Au centre de la place Tahrir du Caire, ils sont quelques centaines d’irréductibles pacifistes à camper afin que la révolution populaire ne soit pas confisquée par les anciens du régime ou les Frères musulmans. Notre reporter a partagé le quotidien de cette République libre d’Egypte.
En ce 8 mars, journée de la femme, la place Tahrir a été investie par des dizaines de milliers de femmes, voilées ou non. Tout de suite après la manifestation, Nehad Abu Elkomsan, avocate et présidente du Centre égyptien pour le droit des femmes, a tenu personnellement à rencontrer les membres du Conseil et à visiter le campement.
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«Nous sommes venues pour saluer nos martyrs de la révolution et rappeler que la femme ne doit pas être oubliée dans cette transition démocratique. Nous avons constaté qu’il n’y a aucune femme dans le nouveau gouvernement. On ne peut pas parler de démocratie sans participation des femmes à différents niveaux du pouvoir alors qu’elles sont le pivot de la société égyptienne. C’est une question nationale et pas seulement de genre!»
Pas évident à faire accepter, car la société égyptienne, qui compte 25 millions d’illettrés, est encore marquée par un conservatisme coutumier.
«Mais ne nous y trompons pas, la question des femme est une question de transformation culturelle et non d’idéologie. La preuve, c’est que les Frères Musulmans, réputés pourtant conservateurs, sont plus ouverts sur cette question que les partis libéraux!»
Ce même matin, les Frères se sont rassemblés devant le palais du gouvernement pour demander la libération de leurs 27 militants arrêtés l’autre soir devant l’édifice de la Sureté Nationale, tandis que les «soeurs» participaient massivement à la manif des femmes. La fin de cette journée fut particulièrement tendue à Tahrir Square. Des groupes de dizaines de personnes (les baltagui) ont manifesté une hostilité inquiétante à l’égard des occupants de la place, faisant monter la tension d’un cran.
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J’ai compris que je devenais un témoin gênant
Les agressions se sont multipliées, y compris contre moi-même. J’ai alors compris que je devenais un témoin gênant… On cherchait à m’éloigner. Alors que je recueillais un témoignage, un groupe hostile m’a entouré et les menaces ont fusé. Un homme habillé de noir m’a alors dégagée, emmenée dans la tente des réunions et finalement fait venir la police militaire… officiellement pour me protéger.
J’ai quitté le camps encadrée par des militaires. Ce qui n’a pas empêché une foule excitée par je ne sais qui de nous suivre. Arrivée au poste militaire du Musée du Caire, qui fait office de QG, j’ai dû attendre dans le froid durant plus de sept heures que l’on me rende mon passeport. Le soir même, le harcèlement du campement, notamment par des jets de pierres, a commencé et a duré jusqu’à l’aube. Le harcèlement a repris dans la matinée du 9 mars. A la tombée de la nuit, les résistants de la place Tahrir furent finalement attaqués par des centaines de baltaguis armés de couteaux, de machettes et de torches incendiaires. Juste avant l’intervention des soldats.
Des personnes ont été frappées et arrêtées, le campement a été entièrement saccagé, et même le drapeau égyptien, qui flottait tel un symbole de renaissance au milieu du square, a été retiré. Comme si on voulait éradiquer tout espoir de liberté et de démocratie!
« On a tenu le coup durant quinze jours, malgré l’hostilité des suppôts du système et le dénigrement de la presse égyptienne, m’explique Wael Aly, une fois remis du choc. Mais nous ne baissons pas les bras. En nous réprimant et en arrêtant une centaine d’entre nous, le pouvoir vient finalement d’amplifier l’impact de notre action. »
Aujourd’hui, il doit redoubler de vigilance. Les premières condamnations sont en effet tombées: quinze ans de prison ferme! «Nous ne sommes pourtant pas des violents », s’insurge-t-il. Le matin du 8 mars, le Conseil des occupants de la place Tahrir avait rendu public un certain nombre de règles et décidé de réorganiser le campement. Notamment en créant une sorte de police destinée à évacuer les éléments perturbateurs, en réservant une tente comme lieu de culte pour les Coptes et les Musulmans, une pour l’intendance, une pour la formation, et une destinée à accueillir les nécessiteux -un pécule leur étant remis chaque semaine à condition qu’ils renoncent à la mendicité.
« Nous voulons juste vivre libres et dignes. Cette courte expérience a prouvé que nous pouvions organiser la société et gérer nous même nos affaires.»
Texte et photos Rabha Attaf
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