves répartis en six sections. « Une promotion à l’EMIA, ça fait corps, se souvient un ancien camarade. Depuis trois jours, on est très remués. Parce que c’est une partie de nous. »
Ces deux ans d’école font de ces jeunes gens des militaires chevronnés à coups de manœuvres, d’exercices physiques, de mises en situation. Deux ans où on « en bave », mais où « on se sert les coudes et se soutient ». Deux ans pendant lesquels Arnaud Beltrame s’est illustré comme « un meneur d’hommes ». Comme le « meilleur de tous« .
« Il ne s’arrêtait jamais »
A l’EMIA, Arnaud Beltrame est toujours premier, dans toutes les disciplines. Le classement de sortie est important et le jeune Beltrame l’a bien compris. Les mieux classés pourront choisir leur corps d’armée. Les meilleurs optent souvent pour la gendarmerie dont les dix places disponibles sont réservées à l’élite.
« Dès le début, Arnaud avait choisi. Il s’était fixé l’objectif de la gendarmerie et il a mis en œuvre la puissance de travail qu’il fallait », explique Didier Plunian lieutenant-colonel à la section de recherche de la gendarmerie de Grenoble, dans la même section que Beltrame pendant les deux ans d’école.
« Il ne s’arrêtait jamais », sourit Eric Luzet. Très touché par la perte de son ami qu’il « ne réalise pas vraiment », le colonel de gendarmerie se souvient « d’Arnaud » avec tendresse. « Des fois, il m’agaçait, il était épuisant. » Un sentiment vite effacé par « une générosité inscrite dans son ADN ».
Didier Plunian confirme : « S’il faisait abstraction d’un certain nombre de choses pour y arriver, il savait distinguer quand l’esprit de camaraderie devait primer. Il avait une attitude toujours positive, toujours joyeuse. »
Une condition physique exceptionnelle
Ce perfectionniste marque les autres par sa volonté et sa détermination. Dès les premiers jours, tous les élèves pressentent qu’il va terminer dans les premiers de la promotion.
Un épisode les a marqués, prouvant l’abnégation de l’aspirant gendarme. Alors que sa section est envoyée pour un stage commando en milieu aquatique, à Collioure, dans les Pyrénées-Orientales, Arnaud Beltrame s’ouvre la main contre un rocher dans les premières heures. Une entaille plutôt profonde. Le stage doit durer plusieurs jours. Le jeune homme s’accroche et poursuit les épreuves en serrant les dents.
« Il avait la main ensanglantée dans son bandage, se remémore Didier Plunian. Il ne laissait rien transparaître, alors qu’il devait beaucoup souffrir. On était dans l’eau salée. »
« Il avait une condition physique exceptionnelle, détaille David Destienne, son binôme en manœuvre. Dans toutes les épreuves, il fallait qu’il soit premier. » Ce chef d’escadron à la gendarmerie de Clermont-Ferrand, grand sportif lui aussi, a encore en tête la seule fois où il a réussi à le battre. « Ah ce qu’il était énervé, explique-t-il en riant. Mais pas contre moi, contre lui. » Au souvenir de cet épisode, la voix de David Destienne s’étouffe dans un sanglot. « La promotion perd vraiment quelqu’un de valeur. Tout le monde l’appréciait. »
L’honneur d’être porte-drapeau
Arnaud Beltrame est le meilleur de la promotion. A l’issue de la première année, il est tout naturellement désigné porte-drapeau de « Campagne d’Italie ». « Il était fier, ah ça oui, il était fier, se rappelle David Destienne, la voix tremblante. Pour lui c’était un honneur. »
Le jeune homme s’occupe du drapeau de façon quasi religieuse. « Comme on prendrait soin de sa famille », précise David Destienne. « La patrie, c’était sacrée pour lui », poursuit le gendarme qui raconte ce jour où, dans un bus qui les emmenait en stage commando, Arnaud Beltrame avait entrepris d’expliquer à l’ensemble de ses copains l’origine du drapeau, de sa confection au choix des couleurs.
« Sur cette photo, regardez son regard, il symbolise tout, insiste Eric Luzet en montrant la photo où Arnaud Beltrame porte fièrement le fanion tricolore à la fin de l’école, sur le Monte Majo, en Italie. Vous voyez ça et vous comprenez tout. Il regarde à la fois le drapeau, la France et l’avenir. »
« Il ne vivait pas pour lui, il vivait pour les autres »
Selon le colonel Luzet, à cette époque déjà, Arnaud Beltrame est guidé par une sorte de « véritable foi en l’homme » qui le pousse « constamment à se surpasser ». David Destienne hoche la tête très ému. « Il ne vivait pas pour lui, il vivait pour les autres. Même dans l’effort, il avait toujours un mot pour celui qui était derrière. Toujours un sourire. »
Bien qu’il n’effectue sa conversion qu’à ses 33 ans, Arnaud Beltrame est déjà croyant à l’EMIA.« Ça l’a beaucoup aidé dans sa vie. A l’école, il était un peu pratiquant, mais très discret. Jamais prosélyte », assure Eric Luzet. Car, selon ses amis, la foi d’Arnaud Beltrame dépasse la croyance en n’importe quel Dieu. « C’était une foi inébranlable, dans son métier, dans ses convictions et dans l’Homme. Il essayait toujours de convaincre les autres de croire en ce qu’il faisait. »
Les derniers chevaliers
Nombre des élèves que Les Inrocks ont contactés parlent de cette foi, de cette force quasi-indescriptible qui le guidait. « Il avait un esprit un peu hors du commun au XXIe siècle, tente de retracer Didier Plunian. Par exemple, il croyait beaucoup dans les chevaliers. »
David Destienne et Arnaud Beltrame ont, sur les bancs de l’école, le point commun d’être tous deux férus d’histoire. Ils discutent beaucoup des périodes qu’ils affectionnent, le Moyen-Âge et l’Empire. « Un jour il m’a dit : ‘tu sais David, on est les derniers chevaliers’, se souvient en larmes son ami. Certains, ça les faisait rigoler, mais quand on voit ce qu’il a fait… Ce n’était pas des mots vains. »
Le sacrifice fait partie de la voie qu’impose le jeune homme au gendarme qu’il va devenir. Arnaud Beltrame avait raté le concours externe de Saint-Cyr. Avec un échec à l’école de guerre quelques années plus tard, c’est la seule ombre à ce parcours exceptionnel. Une de ses grandes déceptions d’après ses amis.
« Il regrettait de ne pas pouvoir arborer cette tenue magnifique. Il enviait les Saint-Cyriens montés au front en 14 et morts pour la patrie, rapporte David Destienne. S’il avait pu aller au front, sabre au clair, gants blancs, avec panache. Il l’aurait fait. » Sa voix se casse. « Dans un sens, il l’a fait. »
« C’était le premier partout à l’école. C’est le premier à mourir en héros. »
Un de ses anciens camarades, qui préfère qu’on ne cite pas son nom, se dit « estomaqué » par cet « acte de courage brut ». Même si tous ces hommes ont été formés à faire face à la mort, à l’EMIA puis ailleurs, pour lui, l’action d’Arnaud Beltrame est hors norme. Différente d’une mort qui surviendrait dans l’armée, lors d’une opération militaire.
Le soldat s’explique en cherchant ses mots, sonné par la perte et l’acte de son camarade. « Ce que l’on nomme le sacrifice ultime est entouré de beaucoup de mythologie, d’un récit légendaire qui n’est parfois par réellement perceptible. Là, on a vraiment un homme qui donne sa vie. Il est allé droit devant la mort. Il savait forcément. C’est incroyable. »
Bruno Dumonteil, l’ancien de « Campagne d’Italie » qui a quitté l’armée après dix-huit ans de service, s’interroge. « Si j’avais été à sa place, comment j’aurais agi ? Je me pose la question. Lui ne se l’est pas posée. Je suis fier d’avoir eu la chance de connaître cet homme-là. » Avant de conclure, la voix remplie d’émotion. « C’était le premier partout à l’école. C’est le premier à mourir en héros. »
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