Prenant pour point de départ l’affaire des ados du 12 arrondissement de Paris dans laquelle quatre policiers furent jugés, “Police, illégitime violence” décortique les mécanismes de la violence sociale, en donnant la parole aux habitants du quartier, aux avocats ou aux policiers.
1er mars 2017, Mamadou, Ilyas et Zakaria, trois élèves de terminale du lycée Louise Michel d’Epinay-sur-Seine, sont contrôlés par des policiers sur le quai et dans le hall de la gare du Nord. Il est 20h et les trois garçons rentrent de Belgique, où ils étaient en voyage scolaire. Ce soir là, ils seront les seuls de leur classe à devoir subir des fouilles et à déballer leurs valises sur le parvis de la gare. Un mois plus tard, les lycéens, soutenus par leur professeure, décident de porter plainte contre l’Etat pour contrôle au faciès discriminatoire et préjudice moral. Si l’affaire – dont la décision sera rendue le 17 décembre – a fait un peu de bruit (on a récemment vu les trois élèves et leur enseignante sur le plateau de Quotidien), elle est loin d’être isolée et n’apparaît, dans le fond, que comme un énième échantillon d’un phénomène bien plus vaste.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Surtout celui aux yeux bleus, ce méchant sorcier”
Triste coïncidence de sortie, c’est autour d’une autre affaire datant de 2015 que se concentre Police, illégitime violence, le nouveau film de Marc Ball, journaliste et réalisateur de documentaires de société. Entre 2013 et 2015, c’est au cœur du XIIeme arrondissement de Paris, dans le quartier de Rozanoff, que Rayan et ses amis vont subir le harcèlement d’une brigade de policiers pour le moins peu commodes, « surtout celui aux yeux bleus, ce méchant sorcier » confie l’ado dans une vidéo datant de 2014. Contrôles intempestifs, palpations systématiques, insultes racistes et parfois même coups… Comme ce beau jour de printemps de mai 2015, où, comme à leur habitude, Rayan et sa bande sont posés sur les bancs du square. Quatre ans plus tard, le garçon alors âgé de 18 ans se souvient : « on était un peu moins de quinze avec des petits, des filles. » Très vite, une voiture de police débarque et ordonne aux gamins de « dégager ». Violence physique, gaz lacrymo’ et conduite au commissariat… C’est ainsi que s’achève la journée de Rayan, 15 ans. Encouragés par les habitants du quartier et des militants associatifs, les 18 adolescents âgés de 13 à 17 ans décident de porter plainte collectivement pour violences aggravées sur mineur. Et si l’affaire est emblématique du clivage grandissant entre forces de l’ordre et ce ceux qu’on appelle les « jeunes de quartiers » c’est bien parce qu’elle est la première à se frayer un chemin dans les couloirs des tribunaux – lors du procès en février 2018, le juge, faute de preuves, ne reconnaîtra que trois faits sur les 44 dénoncés.
“Plus il y a de gardes à vue, mieux c’est”
Délaissant les images tapageuses et sensationnalistes fréquemment utilisées pour ce type de sujet, le réalisateur Marc Ball place la parole au cœur de son film. Celle nerveuse et blessée des jeunes du XIIème d’abord, rejouant devant la caméra l’agression qu’ils ont subi comme pour mieux l’exorciser, celle bienveillante et préventive des animateurs du collectif Place aux jeunes qui oeuvre à « un rapprochement entre la police et les jeunes » afin que « les policiers comprennent que ça n’est pas parce que l’on est noir, arabe, jeune homme et que l’on vit dans un quartier populaire qu’on est forcément un délinquant en puissance » et que, de leur côté, les jeunes acceptent l’idée « que dans la police, il n’y pas que des fachos et des racistes » mais aussi celle plus virulente des habitants du quartier se plaignant du bruit. C’est également aux policiers qui n’en peuvent plus de cette situation que le film donne la parole, ces invisibles, comme les qualifie avec justesse Erik Blondin, ancien flic fortement engagé, dont le combat acharné contre les abus de pouvoir de certains collègues l’aura mené de l’hôpital au tribunal avant de finir gardien de la paix « sans un grade, sans rien ». Pour Jules, cet officier de police judiciaire sorti d’un burn-out et dont on ne verra jamais le visage, la discorde entre flics et jeunes est intimement liée à la dégradation des conditions de travail des policiers : « On préfère mettre dix consommateurs en garde à vue plutôt que prendre le temps interpeller un vendeur. C’est plus rentable en terme de statistiques, en terme de politique du chiffre. Plus il y a de gardes à vue, mieux c’est »
C’est grâce à cet échange perpétuel entre les différents camps, entre les différents protagonistes, grâce à cette libre circulation de la parole naviguant entre l’intérieur d’un tribunal ou d’un commissariat, entre l’extérieur des rues d’Argenteuil où certains gamins, comme ceux du XIIe arrondissement de Paris, subissent quotidiennement un harcèlement policier et celles enneigées de Paris où, en mars 2018, a lieu une manifestation contre les violences policières, que Police, violence illégitime trouve son juste équilibre, dépassant son étiquette de « film d’enquête » pour éclairer d’un regard sensible, les mécanismes de la violence sociale.
Police, illégitime violence, un film écrit et réalisé par Marc Ball (52min), ce soir à 23h50 sur France 3
{"type":"Banniere-Basse"}