Il a formé le duo le plus en vogue de la mode, mais qui était vraiment Pierre Bergé ? Une biographie rend hommage à sa complexité et à son parcours singulier. Entretien avec Véronique Richebois, co-autrice de Pierre Bergé – Le Pygmalion (Kero).
Tantôt adulé, tantôt redouté, Pierre Bergé n’a laissé personne indifférent. L’homme, derrière le peintre Bernard Buffet ou le couturier Yves Saint Laurent, s’est imposé comme figure légendaire. Il a marqué la mode ou racheté Le Monde – que sa mère lisait – mais au-delà du mythe il y a un autodidacte, aux failles cachées. Journaliste d’investigation aux Échos, Véronique Richebois le décrit comme “un personnage à tiroirs, à la trajectoire incroyable. Il traverse le siècle et permet de comprendre son époque.” En témoigne cette biographie, écrite avec son confrère du Figaro, Alexandre Debouté. Il en ressort un destin romanesque, “mélange de Balzac, Bel-Ami et Vautrin”, qui a touché la journaliste. Sa mère, peintre, lui a transmis le goût des portraits en pointillé. Ce “pinceau de mots” révèle un être complexe, qui se réinvente sans cesse. “Il fallait le dépeindre dans sa luminosité ombragée.”
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Pierre Bergé était un homme d’ombre et de lumière. Qu’est-ce qui vous a surpris chez lui ?
Véronique Richebois – Ses origines sociales, si humbles, et l’absence de son père. Sa mère, institutrice, l’a forgé intellectuellement, mais elle se montrait castratrice. Les lieux de son enfance renferment une ferme rustique, dépourvue d’eau ou de chauffage. Berger en avait honte. Un sentiment renforcé par les humiliations sociales, infligées notamment par Buffet ou Saint Laurent. Pierre n’a rien pour réussir : petit, modeste, privé de bac et homosexuel, il se sent stigmatisé. Son besoin d’argent le pousse à vivre sur une ligne jaune… Rien ne prédestine cet « enfant sauvage » – énergique, colérique, indigné et avide de liberté – à conquérir le Tout-Paris. Au début, j’ai eu du mal à trouver de l’humanité chez cet homme dur et odieux, mais ses fragilités le rendent attachant.
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Pourquoi a-t-il endossé le costume du Pygmalion ?
Il a pris du plaisir à jouer ce rôle de démiurge, traduisant une volonté de puissance. C’est pourquoi, il soutient les jeunes créateurs. S’il a sublimé les autres, en faisant éclore des génies, Bergé regrettait de ne pas être reconnu, or cette gloire a fait sa fortune. L’amant de Saint Laurent ou l’ami de Mitterrand aurait aimé être écrivain. Cet homme de l’ombre a transformé ses frustrations en ambition dévorante. L’envie d’être perpétuellement dans l’action cache l’angoisse d’un face-à-face avec lui-même.
En quoi son duo avec Saint Laurent a révolutionné la mode ?
Lorsqu’ils se rencontrent, Saint Laurent est déjà à la tête de Dior. Il a tout inventé, le trench, le tailleur-pantalon, la robe Mondrian ou le défilé version show. Ayant toujours une longueur d’avance, il fait surgir la rue dans la haute couture. Le créateur perçoit l’évolution des femmes, se libérant de leurs carcans. Il leur propose un prêt-à-porter chic ou androgyne. Bergé lance « Rive Gauche » et assure le rayonnement international de YSL. Cet autodidacte proustien a été à l’école des humiliations et des salons. Lui, qui ne trouvait pas sa place, apprend à s’habiller, parler et collectionner des œuvres d’art.
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Comment décrire leur amour ?
Imposer leur couple homosexuel, en cette ère, est un acte courageux. Ils ont formé un couple solide, audacieux, transgressif et révolutionnaire. Complémentaires, ils se sont vraiment aimés, or leur lien est compliqué. Bergé est révolté par l’autodestruction de Saint Laurent qui gâche son talent. Le mythe veut qu’ils aient partagé 50 ans d’amour, or ils formaient un ménage à trois avec Madison Cox, le veuf de Pierre. Quand Yves décline, ce dernier est présent jusqu’au bout. En amour, Bergé est un vampire, qui quitte les autres quand il n’en a plus besoin. Mais c’est aussi un sauveur maternant des hommes fragiles. Ce besoin d’être aimé et valorisé traduit ses carences d’enfance. Il se sent précieux, voire irremplaçable.
Quel est son héritage ?
On oublie que c’était un homme engagé (en 1994, il crée avec Line Renaud l’association Ensemble contre le SIDA qui deviendra le Sidaction). Il craignait d’être oublié, de là, la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent. Elle honore la création de YSL, mais œuvre également en faveur d’enfants défavorisés. Bergé est et reste un mystère… Dès ses 30 ans, il souffre d’une maladie dégénérescente. Ce tic-tac le pousse à aller de l’avant, n’empêche que j’aurais aimé lui demander quel était son vrai moteur. Il a eu du mal à se construire, mais il est peu à peu devenu lui-même.
Véronique Richebois et Alexandre Debouté, Pierre Bergé – Le Pygmalion, éditions Kero, 383 p, 20,50 €.
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