Très attendu, le nouveau double épisode de la saga vidéoludique qui a donné naissance en un peu plus de vingt ans à la franchise médiatique la plus lucrative de tous les temps apporte de réelles nouveautés, mais ces « Pokémon Epée » et « Bouclier » ne bouleversent pas pour autant l’expérience de jeu. Faut-il s’en réjouir ou le regretter ? Et aussi : deux variations irrésistibles sur les principes très à la mode du « Rogue-like » : « Sparklite » et « Children of Morta ».
On aurait dû s’en douter. Vingt ans après son arrivée en France et près de trente après la naissance du projet au sein d’un tout jeune studio de développement japonais du nom de Game Freak, le passé même de la série l’annonçait. « L’évolution de Pokémon s’inscrit dans la durée, créant ainsi une continuité entre les épisodes, écrivent Alvin Haddadène et Loup Lassinat-Foubert dans leur impressionnante somme Générations Pokémon dont une version augmentée vient de paraître chez Third Editions. Une continuité nécessaire, puisque l’on retrouve dans chaque nouvel épisode d’anciennes créatures (…) Le gameplay n’est donc retouché qu’avec parcimonie, dans l’unique but de l’améliorer ou de l’équilibrer : l’objectif n’a jamais été de proposer une aventure différente, mais bien d’offrir un jeu Pokémon qui a tout de la « recette Pokémon ». On retrouve donc chaque fois le même concept, mais poussé toujours un peu plus loin, et fonctionnant toujours un peu mieux. » A la limite, on aurait pu s’arrêter. Au revoir, amis dresseurs de monstres de poches, prenez bien soin de votre Pyrobut, votre Lézargus ou votre Gorythmic et rendez-vous au prochain épisode dans trois ou quatre ans. Sauf que pas tout à fait.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pulsion
Dans la désormais longue histoire de la série officiellement devenue la « franchise » la plus lucrative de toute la culture pop (loin devant Star Wars, l’univers Marvel ou Harry Potter), le diptyque Pokémon Epée / Pokémon Bouclier faisait a priori exception pour au moins une raison : c’est la toute première fois qu’un nouveau volet à part entière – hors spin-offs, donc – est développé pour une console de salon. Mais la Switch est aussi une portable, se récrieront certains. C’est vrai : une portable et une machine de salon, une console hybride. C’est peut-être pour cela qu’Epée / Bouclier se révèle un Pokémon à la fois novateur et conservateur et qui, à vouloir jouer sur les deux tableaux, a tendance à ne pas aller au bout de ses idées.
Côté pile, le joueur se trouve ici en terrain largement connu. Il commence par choisir son premier compagnon parmi trois bestioles (de types eau, plante et feu) puis part à l’aventure sur les routes d’un monde pas si différent du nôtre (et, cette fois, très librement inspiré du Royaume-Uni) pour aller défier huit « champions d’arène » sans oublier en chemin de capturer et d’entraîner les pittoresques petits monstres aux noms rigolos (et toujours merveilleusement adaptés en français) qui combattront pour nous. « Attrapez-les tous ! » nous ordonnait-on jadis, et la pulsion n’a pas disparu : le plaisir de collectionner ces petites et grosses bêtes découlant directement de la passion enfantine Satoshi Tajiri, le père de la saga, pour la chasse aux insectes est toujours bien là.
Libération
Côté face, les plus ou moins grandes nouveautés ne manquent pas. On peut citer la possibilité étrangement plaisante de faire une petite pause camping avec nos monstres. On les appelle, on leur agite des jouets devant le nez dans un rapport frontal se situant quelque part entre Nintendogs et Pokémon Go. Et puis on leur prépare un bon « curry de steak haché ». Ils aiment. Ils gagnent quelques points d’expérience qui les rapprochent doucement de leur prochaine évolution. Cool. N’oublions pas non plus le Dynamax : dans certaines situations, nos Pokémon peuvent soudain devenir beaucoup plus grands et plus puissants, gagnant du même coup un avantage potentiellement décisif en cours de combat.
Mais le troisième gros ajout de Pokémon Epée et Bouclier – il y en a aussi de plus discrets – est celui qui frappe le plus, à la fois pour ce qu’il rend possible et pour sa manière étrange de s’arrêter en chemin. En dehors des villes, en marge même des routes qui figurent sur notre carte existent désormais de (relativement) vastes zones désignées sous le nom de Terres sauvages. Lorsqu’on y pénètre, beaucoup de choses changent, à commencer par la manière dont s’appréhende l’espace. Soudain, nous voilà autorisés à déplacer nous-mêmes la caméra autant qu’on le souhaite au cours de nos déplacements ou pour regarder autour de nous en manipulant le stick droit de la manette alors que, le reste du temps, l’angle de vue nous est toujours imposé, comme dans les épisodes GameBoy ou DS en 2D. C’est une libération. Quitter ces Terres sauvages (malheureusement assez vides) ne s’en révèle que plus frustrant.
Compagnons
On ne serait pas surpris que, selon la logique des petits pas qui semble régir depuis toujours la saga, lesdites Terres sauvages s’étendent un peu plus dans les prochains Pokémon, voire que le mode de contrôle qui y a cours gagne du terrain dans le reste du monde. En attendant, il est difficile de ne pas regretter que les développeurs n’aient pas osé aller plus loin et, à l’image de ceux de Zelda avec Breath of the Wild, fait passer Pokémon dans une nouvelle dimension en lâchant enfin la bride au joueur au lieu de lui offrir seulement cette cour de récréation dont l’existence même vient nourrir, ailleurs, la frustration.
Cela ne fait pas pour autant de ce Pokémon Epée / Bouclier plus direct et resserré que la plupart des épisodes précédents un mauvais jeu, loin de là. A vrai dire, c’est donc toujours à peu de chose près le même (très bon) jeu, avec cet équilibre précieux entre le voyage organisé et l’incitation à l’expérimentation (notamment au cours des combats, lorsqu’il faut choisir lequel de nos Pokémon appeler et quel type d’attaque lui faire réaliser), avec cette valorisation de l’apprentissage et du savoir (et cette transformation progressive du joueur qui s’en rend à peine compte en un puits de science pokémonienne). Et puis la qualité d’écriture, notamment de certains personnages secondaires, se révèle globalement en hausse. Et enfin, même si on a déjà vu beaucoup plus impressionnant sur la Switch, il est toujours plaisant de découvrir joliment dessinés sur un grand écran, un peu changés mais pas trop, différents mais familiers, ces drôles de monstres de poche, nos vieux compagnons. La politique des petits pas a aussi du bon.
Pokémon Epée / Pokémon Bouclier (Game Freak / Nintendo), sur Switch, de 45 à 60€
Générations Pokémon d’Alvin Haddadène et Loup Lassinat-Foubert (Third Editions), 352 pages, 29,90€
Et aussi :
Sparklite
Repartir sans relâche à l’assaut de niveaux toujours différents car générés aléatoirement par le programme. Voilà, pour aller vite, ce que nous propose le « Rogue-like« , style de jeu très à la mode depuis quelques années, notamment chez les développeurs indés. Sparklite du studio nord-carolinien Red Blue Games fait de ce principe mi-usant mi-entêtant le moteur d’une joyeuse aventure ouvertement inspirée de la saga Zelda et trouve un équilibre très convaincant entre progression (de l’histoire, du monde qui croit et se développe…) et répétition. Le résultat est tout à fait charmant.
Sur Switch, PS4, Xbox One, PC (Windows) et Mac, (Red Blue Games / Merge), environ 25€
Children of Morta
« Rogue-like » encore avec Children of Morta, mais cette fois dans un esprit sombre et nerveux plus proche de celui des hack’n’ slash occidentaux à la Diablo. Mais l’œuvre du studio texan Dead Mage se distingue d’abord par son pixel art très pictural et, surtout, son récit envoûtant centré sur le destin d’une famille bien décidée à résister aux armées monstrueuses d’un dieu corrompu. Si l’action se révèle parfois assez confuse, son art de la mise en scène et son sens du drame distinguent cet étonnant Children of Morta.
Sur Switch, PS4, Xbox One, PC (Windows) et Mac, (Dead Mage / 11 bit studios), environ 22€
{"type":"Banniere-Basse"}