Depuis son lancement, l’application de réalité augmentée « Pokémon Go » bat des records de téléchargements et tourne au phénomène de société. Mais la sensation de saison est aussi un jeu génial qui ouvre de formidables perspectives pour l’avenir.
Le 6 juillet, presque par surprise, les monstres ont pris possession de la ville. Officiellement disponible en Australie, en Nouvelle-Zélande et depuis peu aux Etats-Unis mais téléchargeable ailleurs, y compris en France, à condition de ruser un peu, l’application Pokémon Go est le phénomène vidéoludique du moment.
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Moins d’une semaine après son lancement et malgré son côté intrusif, les chasseurs de Pokémons virtuels égalaient déjà en nombre, voire dépassaient, les utilisateurs de Tinder ou même de Twitter alors que l’action de Nintendo, qui détient 33% de The Pokémon Company, flambait à la bourse de Tokyo, confortant au passage la stratégie de la maison Mario de se convertir au jeu sur mobile. Nintendo détient d’ailleurs aussi des parts dans Niantic, l’ex-filiale de Google qui, s’appuyant sur le succès d’Ingress, sa précédente incursion ludique dans la réalité augmentée, a conçu le jeu qui, aux Inrocks et ailleurs, rend tout le monde fou. Et en qui on aurait tort de ne voir qu’une sensation de saison car esthétiquement, philosophiquement même, Pokémon Go est un truc important.
Le cœur du jeu, directement repris des Pokémon tournant sur GameBoy ou DS, c’est la capture de monstres. Mais, cette fois, ces derniers ne sont pas censés vivre dans un autre monde – celui qui s’affiche sur la console – mais dans le nôtre grâce à l’utilisation conjointe du GPS de notre téléphone (iPhone ou Android) et de son appareil photo. L’affaire se noue en deux temps. D’abord, le joueur déambule dans la ville (ou la forêt mais, dans ce Pokémon-là à l’inverse des précédents, les créatures sont surtout urbaines). Et soudain, un Pokémon apparaît sur le plan du quartier dérivé de Google Maps qui s’affiche sur le smartphone. Ce dernier passe alors en mode appareil photo et ajoute l’image du petit monstre sur celle des lieux où l’on se trouve, rendant du même coup envisageables plein de captures d’écran cocasses – les réseaux sociaux en regorgent déjà.
Un lancer de Pokéball – pas toujours évident – via l’écran tactile plus tard, le Ptitard, le Mimitoss ou le Rondoudou rejoint notre troupeau que, selon la coutume, on s’attachera à faire évoluer avant de lancer nos fauves dans des combats pour prendre possession d’une « arène », c’est-à-dire d’un point stratégique de la zone géographique. Fébrilité du geste, excitation de l’événement : la fièvre découle du sentiment que tout ça se passe ici et maintenant.
Au fil de ses captures, le joueur, via son alter ego dresseur, voit son « niveau » augmenter et rencontre des Pokémons de plus en plus variés. Les autres fonctions disponibles, comme la possibilité de faire incuber des œufs (dont l’éclosion dépendra du nombre de kilomètres parcourus avec l’application ouverte), sont encore limitées. Mais Niantic, pour l’instant concentré sur les problèmes de serveurs qui retardent le lancement mondial (et notamment européen) de l’application, en promet de nouvelles pour bientôt avec, en particulier, la possibilité d’effectuer des échanges de Pokémons entre joueurs.
L’idée fondatrice du jeu, c’est que les créatures sont parmi nous. Là où les casques de réalité virtuelle remplacent ce qui nous entoure par autre chose en maintenant notre regard captif, la réalité augmentée, elle, ajoute à notre monde une surcouche graphique, comme un filtre (ou un philtre, évidemment d’amour ?) qui le rend plus excitant. Qui le ré-enchante, en somme, parce qu’affirmer qu’il y a plus autour de nous que ce que nos yeux peuvent voir, ce n’est déjà pas rien. Pokémon Go, c’est l’aventure au coin de la rue et le fantastique de proximité, soit la quasi-réalisation du fantasme originel du joueur de Pokémon, mais pas seulement.
C’est aussi un jeu ouvert sur le monde grâce en particulier à sa transformation de points d’intérêt locaux (une statue, une fresque sur un mur, un bâtiment historique ou culturel…) en Pokéstops où le joueur pourra refaire le plein de Pokéballs et d’accessoires. Les petites notules touristiques qui s’affichent lorsqu’on les découvre ont moins d’importance en elles-mêmes que le geste qui consiste à nous les montrer. Non content de « compléter » notre monde, Pokémon Go affirme ainsi implicitement qu’il est déjà, à la base, beau et intéressant. Et invite à l’examiner en détail tout en le parcourant. Derrière le jeu-gadget accrocheur, une école du regard. Pokémon Go entend faire de nous des promeneurs aux yeux grand ouverts. Peut-on imaginer programme plus audacieux, plus à contre-courant de l’époque, même ?
Si Pokémon Go enthousiasme tant, c’est aussi parce que la manière dont il fait basculer dans le mainstream des principes que d’autres titres, chez Niantic ou ailleurs, avaient défrichés avant lui, est une belle promesse pour l’avenir. Loin des casques onéreux comme l’Hololens de Microsoft, il démontre la viabilité (technique, économique, culturelle) d’une réalité augmentée modeste et (relativement) accessible, proche de nos cœurs et de nos yeux. Aux artistes du game design d’inventer à présent les grands jeux d’apparition et de commentaire sur le réel, les jeux de transformation urbaine et de spectres poétiques dont on rêve pour demain. Une voie enthousiasmante est ouverte. Avec plein de Pokémons autour, ce qui ne gâte rien.
Pokémon Go (Niantic / The Pokémon Company), sur iOS et Android, free to play
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