Rapide et instantané, le site de pétitions en ligne Change.org, lancé en version française en mai 2012, a très vite séduit une nouvelle génération de citoyens bien décidés à peser dans le débat public.
Il est loin le temps où le site Change.org, fondé aux Etats-Unis, n’était qu’un simple fil d’actualité. C’est sous la pression de sa communauté d’utilisateurs que la plateforme internationale se transformera en 2010 en un « outil d’expression et d’engagement citoyen » avant de prendre ses quartiers dans quelque 20 autres pays, comme l’explique Benjamin Des Gachons, directeur France de Change.org. En France, c’est 7 millions d’utilisateurs actifs, 1 000 nouvelles pétitions créées chaque mois et parmi toutes celles lancées, 70 ont déjà reçu plus de 100 000 signatures.
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Une plateforme populaire
Même si ces pétitions, qui ne rencontrent pas toutes le succès escompté, n’ont pas de valeur contraignante légale, certains de leurs instigateurs peuvent s’enorgueillir d’avoir faire plier l’exécutif. C’est le cas notamment de Carole Arribat et Karine Plassard qui ont réussi à obtenir la grâce présidentielle de Jacqueline Sauvage après avoir rassemblé plus de 435 000 signatures.
Le choix de la plateforme s’est fait naturellement. Il s’avère que Carole avait déjà signé une pétition sur le site tandis que Karine en avait quant à elle déjà lancé une précédemment. Même si les deux femmes parlent de hasard, elles vantent la facilité et la rapidité de l’outil qui transcende les particularités. Même son de cloche du côté de la militante féministe Caroline de Haas, à l’origine de la pétition contre la loi El Khomri, qui a battu tous les records sur le site avec à ce jour plus de 1,3 million de signatures. « On a fait un choix stratégique. La pétition de Change.org est la plus efficace et la plus virale. Il faut deux secondes pour la signer et c’est facile à relayer sur les réseaux sociaux ». Pour autant, Karine estime que cette facilité d’exécution ne doit pas nuire à l’action en elle-même, jugeant que « trop de pétitions tue la pétition ».
Pour accompagner au mieux les pétitionnaires et les aider à gagner en visibilité, de nombreux outils ont été mis à leur disposition, notamment un guide du lobbying citoyen. Cette entreprise sociale, car oui ça reste une entreprise qui gagne de l’argent notamment grâce au sponsoring, a donc su se singulariser grâce à cette dynamique de ses potentiels concurrents tels que Avaaz, « moins rapide et marqué idéologiquement » selon Caroline de Haas.
« Pas une potion magique »
Quoiqu’il en soit, la e-pétition qui a su trouver sa place en France grâce à la conjonction d’une évolution technologique et démocratique, accéléré par un climat contestataire ambiant, « n’est pas pour autant une potion magique », confie Caroline De Haas. Ce levier d’action, largement favorisé par l’indignation permanente des réseaux sociaux, est le premier outil du rapport de force complémentaire aux médias, qui permettent le débat public, ainsi qu’aux manifestations.
« Les médias se sont emparés de la pétition, explique Karine, mais il faut aussi savoir mobiliser. On est descendus dans la rue le 12 décembre, puis le 23 janvier. » « Sans ça, ça n’aurait peut être pas marché pour Jacqueline Sauvage », renchérit Carole. Quant au politologue Olivier Rouquan, il rappelle que tout cet écosystème « ne se substitut en rien au débat représentatif mais l’enrichit et interagit ».
Sécuriser l’espace
Cet outil qui donne donc une première impulsion doit toutefois faire l’objet d’une vigilance accrue, comme le rappelle le politologue Olivier Rouquan :
« Le web n’est qu’un outil, en rien une doctrine et encore moins une philosophie (…) La faculté d’expression ne garantit en rien les valeurs républicaines et la démocratie. C’est pourquoi, même si contrôler les moyens d’expression instantané et numérique reste toujours un épineux problème, il est essentiel de fixer les règles du jeu afin que ces outils rentrent dans le cadre du pacte républicain ».
Pour l’intérêt même de ces plateformes, Olivier Rouquan suggère donc une totale transparence sur le recueil des signatures ainsi qu’une très forte sécurisation de l’information par la vérification des webmasters. « Certains présentent le web comme quelque chose d’automatiquement démocratique sauf que Internet peut servir aussi un totalitarisme soft », rappelle-t-il.
« On ne relit pas toutes les pétitions »
De son côté, Benjamin des Gachons indique que Change.org est une plateforme ouverte sur laquelle chaque utilisateur est responsable du contenu qu’il publie. « On ne relit pas toutes les pétitions publiées. On est simplement amené à modérer a posteriori les pétitions que nous repérons ou que nos utilisateurs nous signalent comme étant en violation de nos termes d’utilisation qui excluent tout discours raciste, haineux ou illégal. Cela signifie que vous verrez sur Change.org des pétitions défendant parfois des valeurs et points de vue opposés, dans les limites fixées par ces termes d’utilisation ».
Reste à savoir si ces e-pétitions, au gré de l’évolution digitale, continueront à être plébiscitées dans les jours, les mois ou les années qui viennent. Quoiqu’il en soit, jusqu’à présent, seul un petit nombre de politiques a pris le pouls des citoyens en se créant un profil de décideurs sur Change.org à l’instar de la ministre de l’Education Najat Vallaud Belkacem ou du maire de Paris Anne Hidalgo. Une bonne initiative dont tous les politiques, qui pour beaucoup usitent « un digital instrumental et non cognitif », selon le sociologue Alain Mergier, doivent se saisir s’ils veulent participer au renouveau de la démocratie.
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