“Confessions nocturnes” est une chronique bimensuelle qui donne la parole aux lecteur·ices pour parler de sexe, d’érotisme, de genre, d’attachement, d’infidélité… Et qui tente de répondre à cette question : “Comment s’aime-t-on en 2020 ?” Aujourd’hui, Anaïs*, 26 ans, nous plonge dans une histoire d’amour pluriel et de confinement.
“Je suis en couple avec Julien depuis trois ans, nous vivons ensemble. Depuis le début de notre relation, nous n’avons de cesse de redéfinir ensemble notre couple : monogamie, union libre, relations charnelles avec d’autres personnes… Et cela fait désormais six mois que je vis un polyamour, avec tous ses hauts et ses bas – surtout en période de confinement total.
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Nous avons été monogames pendant un an, et puis, en même temps, on ne cessait de se laisser séduire par d’autres personnes, ce qui créait des tensions et nous rendait malheureux. On sentait tous les deux que nous avions besoin de cette dimension sexuelle hors couple, sans sentiment, sans attache – tout en étant certains de nos sentiments l’un envers l’autre. Alors, au bout d’un an de relation, je lui ai proposé que l’on instaure une forme de relation libre dans laquelle chacun aurait le droit d’avoir des rapports sexuels avec d’autres personnes. Les seules règles étaient que l’on ne devait pas s’en parler, et que cela ne pouvait pas avoir lieu dans notre appartement.
Au bout de quelque temps, nous avons commencé à nous confier sur nos aventures respectives. Par contraste, de nous rendre compte qu’il y avait des choses que l’on ne pouvait faire que tous les deux, ça nous a confortés dans le fait que nous étions vraiment bien ensemble.
Un désir profond de liberté
Je suis féministe, mais ce n’est pas vraiment une démarche politisée ou conscientisée, il me semble que cela vient avant tout de mon désir profond de liberté. Et puis, au moins, nous arrêtons de nous mentir. J’ai la chance d’avoir des amies qui ont toujours été très compréhensives, elles ne m’ont jamais jugée. Au contraire, elles ont toujours soutenu mes choix de vie.
Mais la situation est devenue en quelque sorte incontrôlable lorsque j’ai rencontré Antoine. On se suivait sur Instagram depuis un bout de temps, j’aime bien les pages de mèmes de gauche et lui en postait souvent. Peu à peu, nos échanges ont commencé à s’intensifier. Ça créait un état à la fois fou et étrange : bien que notre relation n’était que strictement virtuelle, un sentiment d’habitude rassurante commençait à naître. Un peu comme le début d’une nouvelle addiction, le manque pointait le bout de son nez lorsque nous ne pouvions pas nous écrire. Les échanges devenaient de plus en plus intimes. Mais lui était en couple, et moi, je ne savais pas encore bien quel sens donner à tout ça… Une chose seule était sûre à ce moment-là : je voulais le rencontrer, en vrai. Alors, un jour, je lui ai écrit : “Bon, je ne suis pas uniquement un bot à qui tu parles quand tu t’ennuies, cela devient trop frustrant, il faut que l’on se voie.”
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Dès le lendemain, Antoine prenait le train au petit matin, pour arriver à 8 heures dans ma ville. Nous avons bu un café juste avant que je n’aille travailler. La rencontre n’est bizarrement pas si déroutante que ça : tout est finalement très naturel. Peut-être un peu trop. Il y a un intérêt sincère, une reconnaissance l’un dans l’autre et une curiosité dans ce qui nous oppose.
A la pause déjeuner nous nous retrouvons dans un appartement, c’est là que nous avons notre premier rapport sexuel – qui est un peu désastreux d’ailleurs, il faut bien le dire. Mais ce n’est pas un problème, au contraire. Nous passons quelques minutes très tendres remplies de câlins et de caresses. A ce moment-là, je suis très étonnée que lui ose passer ce cap car il est en couple, et de mon côté je n’avais pas imaginé jusqu’ici avoir une relation extraconjugale autre que sexuelle. Quoi qu’il en soit, après ce premier rendez-vous, on prévoit déjà de se revoir, le plus vite possible.
Des sentiments ambivalents
Alors on continue de se donner rendez-vous, en cachette, comme ça, une à deux fois par semaine. J’en parle très vite à Julien qui était au courant que j’entretenais une relation épistolaire très suivie avec cet homme. C’est là que les choses se complexifient entre nous… Jusqu’ici la règle était simple : on fait ce que l’on veut avec qui l’on veut, mais cela doit toujours passer après notre couple. Cette tendance est en train de s’inverser notamment parce qu’Antoine ne vit pas de la même ville que nous, et qu’il s’agit pour lui d’une relation secrète. Nos rencontres doivent donc être planifiées et organisées à l’avance.
Ma relation avec Antoine devient très vite beaucoup plus intense, mais toujours marquée par l’incertitude – il est en couple dans une relation monogame, et à chaque fois que l’on se quitte, c’est dramatique. On s’avoue vite que l’on s’aime : on se manque énormément et nous partageons une sorte de fascination pour l’un et l’autre. Se voir demande une telle organisation qu’il est assez logique que l’on ne partage pas uniquement du sexe, ce sont des sentiments très forts et nous souhaitons les explorer.
Puis vient le jour où sa copine découvre les conversations du début où l’on projetait de se voir. Elle lui met un ultimatum. “Il faut que l’on arrête de se parler et de se voir”, m’explique-t-il par téléphone. Nous coupons le contact pendant quelques semaines, puis commençons très vite à nous retrouver. Cette situation fait naître chez moi un sentiment toujours très ambivalent : d’un côté, sa copine devient symboliquement un obstacle à notre relation, et d’un autre, je ne cesse de penser : “Où est la sororité dans tout ça ? Que suis-je en train de faire subir à une femme ?” Ce rôle de maîtresse ne me convient pas du tout, je le trouve moche, dégradant. Et cela m’énerve que ce soit, une fois de plus, l’homme qui se retrouve en position de choix. Antoine n’arrive finalement plus à lui mentir et la quitte au bout de quelques semaines.
De mon côté, j’explique tout à Julien, et lui fais comprendre que j’ai cet impératif, cette envie incontrôlable d’aller voir Antoine, régulièrement. Que je suis amoureuse, et que j’ai besoin qu’il comprenne que cette autre relation est très différente des amants précédents. Nous traversons des moments terribles. Julien vit très mal ce que je tente de lui expliquer, il y a beaucoup de colère, de tristesse, de pleurs… On se demande même si ce n’est pas là la limite de notre histoire.
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Suis-je égoïste ?
A ce moment-là je ne sais pas si je vais pouvoir vivre pleinement ces deux histoires parallèles. C’est délicat car le sentiment amoureux crée en moi un besoin de projection, même si ce ne sont que des rêveries. Je m’interroge : puis-je réellement demander à Julien de me laisser vivre cette histoire en même temps ? Peut-on demander ça à quelqu’un par amour ? Je ne suis pas sûre d’avoir encore répondu à cette question.
Ma relation avec Julien pâtit de plus en plus de l’urgence de mon amour naissant pour Antoine, de cette passion des débuts qui nous amène à vouloir nous voir souvent. Pour autant, Julien et moi continuons de faire plein de projets, il nous arrive même de parler de mariage. Il réagit de manière très différente selon les moments. Il est parfois froid et distant lorsque je suis avec Antoine, mais il lui arrive aussi de me poser des questions, de vouloir en savoir plus. Il me répète souvent que j’aurais pu faire autrement, que j’aurais dû fixer davantage de règles, et ne pas tomber amoureuse…
Dimanche 15 mars, lorsque les rumeurs de la mise en place d’un confinement total commencent à émerger, je suis en week-end dans la campagne avec des amies, et je dois choisir très vite mon lieu de confinement. J’en parle pendant des heures au téléphone avec Julien, j’agis peut-être mal car je laisse planer l’incertitude sur l’endroit où je vais me rendre. Alors qu’au fond de moi résonne l’envie intense de rester confinée avec Antoine. C’est finalement ce que j’ai fait.
Julien vit très mal mon choix, il ne me parle plus pendant quelques jours. Je suis bien sûr très inquiète et j’ai une envie terrible d’entendre sa voix, de savoir comment il va. Mais je ne veux pas lui faire du mal ni le forcer à quoique ce soit. C’est là que réside toute la complexité : dans un monde idéal j’aimerais pouvoir vivre avec les deux, mais je suis bien consciente que cette situation ne conviendrait qu’à moi. D’autant plus qu’Antoine et Julien ont des personnalités très différentes.
Suis-je égoïste ? Oui, très certainement, mais je ne vois comment je peux faire autrement. Je suis totalement mue par ces deux amours. Antoine est pour l’instant très compréhensif, il me dit souvent qu’il n’a pas envie de m’empêcher de faire ce que je souhaite. Tant que nous sommes confinés, ce polyamour semble en quelque sorte suspendu, mais ce temps permet à chacun d’être davantage transparent sur ses sentiments. Jusqu’ici nous vivions dans une sorte d’équilibre qui n’était sans doute pas pérenne, et allait de toute façon être rattrapé par nos trajectoires de vie.
Ma relation avec Julien s’améliore depuis quelques jours, nous savons tous les deux que nous nous retrouverons à la sortie. Sa présence me manque. La cohabitation avec Antoine se passe très bien alors que nous avions pour habitude d’être régulièrement séparés et d’en souffrir terriblement. Pour le moment, tout le monde a l’air serein. Nous verrons bien quelle tournure cet amour pluriel prendra à la fin du confinement…”
*Le prénom a été modifié à la demande de la personne
Propos recueillis par Fanny Marlier
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