C’est l’hypothèse qui monte : d’après plusieurs spécialistes, le pic de pollution serait en partie dû à l’activité des zones très industrialisées d’Europe de l’Est, telles que le bassin de la Ruhr en Allemagne.
Et si les particules fines à l’origine du pic de pollution de ces derniers jours avaient été transportées jusqu’à nous par le vent, depuis les zones très industrialisées d’Europe de l’Est et du Nord ? C’est l’hypothèse inopinée qui émerge timidement dans le débat sur les causes de l’épisode polluant auquel nous faisons face depuis jeudi dernier.
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Les transports fonctionnant au diesel endossaient pourtant bien le rôle de seuls coupables. Ils ont d’ailleurs été pris pour cible par les autorités, qui ont rendu les transports publics exceptionnellement gratuits dans plusieurs grandes villes de France, et ont instauré la circulation alternée à Paris.
Les affirmations de plusieurs spécialistes appartenant à Atmo (réseau national des associations agréées pour la surveillance de la qualité de l’air) interpellent d’autant plus. Selon eux, une partie des particules fines qui ont envahi notre atmosphère aurait été émise par les régions très industrialisées d’Europe de l’Est et du Nord – en Allemagne, en République tchèque, aux Pays-Bas et en Pologne – et conduite jusqu’à nous au gré des vents.
« La part de pollution importée a été largement majoritaire »
Le phénomène a été particulièrement fort en Auvergne. Selon Serge Pellier, directeur de Atmo-Auvergne, « une masse d’air chargée de particules fines est arrivée d’Europe du Nord et de l’Est, a stagné sur la moitié nord de la France, avant de descendre. La part de pollution importée a été largement majoritaire au moment paroxystique du pic de pollution : elle a atteint jusqu’à 90 % ». Selon ce spécialiste, il s’agirait de particules fines volatiles, chargées de nitrate d’ammonium, capables de parcourir de très longues distances, et issues des travaux d’épandage d’engrais agricoles.
En Lorraine, le constat est également frappant. « D’après nos simulations, au summum du pic de pollution, en Lorraine, la pollution importée était de 50% », explique Jean-Pierre Schmitt, directeur d’Air-Lorraine. Ce chiffre est à imputer à l’industrie lourde des voisins transfrontaliers de la région, mais pas seulement : « A ce moment-là, la masse d’air venait du sud de la Pologne, elle a donc traversé des zones industrialisées, dont nous avons récupéré les particules fines. Mais nous avons aussi récupéré celles émises par les transports, l’activité agricole, etc. », précise le spécialiste de la surveillance de la qualité de l’air.
« C’est l’activité anthropique en général qui est responsable »
Des soupçons pesaient notamment sur le bassin houiller de la Ruhr, en Allemagne. Pour compenser la sortie du nucléaire entamée par le gouvernement allemand en 2011, et alimenter le pays en électricité, les mines de charbon et de lignite à ciel ouvert y ont en effet repris du service, tout comme les centrales thermiques. Cette activité est-elle en partie à l’origine des particules fines qui nous polluent l’air ?
Jean-Pierre Schmitt se veut plus nuancé. D’abord, « les nouvelles générations de centrales thermiques sont soumises à des contraintes en matière de pollution qui ne sont pas les mêmes qu’avant », et, s’il est « vrai que l’Allemagne et la République tchèque ont une industrie lourde, donc automatiquement plus de pollution, c’est l’activité anthropique en général qui est responsable », estime-t-il.
Cette importance relative de la part de pollution importée n’est pas nouvelle. Selon Anne Kauffmann, responsable du pôle Etudes à AirParif, « en moyenne annuelle en Ile-de-France, à proximité du trafic routier, 40 % des particules fines sont importées, 48 % viennent du trafic routier, 4 % du chauffage résidentiel au bois, et 2 % de l’industrie. Il faut donc faire la somme de la pollution locale et de la pollution importée pour expliquer le pic de pollution ». La spécialiste confirme par ailleurs, sans l’avoir quantifié, qu’en Ile-de-France également, lors de la pointe de pollution de jeudi et vendredi derniers, l’import venait du Nord-Est.
« La politique locale ne maîtrise pas tout »
Le trafic routier n’est donc pas blanchi, loin de là, et les responsabilités du nuage de pollution qui stationne au-dessus de nos têtes sont partagées. Face au constat de la circulation internationale des particules fines, Hervé Kempf, journaliste spécialisé en écologie et fondateur du site Reporterre, est lapidaire : « Ce n’est pas seulement à Paris qu’il faut réduire la pollution atmosphérique, mais partout, y compris chez nos amis allemands. »
En effet cet épisode ne se borne pas aux frontières de la France : l’Allemagne et le Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) sont affectés de la même manière par le pic de pollution. « Cela pose la question de la bonne échelle pour intervenir, estime Jean-Pierre Schmitt : la politique locale ne maîtrise pas tout, elle ne peut rien faire pour empêcher des poids lourds de traverser son territoire. Il faut donc qu’il existe des stratégies emboîtées, complémentaires, du niveau européen au niveau local. »
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