Trois plaintes pour harcèlement, deux tentatives de suicide, des salariés en attente de reclassement depuis des années… Le conseil général de Seine-Saint-Denis a quelques difficultés à gérer ses nombreuses réorganisations internes.
Au départ, il y a une simple interrogation sur une signature numérique apposée au bas d’un arrêté du Conseil général de Seine-Saint-Denis. A l’arrivée, une tentative de suicide d’une salariée. Cet été, avec une autre collègue, elles ont déposé plainte contre X pour harcèlement moral. Toutes deux réclament des sanctions contre quatre cadres qui leur ont mené la vie dure.
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Derrière cette affaire, on entrevoit une gestion chaotique de certains personnels au sein du Conseil général dirigé par le socialiste Claude Bartolone. Conséquence, selon deux rapports internes, de réorganisations difficiles. Concrètement, des salariés – entre 20 et 40 avançait le Canard enchaîné en 2010 – demeurent depuis des années chez eux, payés à ne rien faire en attendant un reclassement.
Signature déléguée numériquement
Depuis son refus de changer de poste, Michèle Fourier, gestionnaire des accidents du travail, se voyait sans cesse adresser des reproches par sa supérieure. Cette dernière exigea de collègues de Michèle Fourier qu’elles signent une attestation déclarant son incompétence, ce qu’elles refuseront toutes. Un matin, Michèle Fourier découvre que son armoire a été vidée de ses dossiers, un autre jour elle trouve quelqu’un installé à son bureau. L’employée a déposé plainte contre X pour harcèlement moral, elle est depuis en arrêt maladie pour dépression.
Dans le même bureau, Isabelle Ferreira, employée aux frais de déplacement, commençait à être vue d’un mauvais œil pour avoir pris la défense de sa collègue face à sa supérieure. Un jour, on vient trouver Isabelle Ferreira pour lui reprocher d’avoir imité la signature de cette même supérieure hiérarchique sur un arrêté. L’employé s’étonne. Elle reconnait avoir utilisé une signature numérique de sa supérieure, mais rappelle qu’il s’agit simplement d’une pratique mise en place en concertation avec cette dernière, pour gagner du temps. Sa supérieure dément.
Isabelle Ferreira est fragile et handicapée. En 2007, un médecin du travail préconisait sur un certificat de lui éviter toute situation stressante. Le 26 octobre 2009, ne supportant plus les pressions exercées sur elle, Isabelle Ferreira tente de se suicider, enfermée dans son bureau. Une mission d’information et d’expertise est mise en place par le Comité d »hygiène et de sécurité et épingle sévèrement la « mauvaise organisation » du service, le turnover permanent de l’encadrement et qualifie clairement cette tentative de suicide comme un « accident de service ».
L’enquête administrative dresse pourtant un étrange bilan de l’affaire: personne n’a commis aucune faute. Ni la supérieure, ni Isabelle Ferreira. En ce qui concerne au moins l’affaire de la signature numérique, il n’était pourtant pas très compliqué de vérifier que la supérieure était informée. L’opération de scan a en effet été réalisée par l’informaticien du service, qui le certifie aux Inrocks :
« Oui, j’ai bien numérisé la signature de cette personne, en sa présence, et en la présence de madame Ferreira. »
Aujourd’hui, Philippe Yvin, directeur général des services du département, explique que la signature numérique était « un épiphénomène » :
« L’essentiel n’était pas là. Madame Ferreira n’avait pas commis de faute, en revanche la gestion inadéquate de sa personne par la hiérarchie nous a conduit à nous séparer des personnes concernées. »
La mutation des quatre cadres concernés par l’affaire est donc une sanction qui ne dit pas son nom. « Ça voulait dire ça« , reconnait aujourd’hui Philippe Yvin. Mais Isabelle Ferreira et Micheline Fourier désirent toujours un blâme officiel, elles ont donc déposé une plainte conte X visant quatre anciens supérieurs.
Jointe par téléphone dans son nouveau Conseil général, la supérieure incriminée « ne veut communiquer sur aucune information« . Son avocat nous précise que sa cliente a déposé une plainte en diffamation qui a débouché sur la mise en examen de madame Ferreira et de Pascal Brun, le syndicaliste de la CFTC qui l’appuie depuis le début.
Payés à rester chez eux
Après cette affaire, Isabelle Ferreira n’a plus eu de bureau pendant plusieurs mois. Elle est payée à rester chez elle. Outrée, elle entame une grève de la faim dans le hall d’entrée du Conseil général afin d’obtenir des sanctions et la protection fonctionnelle, c’est-à-dire la prise en charge des frais de procédure par son administration. Au bout d’une journée à peine, cette demande est acceptée.
D’autres salariés du Conseil général n’ont pas fait autant de bruit autour de leur « détachement permanent ». Le seul syndicat CFTC dénombre actuellement plus d’une dizaine de personnes qui seraient dans un placard. L’une d’elles, que nous avons contactée, est, depuis un arrêt maladie vieux de deux ans et demi, payée à rester chez elle, en attente d’un poste adéquate. Un membre d’un autre syndicat, souhaitant garder l’anonymat, confirme qu’il existe « un réel problème avec la gestion du personnel« . Selon lui, la situation s’améliore toutefois tout doucement.
Pas langue de bois, Philippe Yvin reconnait qu’il y a toujours un certain nombre de personnes en reclassement, d’ailleurs « on en a un peu plus en ce moment« . Il explique ce phénomène par les conséquences du transfert vers les départements, il y a quatre ans, des compétences étatiques sur les collèges, et du personnel qui va avec.
« Ce personnel n’est pas facile à reclasser car il souffre d’une certaine usure et de problèmes de santé à cause du travail physique qu’il fait. Et pour tout vous dire, l’Etat ne s’occupait pas vraiment d’eux auparavant. »
Après vérification, la plupart des personnes contactées et en attente de reclassement travaillaient effectivement dans des collèges.
Si seul dans son bureau
En novembre 2010, dans un article intitulé Le paria du conseil général (du 93), le Canard enchaîné pointait, pour la deuxième fois en un an, la situation d’Alain, informaticien s’étant retrouvé du jour au lendemain seul, dans un grand bureau de 50 mètres carrés. Plus de téléphone, plus de connexion Internet, désactivation de son badge d’entrée, tentatives infructueuses de le placer en congé maladie,… « Heureusement que c’est un Conseil général de gauche« , ironisait la caricature du Canard représentant un homme assis, seul, dans l’angle d’une grande pièce vide. Alain déposait alors une plainte contre Claude Bartolone pour « harcèlement ».
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Nous avons retrouvé Alain. Au début 2011, après une proposition de poste dans le service avec lequel il était en conflit, Alain a fait une tentative de suicide dans son bureau. « C’était exactement comme jeter une proie au loup« , métaphorise-t-il. Depuis , il s’est vu payer une formation de deux ans, pour un master en développement durable à la Sorbonne. Mais sa plainte contre Claude Bartolone court toujours.
« Je n’ai rien contre lui, à part qu’il a toujours refusé de me rencontrer, je l’assigne car il est directeur du personnel. Mais ceux qui m’ont isolé autant de temps dans un bureau devront payer ça devant la justice. »
L’un des supérieurs visé par Alain était le même que celui désigné par les plaintes d’Isabelle Ferreira et Michèle Fourier. Il n’a jamais été sanctionné, juste muté.
Geoffrey Le Guilcher
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