Dans une enquête à paraître le 28 janvier, le journaliste Matthieu Aron montre que 300000 gardes à vue pour des délits routiers ont été passées sous silence l’an dernier. Forçant le ministère de l’Intérieur à réagir.
Pour la première fois, le ministère de l’Intérieur a admis mercredi 27 janvier le chiffre de 800000 gardes à vue en 2009, soit 200000 de plus que les statistiques officielles.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La place Beauvau réagissait à l’enquête de Matthieu Aron, rédacteur en chef police-justice à France Info. Le journaliste a passé un an à examiner les chiffres des gardes à vue et à recueillir des témoignages. Dans un livre, il met en évidence l’augmentation vertigineuse des gardes à vue et avance le chiffre inquiétant de 300000 « gardes à vue fantômes ».
L’an dernier, ces gardes à vue liées notamment à des « délits routiers » (conduite en état d’ivresse ou sans permis, etc.) n’apparaissaient pas dans les statistiques. Le total des gardes à vue se monterait donc à 900000 l’an dernier (en comptant l’Outre-mer que n’a pas comptabilisé le ministère), trois fois plus qu’en 2001.
« Pas de vrais délinquants »
L’auteur oppose ainsi les gardes à vue « classiques » (crimes, vol, violences) aux gardes à vue « modernes » (infractions au droit des étrangers, délits routiers, outrages), en pleine explosion. Aujourd’hui, il y a plus de gardes à vue pour délits routiers que pour vol.
Pourquoi le ministère a-t-il omis de communiquer ces chiffres ? Parce que « les délinquants routiers sont des gens comme vous et moi. Ce sont des « M. Tout le monde », pas de vrais délinquants », confesse un communicant de la police nationale dans l’ouvrage.
Cette explosion est la conséquence logique de la « culture du résultat » importée des Etats-Unis par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur. Une « politique du chiffre » que certains policiers déplorent.
Reste qu’en se concentrant sur les flagrants délits, les policiers font d’une pierre deux coups : progression du nombre de garde à vue et simultanément du taux d’élucidation. Ces deux indicateurs permettent au ministère d’attribuer bons points et primes aux forces de l’ordre.
« Les gardes à vue sont des mesures de contrainte qui doivent être proportionnées à la gravité de l’accusation, limitées aux strictes nécessités de l’enquête, contrôlées par l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles », déclarait Elisabeth Gigou en 1999.
Sa loi sur la présomption d’innocence, votée en 2000, a pourtant eu une conséquence inattendue. En requérant un accès plus facile aux avocats, aux médecins et aux proches, elle a induit la systématisation de la GAV plutôt qu’à des auditions simples.
« Gardes à vue châtiment » et « gardes à vue de confort »
Alors que dans les années 1970, une personne sur deux ou trois en garde à vue terminait en prison, le chiffre est aujourd’hui d’une sur dix ou douze. Prouvant que la procédure se banalise, devenant un simple instrument de pression ou de chiffre et de moins en moins un moyen d’enquête.
Dérive inquiétante soulignée par Matthieu Aron : la transformation des policiers en juges à travers la « garde à vue châtiment ». Sans l’intermédiaire des magistrats, les policiers s’arrogent le droit de punir. Voire de faire peur : « En réalité on vous jette dans un cul-de-basse-fosse pour vous punir, pour vous impressionner », résume dans l’ouvrage Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté.
Outre les thèmes plutôt classiques bien développés par l’auteur – conditions déplorables de GAV, banalisation de la fouille – un point retient l’attention : « Le contrôle du placement en GAV par le magistrat est virtuel », écrit Matthieu Aron.
Si un OPJ a le pouvoir de placer une personne en garde à vue, il est obligé de le signaler au procureur, seul habilité à lever la mesure. Mais souvent, le policier se contente d’un simple fax d’avertissement, non lu par le procureur faute de temps.
Les bien mal nommées « gardes à vue de confort » se développent : faute de magistrat disponible pour les libérer, les suspects passent des heures en cellule. Seules 30% des GAV durent moins de 12 heures.
Gardés à vue, Matthieu Aron, Les Arènes (18,5 euros). En librairie le 28 janvier.
{"type":"Banniere-Basse"}