Depuis les années 60, il est très fréquent que la politique ou les sujets de société s’invitent dans les comic-books. Mais l’exercice du pouvoir politique ainsi que l’avènement au poste de Président sont des choses tout aussi intéressantes et qui ont été données à voir à de multiples reprises, jusqu’à très récemment.
Imaginez quelques secondes que Donald Trump soit un méchant de bande dessinée. Avec ses déclarations outrancières et son attitude, il n’est pas loin de ce que l’on pourrait faire de mieux dans le genre. Eh bien Marvel l’a imaginé et imprimé. Le 2 juillet, un nouveau vilain apparaît dans l’une de ses séries qui connaît le plus de succès, Spider-Gwenn, qui raconte le destin de Gwen Stacy, premier amour de Peter Parker, si elle avait été mordue par une araignée radioactive à sa place. Et ce nouvel adversaire n’est autre que Donald Trump. Enfin, presque. Il prend en fait la place de MODOK, que l’on pourrait en gros décrire comme une tête énorme qui flotte dans les airs avec des petits pieds et des petits bras.
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Il faut donc imaginer une tête de Donald Trump énorme à quelques mètres au dessus du sol. Seule différence : il s’appelle MODAAK, acronyme de Mental Organism Designed As America’s King (soit : Organisme Timbré Conçu comme Roi de l’Amérique). Tout est dit. En l’occurrence, ce sont ses discours à destination des latinos et des immigrés mexicains qui sont visés par ces deux planches où le candidat, ou en tout cas MODAAK, apparaît. Ses sbires sont sur le point d’exécuter plusieurs captifs, qu’il désigne comme « foreign filth« , soit des « saletés étrangères« . Il se fait par la suite remettre en place par Captain America alors qu’il était sur le point d’entonner son slogan célèbre : « Make america great again ».
Quand des méchants se présentent ou sont élus
La maison d’édition n’en est pas à son premier coup politique. Par le passé, Marvel, qui pencherait plutôt à gauche de l’échiquier politique, a entrepris de diversifier ses personnages en incluant plus de femmes et de héros non blancs. Début mars, Marvel annonçait la publication prochaine d’une mini-série intitulée « Vote Loki« en quatre numéros. L’idée de base est simple : Loki, le dieux nordique fauteur de trouble se présente à l’élection présidentielle américaine. Par un concours de circonstance que l’on ne révélera pas ici, le personnage, d’habitude plutôt du côté du mal, se retrouve sous le feu des projecteurs. Dénonçant les mensonges de chacun des deux candidats désignés par les plus gros partis, il déclare à la télé : « Si je devais devenir Président, j’aurais le courage de vous mentir au nez, et vous adoreriez ça… »
Ce n’est pas la première fois qu’un méchant tente de devenir Président des Etats-Unis, certains y sont même déjà arrivés. Ainsi en 2000, Lex Luthor, ennemi de toujours de Superman, réussit à être élu. Superman, fidèle à lui même à et à la fameuse American Way Of Life qu’il a promis de protéger, estime qu’il faut faire confiance au peuple et aux choix qu’il fait. Cette élection, dramatique, coïncide avec celle de George Bush contre Al Gore en 2000, qui a semé le doute et n’a pu être clairement établie qu’après une décision de la cour suprême des Etats-Unis.
Le programme de Lex Luthor, candidat indépendant, est alors résolument tourné vers le progrès technologique des Etats-Unis. Durant son mandat, il manipulera l’opinion pour se lancer dans une guerre contre un être cosmique surpuissant, y engageant les héros américains ainsi que l’armée, provoquant des destructions importantes sur Terre. Cette histoire se terminera peu avant le 11 septembre 2001 et trouvera par la suite une résonance particulière avec l’engagement des Etats-Unis et de leurs alliés en Irak.
Barack Obama, de Superman à co-équipier de Spider-man
Au delà des élections présidentielles, il arrive aussi que des présidents soient des personnages à part entière dans des aventures de super-héros. Ainsi Richard Nixon et Ronald Reagan ont eu respectivement leur rôle à jouer dans Watchmen et The Dark Knight Returns, des dystopies particulièrement sombres. Plus proche de nous, c’est Barack Obama qui est apparu sur de nombreuses pages de bande dessinée. Le candidat puis chef d’Etat a visiblement réussi à éveiller chez nombre de scénaristes et dessinateurs une espèce de ferveur qu’ils voulaient restituer sur papier.
Il a ainsi été l’inspiration d’un personnage créé par Grant Morrison, à savoir Calvin Ellis, président des Etats-Unis, qui est noir. Mais il est, en plus de ça, un alien venu de Krypton. Cette version alternative de Superman n’était pas qu’un gadget passager pour coller à la réalité puisque le personnage, créé en mars 2009 est réapparu plusieurs fois par la suite, à chaque fois sous la plume de Grant Morrison. Comme si Barack Obama avait pour destin de changer le monde et de le rendre meilleur.
On a aussi pu retrouver le politicien aux côtés de Spider-man dans le numéro 583 de Amazing Spider-man, paru une semaine avant l’entrée en fonction du 44ème président des Etats-Unis. On y voit l’homme araignée venir en aide à Barack Obama qui s’est fait remplacer par un imposteur. Le Président, cool et relax, admet être un grand fan du personnage et le le quitte avec un fist bump, un salut qui se fait poing contre poing.
S’il n’est pas rare de trouver des présidents ou des personnages politiques dans les bandes dessinées américaines, il est plus rare que les auteurs prennent clairement parti pour un candidat. C’est ce qu’a fait Erik Larsen, auteur historique de la maison d’édition Image, qui a fait prononcer un discours de soutien au candidat Obama. Ainsi, Savage Dragon (un dragon élevé par des humains puis devenu policier à Chicago) déclare ainsi sur la couverture du numéro 137 (ainsi qu’à la toute fin de l’histoire qu’il contient), qu’il « appuie la candidature de Barack Obama au poste de Président des Etats-Unis ». Ce numéro, sorti en août 2008, soit quelques mois avant le scrutin qui a vu Barack Obama se faire élire, fut imprimé à quatre reprises devant la demande importante dans les boutiques.
Critique de George Bush
Le personnage du Savage Dragon s’était déjà illustré lors de l’élection présidentielle de 2004 qui avait vu s’affronter John Kerry et George W. Bush. Le dragon était alors candidat indépendant face aux deux autres avec l’un de ses co-équipiers d’infortune comme vice-président. On verra alors le Dragon donner un coup de poing au président américain sur la couverture du numéro paru quelques jours avant la vraie élection.
Aussi, George Bush n’a pas été forcément le président le plus encensé sur papier. Dans les histoires des Ultimates et Ultimate X-Men parues dans les années 2000 chez Marvel, il est humilié et moqué à de multiples reprises. Son action politique a aussi été longuement commentée, notamment dans Civil War écrit par Mark Millar puis adapté en film il y a peu dans le troisième opus de Captain America.
C’est particulièrement le patriot act qui y est visé et l’Amérique de Bush post 11 septembre qui y est commentée. Le parallèle sur la dimension sécuritaire et paranoïaque du pays est évidente. Dans Civil War, à la suite d’une explosion provoquée par un criminel doté de pouvoirs sur-humains et la mort de plusieurs centaines de personnes, le gouvernement demande aux personnes dotées de capacités extraordinaires de donner leur véritable identité et de se faire enregistrer auprès de l’état. Les héros se déchirent, plusieurs meurent, le gouvernement fait appel à des criminels pour faire respecter ses mesures. Bref, une Amérique bien sombre, pas très éloignée de celle de George W Bush où la torture était autorisée.
Analyse du pouvoir politique par le prisme du super-héros élu
Si la politique s’est invitée à de nombreuses reprises dans des bandes dessinées variées, qu’elle a pu être commentée, analysée, déconstruite, son exercice en tant que tel ne l’a pas forcément été. Il y a quelques années, Brian K Vaughan s’était déjà attaqué à ce sujet avec Ex-Machina, une série racontant le destin politique d’un super-héros, The Great Machine. Celui-ci devient, non pas Président des Etats-Unis, mais maire indépendant de New York après les attentats du 11 septembre 2001. Il aura, durant ceux-ci, empêché la destruction de la deuxième tour.
On le voit ainsi évoluer au fur et à mesure des prises de ses décision. Les sujets abordés vont de l’interdiction de fumer dans les restaurants à la problématique du financement public de l’art en passant par l’échec du système scolaire américain, l’ouverture du mariage aux homosexuels, la légalisation du cannabis et même la peine de mort, avec à la clé une question sur le sort qui devrait être réservé à Ben Laden si jamais il devait être capturé (toute l’histoire se déroule avant la mort du leader terroriste en 2011).
Le personnage n’étant pas démocrate ni républicain, on le voit critiquer les deux camps à tour de rôle. On peut y voir une critique d’un certain fonctionnement bi-partisan de la politique engluée dans les confrontations stériles, refusant le compromis. Mais Ex-Machina est aussi un récit portant sur la mensonge, l’hypocrisie, l’opportunisme et la tricherie en politique.Tout le déroulement du récit n’est qu’une descente en enfer et une succession de désillusions plus grandes les unes que les autres.
Une série sortie plus récemment, Citizen Jack, approche les mêmes problématiques mais avec un ton beaucoup plus humoristique et peut-être moins dramatique. Celle-ci dépeint les aventures d’un candidat ressemblant étrangement à Donald tant par son attitude, ses propos que son physique. Son petit truc : faire un deal avec le diable afin de gagner l’élection. L’auteur se défend cependant de s’être inspiré du candidat républicain pour son personnage. Dommage, s’il avait pactisé avec des forces démoniaques, Donald Trump aurait été un vrai méchant de bande dessinée, plus vrai que nature.
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