Rien n’arrête le business. Alors que les images choc font progressivement leur apparition sur les paquets de cigarettes, certains ont déjà flairé le bon plan commercial et développent une offre autour de l’habillage des dits paquets.
Le poids des mots ne suffisait pas. Dans un arrêté du 15 avril 2010, le ministère de la Santé prévoit que les mentions écrites du type « Fumer tue » soient complétées par des photos en couleurs, pour alerter les fumeurs de manière frontale sur les dangers du tabagisme. Il existe 14 images différentes, dont certaines vraiment gore : bouche édentée, poumons ravagés, etc. Le 20 avril 2011 au plus tard, tous les paquets de cigarettes devront être ainsi « décorés ».
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La mesure ne ravit pas les buralistes, qui y voient un coup supplémentaire porté à leur activité. A moins qu’elle ne leur en crée une autre, parallèle. Depuis le début de l’année, les cache-paquets fleurissent dans les bureaux de tabac. Jolis, pas chers (à partir de 50 centimes), soigneusement rangés entre briquets et chewing-gums, ils misent clairement sur l’achat d’impulsion.
Au Tabac Bastille, dans le 11e arrondissement de Paris, on propose depuis près de trois semaines des étuis en carton à deux euros, et des étuis en caoutchouc à 3,80 euros. « On en vend 3 ou 4 par jour, alors on en a commandé d’autres avec des motifs plus variés » explique le buraliste. Trois ou quatre, ça paraît peu. Mais certains y voient un vrai créneau.
« De nouvelles marques se créent »
Smoking.fr, un site de e-commerce dédié aux produits pour fumeurs, a élargi sa gamme pour réagir à ce frémissement sur le marché de l’habillage des paquets de clopes. «
La demande a augmenté d’environ 20% depuis le début de l’année, selon Caroline Vidal, responsable du service achats. De nouvelles marques se créent et les modèles se diversifient. Même les étuis en fer ou en cuir, qui étaient devenus un peu ringards, reviennent à la mode.«
Parmi les nouvelles marques, il y a Slyp, une entreprise lyonnaise. Encouragés par une étude de marché réalisée sur les réseaux sociaux, les quatre associés ont lancé leur activité de cache-paquets en carton il y a trois mois. La marque est déjà distribuée dans environ 400 bureaux de tabac en France, et a notamment signé un contrat avec la coopérative Buralcoop (9.000 buralistes adhérents). « Pour l’instant, les ventes sont conformes à notre business plan, commente Stéphane Lhomme, l’un des associés. La sortie officielle des photos, le 20 avril, donnera vraiment l’impulsion. »
En Belgique, les photos ont dopé les ventes d’étuis
La France est à la traîne par rapport aux autres pays européens. Chez plusieurs de nos voisins, les photos sur les paquets de cigarettes sont en vigueur depuis plusieurs années. En Belgique, elles ont été instaurées il y a trois ans, et ont eu un impact positif sur les ventes de The Facebox, une entreprise qui donne dans l’étui décoratif depuis… 1992. « On a vendu entre 7 et 12% de plus. C’est bien, mais ce n’est pas un bond exceptionnel non plus » , relativise Robert Sante, le fondateur.
Il n’empêche que sa marchandise intéresse les Français.
« J’avais ce produit dans mon catalogue, explique David Simon, distributeur d’objets promotionnels personnalisables. Depuis février dernier, la demande est croissante, alors j’ai négocié d’être le distributeur exclusif en France. »
Au mois de mars, il a vendu plus de 500 kits de 120 étuis aux buralistes.
Les vendeurs de cache-paquets de cigarettes se défendent tous d’aller à l’encontre d’une mesure de santé publique. Ils présentent leurs produits comme des accessoires de personnalisation avant tout. Et défendent un droit à ne pas subir et faire subir des visions d’horreur. « On n’est pas là pour inciter les gens à fumer, plaide Stéphane Lhomme de Slyp. De toute manière, vous voyez les images au moment où vous achetez un paquet de cigarettes. Mais on est pour avoir le choix de cacher ces images, et notamment de ne pas les faire supporter à nos enfants. » Pour des raisons déontologiques, Slyp affirme d’ailleurs ne pas s’autoriser des visuels trop attractifs, qui pourraient être confondus avec une incitation à fumer.
Un marché feu de paille?
Reste qu’il est difficile à l’heure actuelle de dire si ce business va durer. A l’époque où les messages écrits étaient devenus obligatoires sur les paquets de cigarettes, le marché de l’habillage de paquet avait aussi été boosté, avant de repartir en fumée.
« Les gens se sont habitués, c’était presque décoratif sur les paquets, analyse Caroline Vidal, de Smoking.fr. Mais je pense qu’avec les images ce sera différent ; on peut ne pas lire un texte, alors qu’une photo se voit forcément. »
Pour le fondateur de The Facebox, la longévité de telles entreprises tiendra à la qualité de leurs produits. Chez The Facebox, des graphistes renommés ont été mis à contribution. « Les fumeurs n’achètent pas un étui uniquement pour cacher les mentions légales sur leur paquet, ils veulent quelque chose qui le rende beau. »
L’avis est partagé par Hélène David, 25 ans, fumeuse depuis 10. Pour elle, l’esthétique ou l’originalité prime sur le besoin de « cacher la misère ». « C’est un bon créneau si les messages sont marrants, ou que l’objet est vraiment beau. A un moment, j’avais un étui sur lequel était écrit « Oui, je sais ». Je trouvais ça assez drôle. »
La jeune femme est par contre plutôt sceptique quant à l’avenir des cache-paquets.
« Je pense que ça va rester quelque chose de minoritaire chez les fumeurs, parce que tout le monde ne prendra pas le temps de remettre l’étui sur son nouveau paquet. Aujourd’hui, la plupart des gens se sont accomodés du « Fumer tue », je pense que ce sera pareil avec les images dégueulasses… »
Pauline Turuban
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