Annoncée début août, la Virtual Sexology initie son audience à la sexothérapie au gré d’une expérience sensuelle à 180°, en tête à tête avec August Ames, l’une des vedettes de la génération Pornhub. Selon Badoink VR, le bonheur sur l’oreiller réside dans l’Oculus Rift.
Cela fait déjà plus d’un an que la boîte de production Badoink a investit le marché de la pornographie en VR (Virtual Reality). En 2016, le site professionnel XBiz le consacrait en « site de réalité virtuelle de l’année« . Vendue à grands coups d’accroches prophétiques par son CEO Todd Glider (« le futur est là et le futur est proche […] la réalité virtuelle, voilà le futur » affirmait-il en juillet 2015) cette sexualité immersive questionne les bases de la porn culture. Le dernier projet de l’homme d’affaires, Virtual Sexology, a le mérite d’initier le quidam au concept de sexothérapie pornographique. Le but ? Démontrer que les vidéos pour adultes permettent d’améliorer nos compétences sexuelles. Mais pas seulement…
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Sexothérapie pornographique : mode d’emploi
Egérie de BadoinkVR depuis leurs premières expérimentations, August Ames est au coeur de séquences dont la longueur oscille entre 15 et 25 minutes. L’actrice s’exerce à toute une gamme de démonstrations physiologiques. Des exercices de respiration et gestes mesurés permettant de contrôler l’anxiété, de retarder l’orgasme et de modérer la masturbation, à l’aide des « teledildonics« , jouets pour adultes directement connectés à internet. Le sextoy interactif Kiroo Onyx réagit à ses gestes savants et calculés au gré de vibrations, reproduisant en simultané les sensations particulières du show, jusqu’aux caresses les plus intimes.
« Mettant l’accent sur l’éducation et la thérapie, Virtual Sexology est un outil d’apprentissage qui, vous offrira une plus large vision de vos désirs sexuels, et ce grâce aux pornstars les plus sensuelles » affirme le texte promotionnel, conciliant les fantasmes intimes et la démesure porno.
Les quatre phases de la « réponse sexuelle humaine«
A l’origine du projet, le best seller Human Sexual Response (1966) des sexologues William Masters et Virginia Johnson. Etudiant au gré de plus de quatre cent cobayes la mécanique du couple, ces deux chercheurs ont su remodeler les théories de la science psychanalytique en se concentrant sur la complexité du fonctionnement biologique, tels les troubles de l’érection, l’éjaculation précoce, l’orgasme clitoridien et le vaginisme (contraction musculaire empêchant la pénétration). Les quatre phases de la « réponse sexuelle humaine« , de l’excitation à la résolution, constituent une linéarité qui s’adapte ici aux codes de la pornographie format 4K. Tout en intriguant un public scientifique, celui des porn studies, Badoink compte bien sur la diffusion mi-septembre de la quatrième saison de Masters of Sex, série romançant la carrière des deux sexologues, pour nous vendre son émoustillante virtualité.
https://www.youtube.com/watch?v=WgVGfYeOiZE
Afin de convaincre les plus réticents, Glider a engagé dans le rôle du superviseur le sexologue et thérapeute familial Hernando Chaves, doctorant et professeur en Sexualité Humaine à Los Angeles, spécialiste du BDSM et du fétichisme, coach en amour, « sexpert » offrant régulièrement ses services au magazine Penthouse et au site AskMen.com. Pour Chaves, qui chez Rolling Stone qualifie la Virtual Sexology de « lieu de transition vers la vie réelle« , il est admis que le continent du couple et les rivages de la pornographie sont deux territoires indissociables.
« Depuis toujours, les gens recherchent à travers la pornographie des idées afin de diversifier leurs moyens d’éprouver du plaisir. Intégrer l’éducation à la pornographie nous permet d’aider les couples à combiner ce plaisir à de véritables compétences, à leur assurer une confiance en leur propre expérience relationnelle ».
Avenir de la sexologie ou amour artificiel ?
https://youtu.be/aa3zk-ojzQU
Toujours prêt à scander la révolution, Glider proclame que nous aurons au bout de notre smartphone « une plateforme unique et innovante qui changera la manière avec laquelle les consommateurs expérimentent la pornographie« . Mais ce n’est pas l’avis du sexothérapeute et écrivain Alain Héril, auteur de Sexothérapie : ces confidences qui soignent (Editions Bussiere) et de Journal d’un sexologue (Editions Le Courrier du Livre), qui affirme qu’au delà du vernis high tech la Virtual Sexology synthétise simplement « les bases d’observations stables du fonctionnement sexuel humain » et ne pourra surpasser « une réalité virtuelle qui existe déjà : le fantasme« .
« Changer la perception sociale du porno »
La chercheuse Ludivine Demol quant à elle conçoit en ce mix entre Réponse Sexuelle et Réalité Virtuelle une tentative de rendre la pornographie plus respectable, de la sortir des nids de tags méticuleux et de fétichismes pour initiés :
« Le porno est considéré par la société comme une activité vulgaire, honteuse et non légitime. En totale opposition avec quelque chose de rationnel ou de scientifique. BadoinkVR s’appuie sur un objectif « médical » : aider ceux qui ont des éjaculations précoces. Et cela repose sur l’idée d’une norme sexuelle, où l’éjaculation du pénis signe la fin du rapport sexuel. Cet objectif permet de légitimer ses productions pornographiques, en se distinguant des films X. L’argument médical permet de « dévulgariser » et légitimer la représentation de la sexualité : une image de vulve dans un contexte médical n’est pas jugée pornographique. Cette tentative de modification de la perception sociale séduira peut être des publics plus large…même s’il y a fort à parier que ces derniers soient déjà consommateurs de films pornographiques. »
Puisqu’elle concilie la fiction explicite et la sexualité quotidienne, l’une contribuant à la qualité de l’autre, cette pornographie médicale est une pornographie sociale. La « performeuse » (l’actrice professionnelle) attribue au public ses aptitudes. Eric Falardeau, cinéaste et auteur de Bleu Nuit : histoire d’une cinéphilie nocturne (Editions Somme Toute), recueil de textes basés sur l’émission érotique éponyme, affirme que la performance pornographique fait en ce sens écho aux principes générés par la société et le monde du travail; BadoinkVR nous proposant « de reprendre possession de sa sexualité et des ses désirs, de se découvrir soi-même, à l’image des discours contemporains sur le bonheur et la réussite« . « Ce projet », insiste Ludivine Demol, « s’inscrit dans le schéma normé d’une sexualité performative qui serait épanouissante ».
Pornographie et sexothérapie, l’héritage de Nina Hartley
https://youtu.be/q6Ygmg_haE0
En combinant sex-ed et sex-tech, Todd Glider défie pourtant l’opinion commune. Entre autres, il assure qu’il est possible de « diriger l’edutainment (la fusion entre l’éducation et le divertissement) vers la pornographie, de briser la frontière entre l’érotisme et l’éducation« . Mais le porte-parole de l’usine à rêves numériques ne s’édifie pas en professionnel de la thérapie : « je ne dirais pas que les pornographes sont les mieux lotis pour éduquer le public adulte sur la question du plaisir sexuel. A Badoink nous ne sommes pas des éducateurs, nous faisons avant tout du divertissement« . La raison en est que, si la sexothérapie virtuelle permet un confort non négligeable (traiter ses soucis intimes, ses tabous, chez soi, seul), elle ne peut se substituer au rendez-vous professionnel, comme nous l’affirme le sexologue :
« Si la pornographie alimente la sexualité réelle et inversement, la question de la thérapie ne peut se faire qu’avec l’aide d’un espace thérapeutique et d’une donnée fondamentale : la relation au thérapeute et les enjeux inconscients qui y sont attachés. Avec la VR, le risque est de créer des espaces tellement forts émotionnellement que la réalité devienne fade. Les exercices à faire chez soi sans la présence du thérapeute et sans l’épreuve de la parole peuvent enfermer le sujet dans un modèle masturbatoire sans le risque de la confrontation nécessaire au désir de l’autre. »
« La nurse de la pornographie »
Si elle ne remplacera pas la sexothérapie réelle, la Virtual Sexology représente avant tout un concept. Ce « tag », c’est celui de sex edutainement, hybride entre l’éducation sexuelle et l’entertainement, évoquant le principe des jeux vidéo éducatifs. Depuis le milieu des années 90, l’actrice Nina Hartley s’est ainsi faite papesse du sex edutainement au fil de vidéos aux démonstrations hardcore, dont Nina Hartley’s Guide to Anal Sex (1995) et Nina Hartley’s Guide to Couples Sexploration (2001). Persuadée que la pornographie est un « facteur de socialisation« , Hartley cherche moins à exciter qu’à aider – en détaillant par exemple la sexualité des femmes enceintes. Interrogée par le site spécialisé Xcritic, cette « nurse de la pornographie » -comme elle aime être appelée – définissait son métier avec une pointe de militantisme :
« …l’éducation représente une bonne partie de ce que nous faisons, et notre culture est une permanence quête d’éducation sexuelle, anti-culpabilisante et de qualité. Le sexe se compose d’un ensemble de compétences physiques, et ces compétences peuvent être enseignées, à l’image de vos recettes de cuisine. Le plus compliqué à enseigner est la faculté émotionnelle, la confiance en soi […] Je crois que j’ai davantage fait l’amour que la plupart des gens, et j’ai toujours été sobre dans ces moments-là. Je me souviens de tout. Mon rôle est donc d’enseigner au public comment reproduire ces gestes spécifiques ».
L’éducation sexuelle en réalité augmentée définie par Hernando Chaves l’était déjà part Hartley, qui, interrogée par le AV Club, insistait sur la nécessité de « s‘adresser à un public conventionnel, et de l’aider à trouver son propre niveau de confort ». Le porno pour couples était suffisamment pensé afin que « les gens vivent une heureuse relation, soient satisfaits de leurs relations intimes en compagnie de leurs partenaires, car cela fortifie le mariage, rend papa et maman heureux, et rend donc les enfants heureux ».
Sexologie Virtuelle, scènes de la vie conjugale
https://youtu.be/1rAmotDqlNA
Sous l’impulsion d’Hartley, la pornstar Rain DeGrey se fit éducatrice sexuelle sur Kink.com (boîte de production spécialisée en films de bondage et de sadomasochisme), faisant par exemple la démonstration de l’éjaculation féminine. Au coeur de l’industrie depuis 2012, Madison Missina décidât de perpétuer ses savoirs au tout-venant en devenant coach relationnel – en 2013, elle reçut simultanément le Eros Shine Award du Porn Performer of the Year et celui du Best Sex Educator of the Year. En février 2016, les sulfureux Paris Kennedy et Tommy Pistol instruisaient les couples sur une plateforme aussi populaire que Buzzfeed, insistant sur l’attention portée aux réactions du partenaire et au positionnement des corps durant l’acte.
A travers la pornographie thérapeutique il s’agit de contrôler ce qui, d’habitude, constitue la dynamique excessive du divertissement (érection, masturbation, éjaculation, orgasme) en accordant plus de place à la « psyché sexuelle de l’homme » – déclare Chaves chez Vice. L’objectif ? Démontrer la véracité des nombreuses études scientifiques synthétisées par Medical Daily en janvier 2014 : encourageant l’expérience et la spontanéité, la pornographie contribue à l’entente au sein du couple, et l’honnêteté qu’on lui voue va de pair avec la confiance en sa propre sexualité. Le porno n’est pas simplement affaire de simulation du réel, mais de stimulation du réel.
Proposant de switcher sur un point de vue féminin – tout en usant du sextoy adapté – cet exercice de style privilégie, au sein d’un environnement spectaculaire, ce qu’Alain Héril baptise « le retour au Sujet« . A l’heure de la pornographie féministe, la Virtual Sexology met justement l’accent sur ce que les femmes interrogées par Glamour intitulent « le porno de leurs rêves » : une pornographie qui instaure une connexion avec son public et, focalisée sur le plaisir authentique, contredit la dictature de l’orgasme simulé.
https://youtu.be/_kHQ3k2lgIk
Dépeindre la pornographie en tant que pédagogie, c’est appuyer le paradigme défendu par le sexo-thérapeute Jason Winters l’année dernière, avançant que le genre pouvait avoir des effets positifs sur le rapport qu’entretient l’adolescent avec la sexualité. Une vocation de dé-diabolisation par le médical et l’éducation, alors que la pornographie est encore régulièrement associée au phénomène de l’addiction par le milieu politique et médiatique. Et si, conclut Eric Falardeau, cette virtualité nous invitait à caresser les contours de la Pornotopie ?
« L’un des plaisirs du X est ce constant équilibre entre la réalité objective des corps présentés et leur mise en scène fantasmatique. Rien n’est vrai, pourtant tout l’est. C’est un univers tout sauf réel, c’est une pornotopie […] L’acteur pornographique, et la pornographie en général, exemplifie par excellence le processus complexe de projection-identification. Regarder ou s’intéresser à la pornographie, c’est d’abord et avant tout parler de soi-même. »
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