Sur Instagram, de jeunes Iraniens et Iraniennes postent des montages de leur carte d’identité et de portraits d’eux dans la « vraie vie ». Une manière de montrer le décalage de leur société.
La photographie en noir et blanc montre un visage sérieux, entouré d’un voile ; à côté, celle d’une jeune fille souriante, maquillée et cheveux teints. Sur Instagram, cette superposition de photos se multiplie depuis quelques semaines. Sous le hashtag #KartMelichallenge (défi de la carte d’identité), des centaines de jeunes filles et garçons montrent le contraste entre leur identité officielle, et leur identité réelle.
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« C’est rare que les gens aient l’air heureux sur la photo de leur carte d’identité »
L’Iran Wire nous apprend que l’idée vient d’une jeune Iranienne de 23 ans. Elle a d’abord voulu poster des photos de femmes avec ou sans hijab (voile qui recouvre les cheveux et une partie du cou des femmes) avec la campagne My Stealthy Freedom (« ma liberté discrète »). La jeune instagrameuse s’est donc d’abord concentrée sur les cartes d’identité, comme elle le raconte à l’Iran Wire :
« C’est rare que les gens aient l’air heureux sur la photo de leur carte d’identité, et c’est ça qui rend la campagne intéressante. »
En effet, si en France les règles des photos d’identité officielles sont déjà contraignantes, elles le sont encore plus en Iran : « récente », « sur fond clair », « 6X4 cm », détaille l’Iran Wire. Et la liste est encore longue :
« Les hommes ne doivent pas porter de cravate, ni de lunettes de soleil, ni de bijoux. Leurs cheveux doivent être coiffés et leur front ainsi que leurs oreilles doivent être clairement dégagés. Les femmes doivent apparaître avec un hijab entier, sans maquillage ni bijoux ».
Des règles « tellement rigides qu’elles feraient perdre à la carte d’identité iranienne sa principale fonction : permettre de reconnaître son porteur », relève le site 8e étage. Elles coïncident avec le code vestimentaire en vigueur depuis la révolution islamique de 1979 en Iran, pays régi par la Charia..
Les réseaux sociaux pour diffuser la transgression
Azadeh Kian, professeure de sociologie, voit dans cette campagne une façon pour ces jeunes de mettre en évidence « les décalages entre leur réalité identitaire et la façon dont ils sont censés apparaître sur leur carte d’identité »:
« Ils montrent que d’un côté, ils doivent respecter certaines normes, certains préceptes. Et de l’autre, que dans leur réalité quotidienne, ils transgressent ces normes. Ils montrent qu’ils refusent d’accepter l’identité que leur impose le pouvoir ».
Mais la spécialiste de l’Iran est formelle : ces résistances ne sont pas nées avec les réseaux sociaux. Ceux-ci ne sont qu’un nouvel outil qui participe d’une autre manière à la transgression: « cela ne veut pas dire qu’avant, les gens se conformaient aux préceptes ».
D’une transgression individuelle à la résistance collective
Au sein de la police iranienne, une unité de moralité est chargée de contrôler la tenue vestimentaire des citoyens. Souvent, les femmes en font les frais : entre mars 2013 et mars 2014, 18 000 d’entre elles ont été poursuivies pour avoir « enfreint les règles vestimentaires », rapportait Libération en juin 2014.
Certaines d’entre elles sont entrées en résistance et ce bien avant l’arrivée des réseaux sociaux. Même chose pour les hommes, qui peu à peu se sont affranchis des manches longues même en été. Hassan Rohani, président de la République islamique d’Iran depuis 2013, s’est lui-même prononcé en faveur d’un assouplissement de ces normes vestimentaires rigoureuses. Mais les contrôles demeurent, et les conservateurs dénoncent les libertés prises par beaucoup d’Iraniens.
En postant ces photos sur Instagram, ces jeunes prolongent des combats jusque-là plutôt individuels. « Avec les réseaux sociaux, ils deviennent collectifs », analyse Azadeh Kian. Mais ce phénomène reste marginal, prévient la spécialiste :
« Tout le monde n’a pas accès à Internet, qui demeure réservé surtout à une classe moyenne, voire moyenne supérieure.
En Iran, Twitter et Facebook font partie, officiellement, des sites inaccessibles. Mais nombre d’Iraniens parviennent à contourner cette censure.
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