Vladimir Poutine aborde la diplomatie comme un combat de judo… mais en usant de tactiques plus ou moins honnêtes. Avec lui, les chefs d’État ne savent jamais à quoi s’attendre. Une imprévisibilité maitrisée dont il use et abuse pour marquer des points sur la scène internationale.
« Avec un mec comme lui / On est bien chez soi et chez les amis…« , clament les Putin’s Girls dans leur chanson pop ultra kitsch à la gloire de Vladimir Poutine. Si l’on ne sait pas ce que vaut le président russe comme « mec », beaucoup de chefs d’Etat l’ont en revanche éprouvé comme dirigeant. Intimidation, séduction ou encore manipulation, le maître du Kremlin joue toutes les cartes pour faire avancer ses pions sur la scène internationale.
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Plutôt que de pions, devrions-nous parler de prises. Judoka confirmé, c’est ce sport qui inspire la philosophie de Poutine selon Michel Eltchaninoff, auteur du livre Dans la tête de Vladimir Poutine (aux éditions Actes Sud). « Sa stratégie consiste à profiter de la faiblesse de son adversaire jusqu’à le faire trébucher« , analyse le philosophe.
Why wouldn’t you watch @Showtime #putininterviews ? The man is a judo master for crying out loud ????????#showtime #Putin pic.twitter.com/yb6PuV6Y02
— vanessa (@mommyinbklyn) 13 juin 2017
« Pas grand chose qui puisse l’impressionner »
Vieux routard de la politique, au pouvoir depuis 17 ans, Poutine a récemment rencontré le président américain, novice en matière de relations internationales. La réputation de Poutine le précédant, les conseillers de Donald Trump craignaient de le laisser y aller seul. Une angoisse pas forcément justifiée. Pour Florent Parmentier, maître de conférence à Sciences Po et chercheur associé au centre de géopolitique de HEC, l’amitié nouée entre l’ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi et le chef d’État russe pourrait augurer de ses rapports avec Donald Trump.
“Poutine n’est pas en phase de découverte, c’est déjà son quatrième président américain. Il n’y a pas grand chose qui puisse l’impressionner, souligne Florent Parmentier. Dans ses rapports avec Trump, il est possible que Poutine y ait vu une personnalité similaire à celle de Berlusconi, dont il est proche.”
Une possible relation pas forcément rassurante si l’on en croit Michel Eltchaninoff, pour qui Poutine a manipulé le dirigeant italien. « Berlusconi est un fêtard. Poutine s’en est servi comme allié en Europe en flattant son côté jouissif. Il a flatté l’instinct de Berlusconi »
Thank you @nytimes for reminding me of the great Putin-Berlusconi bromance (2003 photo from this article: https://t.co/xvAiODJ4uy) pic.twitter.com/3SyRytzl1D
— William Troop (@worldsoccerguy) 30 mai 2017
« Tu continues sur ce ton et je t’écrase »
S’il flatte, Vladimir Poutine peut aussi lyncher. Nicolas Sarkozy s’en souvient sans doute encore. En 2007, tout juste élu et vraiment remonté, l’ancien chef d’Etat français décide d’aborder avec Poutine “les sujets qui fâchent”. L’envie lui passe rapidement. « C’est bon, t’as finis là ?« , aurait demandé le président russe d’un ton condescendant, selon le journaliste Nicolas Hénin, avant d’enfoncer le clou : « Tu continues sur ce ton et je t’écrase ou tu arrêtes de parler comme ça et tu verras, (…), je peux faire de toi le roi de l’Europe. » Lors de sa conférence de presse, Sarkozy apparaît si secoué que les journalistes se demandent s’il est ivre.
« Dans le comportement de Poutine face à ses interlocuteurs, il y a de l’observation et aussi de l’empathie« , souligne Florent Parmentier. L’attention particulière portée par Vladimir Poutine à la psychologie de ses interlocuteurs remonte à ses années en tant qu’agent du KGB, le service de renseignement de l’URSS. « Les écoles spéciales des services secrets russes enseignent le sang-froid, l’art de la dissimulation, de la mise en scène, sans oublier le double, voire, le triple langage« , écrit Vladimir Fedorevski dans L’Express. Le futur homme fort de la Russie retient la leçon. Dans les années 80, lorsqu’un ami lui demande de définir son métier d’espion, Poutine a cette réponse : « Je suis un spécialiste en relations humaines« , relate Michel Eltchaninoff.
« Tous les gens qui l’ont rencontré disent qu’il peut être très variable. C’est un caméléon, doté d’un regard qui peut se faire aussi charmeur que froid à l’extrême. Il maîtrise parfaitement son rôle et use à merveille de la rupture de ton. On remarque également cette tactique dans ces interventions publiques. Il peut utiliser un langage très diplomatique ou bureaucratique, puis soudain faire une blague graveleuse ou grossière, comme lorsqu’il a déclaré à propos des terroristes tchétchènes : ‘j’irai les buter jusque dans les chiottes.' »
La phobie de Merkel
« Avec Poutine, on est dans une imprévisibilité calculée« , poursuit le philosophe. L’homme souffle le chaud et le froid. Lorsqu’en 2007, George Bush invite son homologue dans la résidence familiale d’été, l’ambiance est cordiale. Les deux présidents vont pêcher ensemble, Bush parle de son « ami Vladimir. » Tout semble aller pour le mieux jusqu’à que Poutine ne lâche, juste avant la fin de son séjour éclair : « en politique, comme dans le sport, il y a toujours de la compétition”.
Poutine le psychologue ne fait pas toujours dans la grande finesse. En 2006, il rencontre Angela Merkel à Moscou. La chancelière a un talon d’Achille. Mordue par un chien dans son enfance, elle en garde depuis une phobie des canins. C’est ainsi qu’elle reçoit en cadeau un petit chien en peluche. Une sorte de mise-en-bouche avant de se retrouver, un an plus tard, face à Connie, le labrador noir préféré de Poutine. La photo où elle apparait plutôt tendue face à l’animal fait le tour du monde.
https://twitter.com/RJonesing/status/844367923854553088
De surcroit, la chancelière est une femme, ce qui n’arrange rien pour le président russe, quelque peu misogyne. Pour Florent Parmentier, « Vladimir Poutine est vraisemblablement plutôt macho avec Angela Merkel. on peut même se demander si le côté macho ne l’emporte pas sur des considérations plus terre-à-terre. »
Putin knew Merkel afraid of dogs, brings a dog. Knows Trump has zero attention span, holds him for hours. This is KGB, not rocket science.
— ReadAPoemToday (@ToddTemkin) 9 juillet 2017
« Une stratégie de déstabilisation »
« Poutine a toute une série de trucs pour l’emporter, qui relèvent souvent de la micro-humiliation« , pointe Michel Eltchaninoff. Parmi ses trucs: arriver quasi-systématiquement en retard lors de ses rendez-vous. Le président russe a déjà fait attendre un quart d’heure Jean-Paul II et la reine d’Angleterre, 40 minutes Angela Merkel et 50 minutes le pape François. Une pratique fort peu diplomatique qui s’inscrit dans « une stratégie de déstabilisation« , selon Florent Parmentier. « Il a tendance à faire patienter encore plus longtemps les anciens pays soviétiques« , note le chercheur. L’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch peut en témoigner. En 2012, l’ex-diriigeant pro-russe attend son homologue pendant plus de 4 heures.
Mais lors de sa rencontre à Versailles avec le chef d’État français en mai dernier, Poutine se serait-il fait prendre à son propre jeu ?
« Macron a été assez habile vis-à-vis de Poutine. Il l’a reçu dans un lieu symbolique du pouvoir, le château de Versailles. Si Poutine n’était apparemment pas très en forme, il a été un peu déstabilisé lorsque le président français a parlé de Sputnik et de Russia Today comme des ‘organes d’influence et de propagande’. Macron a fait du Poutine. Néanmoins, je pense que ce dernier attend sa vengeance lorsque Macron se rendra en Russie », explique Michel Eltchaninoff.
Affaire à suivre…
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