Sandrine Rousseau, porte-parole nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) est l’une des huit élues à avoir rapporté des faits d’agressions et de harcèlements sexuels attribués à Denis Baupin. Alors que l’élu a démissionné de la vice-présidence de l’Assemblée nationale, mais nie en bloc ces accusations, Sandrine Rousseau nous raconte cette journée d’octobre 2011, et l’omerta qui règne sur le monde politique.
Comment vivez-vous cette journée ?
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Sandrine Rousseau – Je ne m’attendais pas à un tel raffut. Hier soir je me disais même que ça allait tomber dans l’oubli et je me demandais comment on allait faire ! Il y a un an, des femmes journalistes politiques révélaient dans une tribune que tous les partis étaient concernés par des agressions, des harcèlements sexuels avec des faits précis à l’appui, et il ne s’était rien passé.
Comment expliquer cette évolution ?
C’est la première fois que huit femmes disent ensemble qu’il s’est passé quelque chose avec une même personne… Ce n’est pas la parole de l’une contre l’autre, qui va paraître bien sage dans son beau costume avec sa belle cravate. Il y a dans notre cas un effet de masse. Je pense que ça va faire date dans l’histoire de la politique.
Que s’est-il passé avec Denis Baupin vous concernant ?
C’était en octobre 2011. J’animais une réunion programmatique. J’étais à la tribune avec trois ou quatre personnes. Je me suis rendue aux toilettes à un moment donné, et il m’attendait dans le couloir qui longeait la salle. Il m’a plaquée contre le mur par la poitrine et a essayé de m’embrasser. Je l’ai repoussé violemment, mais j’étais très surprise. J’étais en pleine réunion… C’était aberrant. Je suis revenue à la tribune, et j’ai essayé de garder bonne figure. J’en ai parlé tout de même à la personne qui était alors à côté de moi car je me sentais mal. Et la personne m’a répondu : « Ah c’est pas vrai, il a recommencé… » Il était membre de la direction du parti. Ça m’a donné l’impression qu’il y avait eu un passif mais que j’étais désormais seule dans ce cas-là. Alors qu’il y avait beaucoup de femmes…
On a le sentiment d’une véritable omerta chez EE-LV…
Partout ! Sapin qui claque le string d’une nana et il y a zéro réaction ! Des femmes journalistes politiques publient une tribune qui concernent tous les partis et pointent des faits concrets et rien ne se passe, personne ne réagit. C’est la loi du silence. En 2015 lors d’un conseil fédéral de EE-LV, la présidente de la commission Féminisme est montée à la tribune pour expliquer qu’il y avait des cas de harcèlement dans notre parti et que nous devions prendre des mesures. Elle a été sifflée. Emmanuelle Cosse [ministre du logement, ex-secrétaire générale d’EE-LV et épouse de Denis Baupin, ndlr] est intervenue pour interrompre la discussion. Nous nous sommes alors réunis en bureau exécutif, mais la même chose s’est produite. On a mis en place une adresse mail anonyme de signalements et c’est tout. Personne n’en a parlé, aucun journaliste…
Vous pensez qu’Emmanuelle Cosse souhaitait délibérément éviter le sujet ?
Je ne veux surtout pas parler d’elle car je ne veux pas qu’à la fin ça retombe sur elle ! Je ne veux pas qu’on en vienne à se demander pourquoi elle s’est tue, alors que c’est son mec qui a fait les pires trucs… C’est à chaque fois sur les femmes que ça retombe. A la fin, ça va même être Cosse, Duflot et moi qui allons nous retrouver ciblées, et Baupin qui va s’en sortir.
Denis Baupin a quitté EE-LV en avril dernier. Y avait-il un rapport avec vos révélations ?
Il est parti au moment où il a fait envoyer une lettre par ses avocats aux journalistes pour demander à ce qu’ils ne publient pas l’article. Il l’avait appris par des fuites.
Les internautes ont fait remonter des tweets de Denis Baupin dans lesquels il pourfendait le harcèlement sexuel et le sexisme, comment l’expliquez-vous ?
C’est de la schizophrénie, ou du déni. Je n’explique pas la psychologie de Baupin et ça ne m’intéresse pas. Mais les agresseurs sexuels sont souvent les premiers à dire que la fille avait donné des signaux, que jamais ils n’auraient fait ça sinon…
Pourquoi ne pas avoir révélé cette agression plus tôt ?
J’arrivais à la direction. C’était difficile de dire que je portais plainte contre un autre membre éminent du parti. Il faut comprendre que c’est très difficile ce genre de situation, surtout que c’est parole contre parole. Là ce qui change la donne c’est qu’on est huit contre un.
Vous vous connaissiez toutes avant de témoigner ?
Non, je connaissais seulement Elen Debost [adjointe à la jeunesse EELV de la mairie du Mans depuis deux ans, ndlr]. C’est nous deux qui avons lancé l’affaire. Le 8 mars dernier [journée internationale de la lutte pour les droits des femmes, ndlr] Denis Baupin a partagé une photo de lui avec du rouge à lèvres [mobilisation destinée aux hommes invités à se mettre du rouge à lèvres pour marquer leur soutien à la lutte pour l’égalité…. ndlr]. On s’est toutes les deux senties agressées. Or, il se trouve que nous avons un ami commun et qu’on avait chacune parlé de nos agressions à cet ami, qui nous a alors conseillé de nous parler. C’est comme ça que c’est arrivé. J’ai rencontré une des personnes anonymes par la suite, parce qu’on voulait envisager la suite, mais je ne la connaissais pas avant. Je ne sais pas qui sont ces femmes en vérité.
Avez-vous envisagé de témoigner vous aussi sous couvert d’anonymat?
Ça aurait été irresponsable. J’ai aussi parlé car je me disais que mon silence était une forme de complicité et mettait en danger d’autres femmes. Or, si moi en tant que porte-parole de ce parti avec tout le poids politique que ça peut avoir, je ne mets pas mon nom dans la balance, le témoignage n’aurait plus été à la hauteur des enjeux. Après, ça n’empêche pas la trouille. Ça n’a pas été simple de témoigner…
En mars 2015, vous publiiez un « Manuel de survie à destination des femmes en politique« , aviez-vous pensé parler de votre agression dans ce livre ?
J’ai écrit ce livre pour ça. Sauf que je n’ai pas réussi à la révéler. J’ai eu peur des procès en diffamation. Ceci dit, je n’en ai même pas parlé à mon éditeur. Quand je l’ai appelé aujourd’hui, il m’a confié qu’il avait bien senti que j’avais quelque chose à dire mais que je n’y arrivais pas. Mais voilà, c’était à moi seule de le faire…
Diriez-vous que la sphère politique est un terreau propice au sexisme, voire aux agressions sexuelles ?
Je pense qu’il y a une impunité des hommes politiques, et qu’il y a un manque de hiérarchie dans les partis. Il n’y a pas de chef apte à prendre une sanction. On l’a vu avec Strauss-Kahn : il a fallu aller au bout du bout pour qu’il tombe. Très souvent, les hommes qui agressent sont en situation de pouvoir, ce sont rarement les militants de base.
Quelles solutions peut-on envisager pour lutter plus efficacement contre ces comportements ?
Il faut que les femmes parlent. Plus on sortira de cas individuels, plus on comprendra que ce sont aussi les institutions telles qu’elles sont qui les génèrent. Quand on voit qu’il y a une femme sur 10 qui porte plainte pour agression sexuelle aujourd’hui, ça veut dire qu’on a un problème avec ça… Je pense qu’un des problèmes vient du fait que ce n’est même pas simple pour les femmes de caractériser une agression comme telle. Quand on entend que toutes les femmes qui utilisent les transports en commun ont une fois dans leur vie été victimes d’un geste déplacé, ou d’une agression sexuelle…
Pourquoi les femmes ne parlent-elles pas d’après vous ?
C’est parole contre parole, et beaucoup de plaintes sont classées. Et c’est toujours nous les femmes qui sommes l’objet des questions. Quand quelqu’un se fait arracher son sac, on ne lui demande pas directement « pourquoi portiez-vous votre sac comme ça ?! » Quand on dénonce un fait de harcèlement ou une agression sexuelle, on se montre suspicieux, on nous demande « pourquoi vous êtes vous comporté comme ça ? » et « pourquoi n’avez-vous pas parlé directement ?«
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