Après des années dominées par le gonzo, ces scènes de sexe 100% hard, le porno revient aux dialogues et aux personnages. La tendance est aux films (de cul) à histoire.
Un scénario derrière les films X ? Vraiment ? Le porno standard ne brille pas par l’originalité de ses synopsis. Fellation-vaginale-anale-faciale. Les scripts consistent en une succession de figures imposées, de stéréotypes attendus. Comme le lecteur d’arlequins ou le fana de polars, la jouissance du consommateur de porno classique repose sur un plaisir du déjà vu. « Si l’arrivée du porno amateur sur le web a longtemps réduit le porno commercial à une série de geste et de postures, au détriment du script, le vent tourne », constate Marie-Anne Paveau, auteure du Discours pornographique. De plus en plus nombreuses à financer des films scénarisés, les boîtes de production sont à la recherche d’auteurs inspirés.
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Hervé Bodilis travaille chez Marc Dorcel depuis 15 ans, après une carrière de photographe dans le porno gay. Il assure aujourd’hui la direction artistique des longs métrages. Dorcel en produit un par mois. Plume prodigue, Hervé écrit les scénarios de la moitié d’entre eux. L’Héritière sort en octobre. « Quels fantasmes le thème de la bourgeoise évoque-t-il au public ? », s’est demandé Hervé avant d’écrire. Son pitch : une jeune bourgeoise hérite de la fortune de son père mais doit fréquenter le milieu SM pour élucider le mystère de sa disparition. Les budgets accordés aux grosses productions de Marc Dorcel permettent aux scénaristes de développer des histoire d’envergure: « Nous construisons désormais nos scénarios comme ceux des James Bond ! explique Hervé. Dans un même film, l’auteur peut déployer son imagination dans des décors très variés: des scènes d’orgies avec 30 personnes, un yacht aux Seychelles, une station de ski… »
« Une étudiante farouche ne va pas recevoir une faciale à l’issue d’un premier rapport ! »
« Chaque boîte à son propre style. On n’écrit pas pareil pour Canal Plus et pour un distributeur américain », explique Tristan Seagal, 42 ans, qui écrit des scripts pour la nouvelle filière « porno chic » de Jacquie et Michel. Le nombre de scènes de sexe est commandé par la production. Chez Dorcel, c’est 5 pour 1h30 de film. Elles durent entre 5 et 10 minutes. Dans le cinéma tradi, la réalisation d’un storyboard succède à l’écriture du scénario. Pas dans le porno. « Les scènes de sexe sont décrites dans le script, le choix des plans est prévu dès l’écriture », précise Hervé. Il y a toujours une scène de sexe dans les 3 premières minutes du film.
Avec ses scénarios réglés comme des horloges, le mainstream est certes calibré, mais pas bâclé. Non, la psychologie des personnages n’est pas inexistante. Elle se veut fidèle à l’air du temps: « Il y a dix ans, la bourgeoise de L’Héritière serait descendue d’une Rolls. Dans la première scène du film, l’héroïne de 2016 se réveille entourée d’un mec et d’une fille, façon jeunesse dorée et décomplexée des beaux quartiers », explique Hervé. Le cul aussi se veut réaliste : « Une étudiante farouche ne va pas recevoir une faciale à l’issue d’un premier rapport, c’est trop violent. En revanche, le script peut indiquer qu’elle va caresser son partenaire pour récolter le sperme dans sa main. »
X cherche plume expérimentée
Pour fidéliser un public féminin, les préambules aux scènes de sexe sont de plus en plus soignés. Un porno teinté d’érotisme. Le site Jacquie et Michel s’est lancé dans des productions scénarisés aux budgets généreux. « Quand j’écris, je cherche une idée centrale, puis je cale les scènes hard. Le plus dur est de créer les ambiances autour de ces scènes. Il faut qu’on puisse être excité par une situation perverse avant même d’avoir vu le bout d’un sein… », explique Tristan. Mais les réalisateurs indépendants critiquent les cahiers des charges, souvent très directifs, imposés par les grosses maisons de production. Peu de place pour la créativité. « Si j’étais contrainte d’écrire une scène hyper hard dans les 12 premières minutes du film, puis une scène lesbienne suivie une double pénétration… je ne ferais plus ce métier”, raconte la réalisatrice Ovidie.
« On n’imagine pas ce que c’est de prévoir chaque minute d’un film… et d’une scène de sexe. »
Les auteurs expérimentés sont démarchés. « Nous traquons les nouveaux talents ! » répète Hervé. Depuis 2013, le Dorcel club permet de tester les scénarios des débutants, en produisant des court-métrages de 20 à 40 minutes. Une manière d’accompagner les nouvelles plumes dans l’écriture de leurs premiers scripts. Dans le porno, les frontières sont plus poreuses que dans le cinéma traditionnel. Les scénaristes ont souvent fait leurs armes en tant qu’acteur. Tristan Seagal devient hardeur en 1999, « pour le lifestyle et l’argent », après avoir travaillé dans une association d’animation médiévale où il gérait costumes et décors. Le chevalier a vite envie d’écrire ses propres histoires: « Après avoir réalisé une bonne centaine de gonzos pour quelques gros studios US, j’ai eu envie de monter des projets plus scénarisés. » Son tout premier script ? Douloureux. « On n’imagine pas ce que c’est de prévoir chaque minute d’un film… et d’une scène de sexe. » Tristan trouve l’inspiration dans ses lectures de BD érotiques – von Götha ou Manara – et puise dans les faits divers, les séries américaines.
« Ecrire un porno exige de l’expérience : ce n’est pas une chose aussi facile qu’on veut bien le croire. Beaucoup de gens du « tradi » s’y sont cassés les dents », prévient Tristan. Liselle Bailey enchaîne elle aussi les contrats. Scénariste et réalisatrice freelance, elle a longtemps été prof de théâtre. « Mais toute gamine, je voulais être écrivain pour la télévision ». En 2008, elle est assistante de production pour des vidéos d’entreprise. Elle s’ennuie et postule pour écrire pour la boîte de production Joybear Pictures. En 2013, elle rejoint les équipes de Kaizen XXX, écrit et réalise de temps en temps pour Dorcel. Liselle travaille par étapes : elle donne un titre de travail au scénario, soumet un premier pitch, avec le détail des scènes de sexe. Les producteurs valident ou apportent des modifications. Elle passe ensuite aux dialogues: « Beaucoup d’idées viennent de mes expériences perso… je tire des conclusions de ce que j’ai ressenti lors de certaines situations sexuelles. » Un bon scénario est fondamental: « Si les situations ne sont pas sexy dans le script, on ne pourra pas les rendre plus excitantes sur le plateau. »
Le scénario : acte militant
En marge de l’industrie du porno mainstream, des productions indépendantes accordent elles aussi une grande importance à la qualité des scénarios, mais comme outil d’un discours militant. La première fois qu’Erika Lust a regardé un porno, elle était ado, c’était du mainstream. « What the fuck is this ?! », s’est écrié la suédoise, grande fan de cinéma de Susanne Bier et de Sofia Coppola, future thésarde en sciences politique et études des genres. A Barcelone, au début des années 2000, elle intègre une école de cinéma. Erika veut créer une alternative au porno traditionnel, qu’elle juge dégradant: faux orgasmes, sexe automatique, contexte minimaliste et femmes objets. Erika rejette les fondamentaux du bon vieux boulard.
Le remède à du mauvais porno… c’est un meilleur porno, qui bouleverse les codes de l’écriture traditionnelle. « Je consacre autant de soin à l’écriture de mes films porno que peuvent le faire les scénaristes de films traditionnels. Je créé un contexte, des personnages, leurs dialogues. Je fais du cinéma, en fait. » The Good girl, Cabaret desire, Five hot stories for her, Do you find my feet suckable ? la série des XConfessions… Ses scénarios reflètent les valeurs d’un porno pour les femmes, sans mièvrerie. Initié aux Etats-Unis dans les années 1980 mais apparu en Europe début 2000, le porno alternatif – LGBT, queer ou féministe –, ne joue pas, à l’inverse des productions mainstream, sur la répétition de scènes imposées. L’écriture, libre et inventive, repose un certain nombre de valeurs: l’éjaculation faciale ou la fellation sans consentement sont bannies. « Tendresse, caresses, expression du sentiment ou explicitation de l’orgasme féminin règnent dans ces scripts. Ce porno militant oblige la pornographie à se réécrire », explique Marie-Anne Paveau.
Une nouvelle vague d’artistes féministe s’est emparé d’un genre très masculin et troquent les scripts sans surprise des scénarios traditionnels pour des synopsis plus intellos. Ovidie tient à donner une base crédible à ses histoires. Pour écrire le script de Pulsions, film qui traite des pathologies sexuelles, elle s’est documentée sur les syndromes d’excitation génitale persistante. La rédaction d’un scénario est un moment de réflexion.
« Et puis, ils baisent »
En 2014, Lucie Blush lance son site luciemakesporn.com. La française de 29 ans est à la fois auteure, réalisatrice et actrice. Féministe, Lucie propose une nouvelle pornographie, parfois très hard, toujours joyeuse : « Quand une idée me paraît bonne, je me rue sur un morceau de papier, j’y jette les idées principales. Si elles me plaisent encore le lendemain, je les développe. » Le scénar de son premier film, Alice Inside, tenait en un fantasme griffonné sur une feuille de papier : « C’était la première fois que j’essayais de retranscrire une des nombreuses histoires sexuelles qui tournent dans ma tête. J’avais une idée très précise de ce que je voulais mais c’était très difficile de communiquer mon idée aux acteurs. J’ai vite appris l’importance d’un scénario bien rédigé ! » raconte-t-elle. Lucie adore écrire.
« J’ai appris à soigner les détails, sans tomber dans les clichés de l’écriture érotique. Développer les personnages est essentiel, même pour une simple scène porno. Il faut être très clair et réussir à décrire une atmosphère en quelques mots. »
Dans un certain type de porno, moins industriel, l’écriture est ainsi une expérience charnelle à part entière. « Mes scénarios sont une représentation de mes explorations sexuelles, confie Lucie. Ecrire sexuel et traduire ses fantasmes est très cathartique. » Même si, à la fin, les épilogues des scripts se ressemblent tous… « Et puis, ils baisent. »
Cet article a été réalisé en collaboration avec le CFPJ
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