Le site, qui se veut un outil pour récolter des idées sur des thématiques variées, connaît un développement important et se développe dans le monde entier. Avec près de 100 millions d’utilisateurs et une valorisation d’environ 11 milliards de dollars, c’est un acteur important de la Silicon Valley. On a rencontré Ben Silbermann, créateur et PDG de Pinterest. Planche de liège numérique ou catalogue en ligne ?
Le bureau français de Pinterest fête ses trois ans. A cette occasion, le PDG et co-créateur de la société, Ben Silbermann, est venu rendre visite à ses employés sur place. A l’entrée, une liseuse d’empreinte digitale. Pas trop éloigné de ce que l’on pourrait attendre de locaux de la Silicon Valley alors que l’on se trouve là, sans trop de surprise, au coeur du Sentier à Paris. Le quartier est devenu au fil du temps le repaire d’une multitude de start-up et d’incubateurs. Ben Silbermann accueille en chemise, le premier bouton ouvert, avec une boisson Starbucks à la main. Un peu l’idée de ce que l’on fait d’un grand de l’économie du web : détendu mais un peu timide, loin des figures hystériques ou maladroites de la série Silicon Valley diffusée sur HBO.
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Il est, l’air de rien, un peu compliqué de présenter ce qu’est Pinterest, site lancé en 2010. « Nous pensons Pinterest comme un catalogue d’idées explique Ben Silbermann, vous pouvez naviguer entre ces idées et les utiliser pour votre vie ». Concrètement, les utilisateur peuvent chercher des recettes, des astuces pour décorer leur domicile, des tutoriaux pour leur cheveux sur le site ou même sur internet en général. Ils ont ensuite la possibilité de les afficher sur leur propre « panel« , d’effectuer un « pin« , comme on mettrait des images que l’on aime particulièrement sur un tableau de liège à l’aide d’une punaise. Il est possible d’en ouvrir plusieurs et de les organiser thématiquement. Ces sélections sont ensuite consultables par le autres utilisateurs.
Pas un réseau social
Cependant Ben Silbermann ne voit pas Pinterest comme un réseau social, malgré le fait que l’on se serve du site pour publier un contenu consultable par des utilisateurs qui peuvent le partager à leur tour. « Oui, je pense que c’est différent. Les réseaux sociaux ont vraiment pour but de permettre aux gens de communiquer ensemble, explique l’entrepreneur. Sur ces plateformes, vous écrivez et publiez des photos pour que les gens réagissent. Si vous êtes sur Pinterest c’est pour récolter des idées, pour vous principalement ». Il a même une formule bien rodée pour se différencier de Twitter ou Facebook. Pour lui, les réseaux sociaux tiennent du « them time » (du temps pour les autres) tandis que Pinterest consommerait du « me time » (du temps pour moi).
D’autres plateformes proposent des services qui peuvent paraître, au moins sur certains points, similaires. La plateforme de blog Tumblr par exemple, qui a été rachetée par Yahoo! en 2013 pour plus d’un milliard de dollars, est prisée par des nombreux utilisateurs qui, plutôt que d’y écrire des articles, partagent des photos qui leur plaisent, parfois dans des thématiques très précises. Il y a aussi Instagram, site de partage de photo, propriété de Facebook depuis 2013 (pour un milliard de dollars), sur lequel les utilisateurs parlant de mode, de décoration ou partageant des astuces culinaires sont très nombreux. Mais pour Ben Silbermann, ces plateformes ne sont pas en compétition. « Je pense qu’elles poursuivent des buts très différents, explique-t-il. Peut-être entrent-elles en compétition lorsqu’il s’agit de trouver du temps et de l’attention pour les utiliser »
Du « simple » catalogue d’idée à un catalogue tout court
Perçu au départ comme un site où le do it yourself était le maître-mot, Pinterest semble vouloir se transformer en véritable catalogue en ligne. Lorsque l’on regarde l’évolution récente de la plateforme, on observe de nombreuses initiatives allant dans ce sens. En juin 2015, des buyable pins, des articles qu’il est possible d’acheter directement, sont apparus. « Notre rêve, ce serait qu’un utilisateur puisse acheter directement les choses qu’il voit et qui lui plaisent ». Pour l’instant les buyable pins ne sont disponibles qu’aux Etats-Unis. « Nous aimerions les développer globalement mais il y a des tas de choses à mettre en oeuvre pour que l’expérience soit facile, sécurisée et rapide ».
Quelques mois après, en novembre 2015, un magasin en ligne apparaît, regroupant tous ces articles disponibles à l’achat. A la question de savoir s’il s’agit d’un développement imaginé depuis le début de Pinterest ou juste envisagé depuis quelques temps, Ben Silbermann répond « un peu des deux« . « Lorsque nous étions tout petit nous voulions juste faire ça pour nous » explique-t-il. La société revendique aujourd’hui plus de 100 millions utilisateurs actifs mensuel dans le monde entier, un nombre qui a doublé ces deux dernières années. 80% des usagers accèdent au service par le mobile. Actuellement, plus de 20 000 enseignes utilisent les buyable pins et plus de 50 millions d’entre eux existent.
Le parcours de Pinterest semble bien calme en comparaison d’autres grandes sociétés de la Silicon Valley comme Twitter par exemple, qui remet presque constamment en question son modèle et son fonctionnement. Pinterest est l’une des plus grosses start-up non cotées en bourse au monde, sa valeur étant estimée à 11 milliards de dollars. Assez loin derrière se trouve Dropbox, dont la valeur dépasse 600 millions de dollars ; la plus grosse de toutes étant Uber, qui avoisine les 13 milliards de dollars. En octobre 2014, Forbes publie un article intitulé « A l’intérieur de Pinterest : le géant de la publicité en devenir qui pourrait ridiculiser Twitter et Facebook » tandis que Fortune se demandait en 2012 si Pinterest était le prochain Facebook.
La technologie au service des « l’inspiration » des utilisateurs
Pinterest est donc un acteur important de la Silicon Valley. Et dans cet univers où la performance passe par l’innovation technologique, la recherche et le développement sont vitaux. Lorsque l’on regarde les innovations mises en avant par des sociétés comme Google ou Facebook, qui mettent beaucoup d’énergie et de moyens dans la construction d’une intelligence artificielle pour de la reconnaissance d’image ou du traitement de données, il est évident que Pinterest, qui cherche à offrir à ses utilisateurs les contenus les plus pertinents, pourrait s’y intéresser. Ainsi, il existe une fonctionnalité de l’application qui permet de procéder à des recherches visuelles. En zoomant sur une image, il est possible d’isoler des éléments en particulier et de retrouver des articles qui y ressembleraient sur le site.
Mais Ben Silbermann envisage les choses différemment qu’un moteur de recherche. « Nous utilisons des technologies afin de montrer qui vous conviennent parfaitement précise-t-il. Chez Pinterest, tout commence par un humain qui a sélectionné et choisi de partager quelque chose. La technologie vient ensuite pour ‘amplifier le goût humain‘ » Ainsi, l’efficacité radicale d’un algorithme de chez Google qui propose une réponse la meilleure n’est pas souhaitable. « Personne n’a envie qu’un robot lui dise ‘c’est ton style’, ‘c’est ta maison’, ou ‘voilà à quoi ton mariage va ressembler.‘ »
Une expérience personnalisée comme objectif
A écouter le PDG, le but de Pinterest est de faire en sorte que chaque utilisateur du service puisse se sentir à l’aise en l’utilisant et trouver ce qui lui convient. Quelque chose qui peut s’avérer difficile. Ainsi il y a deux ans, Rachel Wilkerson Miller, une journaliste de Buzzfeed, avait tenté de vivre comme le lui indiquaient les posts les plus populaires de Pinterest pendant une semaine. La conclusion de son article était que la plupart de ces posts représentaient des personnes blanches ou ne contenaient aucun produit de beauté destinés à des peaux noires. Il est vrai que, lorsque l’on cherche un peu sur internet, il n’est pas rare de voir que Pinterest est présenté comme un site pour mères au foyer ou jeunes filles blanches. Une chroniqueuse du Washington Post avait elle parlé de « crack numérique pour femmes« .
« Notre but est de rendre le service de plus en plus personnalisé pour les utilisateurs. Lorsque Pinterest a commencé, la majorité des utilisateurs étaient des femmes. Si vous tapiez ‘coiffure’ dans la barre de recherche, il y a de grandes chances pour que vous trouviez des styles féminins, détaille Ben Silbermann. Maintenant, si vous vous inscrivez depuis l’Allemagne, vous verrez principalement des idées allemandes, si vous cherchez des idées d’excursion depuis la France, il vous donnera des destinations en France et pas à New York. »
Des développements locaux
L’une des tactiques imaginées par Pinterest pour se rapprocher des utilisateurs à l’international (la moitié des utilisateurs du site se trouvent en dehors des Etats-Unis) a été de mettre en place des catégories spécifiques dans ses « marchés clés » hors Etats-Unis que sont le Brésil, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni. En France, c’est la culture qui a une catégorie à part, tandis qu’en Allemagne, c’est le recyclage qui est mis en avant. Au Japon, les bento, des boîtes pour embarquer son déjeuner, et la mode du kimono sont à l’honneur alors qu’au Brésil c’est la bonne humeur qui est visée avec des thématiques intitulées « Good morning » et « Smile« .
Si les choix peuvent paraître un peu clichés, il semblerait qu’ils reflètent l’intérêt du public. Et visiblement ça fonctionne. « Tous ces marchés se sont très bien développés, l’audience au Brésil a triplé l’année dernière et doublé en France. La croissance dans ces cinq pays est très intéressante », détaille Ben Silbermann. Pinterest entend aussi nouer des partenariats avec des marques locales pour mieux s’implanter sur les marchés ciblés. En France par exemple, c’est avec la branche « déco » de la Redoute que Pinterest s’associe. Le catalogue parle dans son communiqué de presse d’une « approche novatrice » et évoque le site américain comme un « outil essentiel pour s’inspirer autour de la décoration intérieur ». Il est question « d’inspirer » et « d’attirer » de « manière innovante« .
Pour le futur, Ben Silbermann ne préfère pas trop s’avancer. Lorsque l’on évoque les dix prochaines années, le PDG de Pinterest sourit. « Dix ans ça fait loin. Nous sommes très concentrés sur l’idée de faire un catalogue global d’idées, raconte Ben Silbermann. Dans les deux prochaines années, nous allons nous concentrer pour étendre encore un peu plus le service ». Le fondateur promet ainsi des idées inspirantes pour toutes les personnes s’inscrivant sur le site et la possibilité de les faire naître facilement dans le monde réel. L’entrepreneur de conclure, son verre presque vide : « On n’a pas envie de garder nos utilisateurs en ligne tout la journée pour regarder des choses qu’ils ne feront jamais »
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